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lundi 7 décembre 2020 :: Permalien
Publié dans Politis, le 2 décembre 2020.
Christophe Naudin est rescapé des attentats du Bataclan. Il est aussi historien et enseignant dans un collège. Dès les lendemains du drame au cours duquel il a perdu son meilleur ami, il décide de commencer un journal de bord. On y découvre les étapes lentes et souvent douloureuses d’une réparation qui passe par la thérapie, la rencontre amoureuse, mais aussi la mise à distance critique d’un événement qui marque la mémoire au fer rouge. Le journal et laissé tel quel, sans retouches, c’est un choix. Les propos y sont durs pour une partie de sa famille politique, à gauche, jugée trop complaisante. Mais une postface lui donne le relief d’une analyse d’historien toujours soucieux de comprendre, même le pire.
Mathilde Larrère et Laurence De Cock
mardi 1er décembre 2020 :: Permalien
Entretien publié dans Le Caoua des idées, numéro 17, novembre 2020.
Dans votre ouvrage paru en 2017, vous expliquiez que « la fabrique du musulman est une coproduction des extrêmes droites en terre d’islam et en Occident ». Quatre ans après, pouvez-vous nous dire en quoi les derniers attentats renforcent cette réalité ?
Dans mon essai, j’ai cherché à analyser la formation d’une nouvelle caste, c’est-à-dire un groupe social fermé dont on ne peut sortir en raison de son origine ou de son culte supposés. Nous avons vu apparaître depuis le début du XXIe siècle, un nouveau sujet, le Musulman qui n’est ni nécessairement croyant, ni forcément pratiquant, mais que la pression conjuguée des extrêmes droites politiques et religieuses contribue à réduire à une identité religieuse. Ce qui est davantage compatible avec la grille de lecture du « choc des civilisations » qu’avec une compréhension des conflits sociaux en termes de lutte des classes. D’autres forces politiques participent de ce réductionnisme confessionnel, notamment certains courants de gauche qui, au nom d’une conception particulière de l’antiracisme, délaissent l’anticléricalisme et contribuent à essentialiser positivement le Musulman en réponse aux discours de haine. De fait, chaque vague d’attentats islamistes contribue à accroître la tension, en provoquant la peur et la sidération, dans l’objectif de rigidifier les frontières entre les appartenances réelles ou supposées à une communauté.
En 2017, vous pointiez, en France, des convergences idéologiques (extrême droite et extrême gauche post-léniniste) autour de la fabrication de la race. Ce phénomène a-t-il disparu ?
Ce phénomène a plutôt tendance à se banaliser. Cartouches, une publication de la Nouvelle Droite, déplorait en août 1998 que « dans la France du XXe siècle finissant, il ne fait pas bon de parler de races ». De nos jours, on pourrait dire qu’il est malvenu de récuser l’emploi du concept de « race », en particulier dans les milieux militants qui se réclament de l’antiracisme politique mais aussi dans les cercles universitaires et les espaces médiatiques qui légitiment ou diffusent un discours racialiste. Le choc provoqué aux États-Unis par la mort de George Floyd a donné l’occasion aux intervenants convaincus de la pertinence d’une approche intersectionnelle de promouvoir des notions pourtant discutables comme « privilège blanc » et « racisés », ainsi que le recours aux statistiques ethno-raciales, voire à la non-mixité raciale. Pendant ce temps, le suprémaciste blanc Daniel Conversano appelle à « se concentrer sur l’essentiel, sur la race et la famille ». On pense alors à l’activiste décoloniale Houria Bouteldja qui écrivait : « J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam. »
Vous soulignez qu’une partie de la gauche a toujours été aveugle et sourde face au totalitarisme mais d’autres figures se sont élevées pour le dénoncer, ces derniers existent-ils encore ?
