Éditions Libertalia
> Blog & revue de presse
mercredi 24 février 2021 :: Permalien
Paru dans Le Canard enchaîné (24 février 2021).
À l’approche du 18 mars, grand jour de la Commune dont on fête le cent-cinquantenaire, les librairies voient fleurir moult ouvrages passionnants et rouge cerise