En effet, je souhaitais rappeler qu’en dépit des aveuglements et catastrophes des décennies précédentes, il avait toujours existé des points d’appui, certes modestes, ou des voix, jamais assez écoutées, au sein d’une gauche trop souvent influencée par les courants autoritaires et nationalistes. Au cours de la dernière période, j’ai lu ou relu des auteurs du siècle dernier comme Theodor W. Adorno, Sadik Jalal al-Azm, Günther Anders, Hannah Arendt, Albert Camus, Guy Debord, Joseph Gabel, George Orwell, Mezioud Ouldamer, Maxime Rodinson, etc. Je me retrouve aujourd’hui aux côtés de ceux qui, non seulement dénoncent le totalitarisme, mais s’efforcent dans le même mouvement de combattre l’exploitation, l’oppression et l’aliénation sous toutes leurs formes. »
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LES RENTIERS DU RACIALISME
Publié chez un éditeur libertaire, La Fabrique du Musulman propose un retour aux sources de l’analyse politique. Rompre avec le religieux et l’ethnique pour retrouver des questions sociales et politiques. Thèse : « Le vrai “grand remplacement” concerne celui de la figure de l’Arabe par celle du “Musulman”. » L’auteur démêle l’écheveau identitaire qui s’est imposé depuis une quinzaine d’années, et un formatage de pensée qui convient autant aux penseurs réactionnaires qu’à ladite « gauche de la gauche », sans oublier les militants de l’islam politique. Historien et politiste, Nedjib Sidi Moussa analyse cette combinaison, inconcevable il y a encore quelques années, qui catalyse en une nouvelle caste les rentiers de la race que sont les racistes, les antiracistes et les « entrepreneurs communautaires ».
Le chercheur a récemment publié Algérie une autre histoire de l’indépendance. Trajectoires révolution- naires des partisans de Messali Hadj (PUF, 2019). Les deux ouvrages se rejoignent dans les interrogations soulevées. Les questions sociales, nationales et démocratiques ont été centrales chez les messalistes défaits par le FLN, elles le sont encore aujourd’hui.
SB
mardi 1er décembre 2020 :: Permalien
Publié dans Alternative libertaire, décembre 2020.
Prof, historien spécialiste de l’islam médévial. Christophe Naudin s’est penché sur les récupérations politiques de l’histoire. Et il est aussi un amateur de rock et de bière. Mais le 13 novembre 2015, c’est l’histoire qui se penche sur lui, armée de kalashnikov. Il est dans la fosse du Bataclan, les corps s’effondrent autour et il trouve refuge dans un cagibi jusqu’à l’intervention de la police.
Malgré le trauma la vie reprend. Mais ce n’est plus la même vie. Il décide d’écrire, en parallèle d’une thérapie, un journal dont il situe d’emblée l’enjeu : comprendre ce qui lui est arrivé, ce qui nous arrive en fait puisque son journal, ironie de l’histoire, est publié quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty et qu’il évoque à plusieurs reprises ses craintes devant les risques et menaces visant les enseignants.
Même après avoir frôlé la mort, Naudin affirme combattre l’islamophobie. Quand d’autres ont basculé lui refuse absolument tout amalgame. Et il récuse le concept d’islamo-gauchisme. Mais certaines postures dans « sa famille politique » qui l’agaçaient avant l’attentat le mettent définitivement en colère. Et il renvoi dos-à-dos, comme deux faces d’une même médaille les islamophobes et ceux qu’il appelle « islamistophiles ».
Le journal raconte au jour le jour sa lente « guérison ». Comment il rompt progressivement avec des amis dont il ne supporte pas les propos. Il tient également une chronique des attentats islamistes à travers le monde (occidental surtout). Mais s’il annonce chercher une voie entre islamophobes et « islamistophiles », c’est surtout à ces derniers qu’il s’en prend. Qui aime bien châtie bien ?
Le journal devient alors un réquisitoire à la Prévert, rejetant pêle-mêle Plenel et le CCIF, Bondy blog et Ramadan, Fassin et Bouteldja… C’est la partie faible car si, en historien, il traque chaque approximation erronée, chaque cécité (en particulier à l’antisémitisme), chaque erreur manifeste et même des guillemets trop précautionneux, la critique théorique est trop souvent lapidaire.
Il faut néanmoins lire ce livre témoignage jusqu’au bout car il pose de vraies questions à celles et ceux qui luttent à juste titre contre l’islamophobie. Et dans sa postface, Naudin revendique d’avoir publié le journal brut de colère en reconnaissant sans doute des excès. Soit. Reste qu’il nous manque toujours une analyse solide et stable pour comprendre comment fonctionne la machine à recruter les tueurs entrecroisant psychologie, sociologie, religion, géopolitique postcoloniale mais aussi rivalités entre régimes autoritaires, dictatures ou théocraties fondées sur l’islam. Peut-être l’objet d’un prochain livre, plus apaisé, alors que Naudin se pense seul au monde à poser la question d’un fascisme islamique ?
Jean-Yves, UCL – Limousin
mardi 1er décembre 2020 :: Permalien
Publié dans la revue Le Mouvement social, septembre 2020.
Auteur d’une biographie de Fernand Loriot et de deux ouvrages consacrés à l’opposition internationaliste à la guerre de 1914-1918, Julien Chuzeville s’est proposé de revenir sur la création du Parti communiste français, à l’approche du centenaire de sa naissance en décembre 2020. Son travail s’appuie sur un dépouillement minutieux de la presse (au premier rang de laquelle L’Humanité), des brochures, des archives de la surveillance policière et préfectorale du mouvement ouvrier pour partie seulement déjà bien connues, et sur des archives de militants, très nombreuses et moins labourées. Annie Kriegel, qui fut la première à faire entrer en 1964 dans le champ universitaire les « origines du communisme français », qualifiait sa recherche dans l’introduction de sa thèse par cette formule : « la politique, l’événement, l’archive ». Elle faisait mine de s’en excuser, en ces temps où régnaient la structure et l’histoire sociale, mais se justifiait puissamment par la nouveauté du sujet et des interprétations proposées. Julien Chuzeville légitime plus implicitement son approche par son retour aux sources et sa connaissance minutieuse des faits et des hommes (et quelques femmes) au niveau national, parfois local. Il ne faut pas chercher dans son étude de retour à l’histoire sociale par le bas (notamment celle de l’implantation électorale et militante du PCF après le congrès de Tours). Il s’agit d’une histoire politique, qui ne s’inscrit toutefois pas dans les historiographies ayant enrichi, depuis la fin du XXe siècle, tant la connaissance de la circulation transnationale des idées et des traductions de Marx que les analyses culturelles et anthropologiques des congrès et du militantisme (ce qui aurait pourtant permis de mobiliser la belle iconographie du cahier central et d’utiliser autrement les correspondances entre militants). L’auteur délaisse également l’historiographie récente de l’Internationale communiste (IC), substantiellement complexifiée par l’ouverture des archives à Moscou et de nombreux travaux russes, allemands, britanniques, mais aussi français.
Dans ce cadre, l’ouvrage de J. Chuzeville déroule une chronologie classique qui s’enracine dans un rappel des premières occurrences du « communisme », avec Gracchus Babeuf, et des grandes tendances du débat à gauche avant 1914, puis étudie la crise du socialisme d’Union sacrée et la montée en puissance des pacifistes révolutionnaires entre 1915 et 1918. Il propose ensuite deux zooms plus détaillés : d’abord sur le moment 1919-1920 et la naissance de l’Internationale communiste, après l’échec de l’Internationale socialiste à empêcher la guerre et dans le cadre de la réception de la Révolution russe et de la crise sociale en France ; puis sur le déroulé de la scission du socialisme français au congrès de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) tenu à Tours en décembre 1920. Les deux derniers chapitres sont consacrés à la difficile mise en place organisationnelle et politique de la jeune Section française de l’Internationale communiste (SFIC) et à la scission syndicale, puis au « tournant irréversible » du parti sous l’impact de la « bolchevisation » imposée par Moscou à partir de 1924. Le récit parvient à rester clair tout en étant précis, parfois à l’extrême. Le lecteur se trouve ainsi immergé dans la politique de l’époque, dans la richesse et la diversité des prises de position d’une minorité activiste composée de fortes personnalités totalement engagées dans le débat et dans son expression écrite, et plus largement dans la vie de la SFIO puis de la SFIC avant 1924 comme des partis de « courants » et de vifs débats. Le principal apport du livre est alors de revenir de manière détaillée, après d’autres historiens cités en bibliographie mais rarement en notes, sur la pluralité des choix possibles en ces moments décisifs pour l’histoire des gauches françaises, en les articulant autour des enjeux majeurs de l’époque : la paix et la révolution.
L’ouvrage propose une interprétation de la création du Parti communiste français comme l’histoire d’un double malentendu – terme employé à de nombreuses reprises – et d’une défaite. Le premier malentendu réside dans le choix de rejoindre l’Internationale communiste, dont le fonctionnement fut compris imparfaitement et avec retard, et dans la projection dans une révolution russe idéalisée. Les débats précédant immédiatement le congrès de Tours et, pendant celui-ci, la réception des « 21 conditions » d’adhésion à l’IC, puis la première structuration organisationnelle et financière du parti sont en ce sens très utilement analysés. Le deuxième malentendu est interne : il s’agit de l’alliance de circonstance, pour emporter la majorité au congrès de Tours et transformer la SFIO en SFIC, entre des courants du « centre » ralliés au choix de Moscou et un noyau pacifiste et révolutionnaire, lui-même hétérogène mais déjà structuré par le « Comité de la Troisième Internationale ». La sympathie de l’auteur va clairement à ce petit groupe présenté comme défendant depuis des années un « modèle de société collectiviste communiste » (p. 133) projeté sur octobre 1917 puis trahi par Moscou, et seul fidèle à une « vision du monde, une éthique, une conscience et une intégrité qui ne se démentiront pas » (p. 67). Il en résulte des choix implicites et explicites qui posent question. Car, d’une part, cette focale conduit à écarter rapidement de l’analyse tant le premier « parti communiste », autour de Raymond Péricat, que les fondateurs de la SFIC issus du « centre », comme Marcel Cachin, puis les premiers dirigeants envoyés par l’IC, comme Suzanne Girault, trop vite désignée comme agent de la police politique, la Tchéka. D’autre part, Julien Chuzeville ne propose pas d’explication convaincante de ce qu’il présente comme l’évolution rapide du parti fondé à Tours, « outil pour les travailleurs » qui aurait pu permettre la synthèse des courants politiques et organisationnels (syndicalistes, coopérateurs), vers un parti « instrument dirigé par des chefs spécialisés » (p. 379). Cette défaite fut pour lui purement conjoncturelle. Or, l’affaiblissement des revendications sociales, la fin du moment révolutionnaire européen, les pressions de l’IC moscovite essentialisée en « appareil bureaucratique implacable » (p. 424), les situations personnelles (maladie de Fernand Loriot, absence de Boris Souvarine envoyé à Moscou auprès de la direction de l’IC, brutalité d’Albert Treint, etc.) sont fort bien présentés par l’auteur, mais n’épuisent pas la question de fond : celle-ci qui avait été posée par Annie Kriegel, discutée à nouveaux frais par Romain Ducoulombier dans sa thèse publiée en 2010, pourrait être repensée à la lumière des travaux récents sur les circulations transnationales du premier communisme. Entre 1918 et le milieu des années 1920, quelles furent les raisons générationnelles, sociales, doctrinales, de l’acceptation progressive par des dirigeants et des militants français du projet bolchevique léniniste. Celui-ci impliquait dès l’origine une radi- calité exclusive, antiparlementaire, antiréformiste mais aussi anti-anarchiste, qui identifia l’internationalisme à la défense de l’État soviétique, et qui s’articula alors avec les espoirs de transformation politique et sociale révolutionnaire ? On ne peut que souhaiter que Julien Chuzeville s’affronte à l’avenir à ce débat.
Sophie Cœuré
mardi 1er décembre 2020 :: Permalien
Publié sur Untitled Magazine, le 27 novembre 2020.
Les théâtres restent fermés ? Qu’à cela ne tienne. Voilà que s’offre aux spectateur·ice·s empêché·e·s un recueil de trois récentes pièces de Judith Bernard publié aux Éditions Libertalia : Saccage et autres pièces.
Cela fait vingt ans que Judith Bernard « persiste à faire du théâtre ». Deux décennies qu’elle affirme, avec la compagnie ADA-Théâtre, que le plateau théâtral et la dramatisation qu’il organise « ouvrent un espace pour échapper aux structures sociales de notre aliénation ». En attendant donc de retrouver physiquement ce lieu de réflexions, explorons ce vaste projet d’émancipation – au format papier pour cette fois.
Plutôt donc que de prendre place entre cour et jardin, trouvons l’assise la plus confortable de notre chez soi pour nous offrir quelques heures de théâtre politique, comme le stipule la page titre. Car oui, c’est bien de politique et de sujets à l’actualité encore brûlante dont on va entendre parler dans ces dialogues – la dernière pièce a été montée juste avant le deuxième confinement. Mais attention nous ne sommes pas dans un théâtre nombriliste qui ne s’adresserait qu’aux « vraies personnes engagées », ni dans un théâtre plaintif s’apitoyant sur un présent trop éloigné du Grand Soir. Disons-le, on est sur du militantisme en plein réflexion. C’est sûr que l’on voit rarement – si ce n’est jamais – des pièces qui prennent pour assises des ouvrages de critique sociale plutôt que des textes d’une certaine tradition théâtrale.
La pièce qui ouvre le recueil, Bienvenu dans l’angle alpha, est ainsi adaptée de l’essai Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza de Frédéric Lordon. La suivante, Amargi ! Anti-tragédie de la dette, compte parmi ses inspirations les écrits de Lordon, Graeber, Orléan, Aglietta, Friot et Zech. Et la dernière, qui donne son titre à l’ouvrage, Saccage, convie sur scène Foucault et Lacan au milieu d’étudiant·e·s de la faculté de Vincennes, mais aussi Abdullah Öcalan l’oncle du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), des zadistes de Notre-Dame-des-Landes et des Gilets jaunes. Le spectre est large mais pas abscons.
Certes, ces trois pièces peuvent avoir l’allure de conférences tactiques, qui plus est avec ces bibliographies dignes d’un travail de recherche universitaire. Mais il ne s’agit pas pour Judith Bernard de se faire professorale. De ses lectures et du travail avec les comédien·ne·s, émergent des textes riches qui plutôt que d’user de la fiction intime, exaltent l’histoire commune. S’organise une dramaturgie de la lutte aux dialogues vifs, à la structure ludique usant de décors et d’accessoires aux multiples facettes. Mais aussi, et surtout, dont l’humour est palpable : voilà par exemple les origines de la monnaie racontées à travers un exposé fait de puériles boules multicolores dans Amargi ! Anti-tragédie de la dette. Et quand ce ne sont pas des accessoires sortis de piscines enfantines, c’est un objet aussi commun qu’une échelle à deux pans qui permet d’illustrer l’écart fluctuant entre la visée du patron de celle de son employé (Bienvenu dans l’angle alpha). Face à ces réalités représentées, jamais trop éloignées de la nôtre – si ce n’est historiquement et/ou spatialement –, notre regard tout autant que notre esprit critique glanent des observations, et des réflexions aussi effectives que joyeuses. Loin donc d’illustrer un abattement général nourrissant le sentiment d’une impuissance politique, les pièces de Judith Bernard permettent de retrouver l’antique chemin de l’arène aux controverses.
Sans savoir combien de temps encore les corps et les décors devront se cantonner aux limites de notre esprit et jouer avec notre imagination – aurions-nous saisi toutes les subtilités de la mise en scène, face à des comédien·ne·s en chair et en os ? – le théâtre de Judith Bernard, en affirmant la dynamique communicative et pédagogique de ce médium, permet de nourrir la participation de chacun·e à la scène (politique) actuelle. Que cette dernière ait lieu sur planches, sur papier, ou dans un tout autre cadre.
Vincent Bourdet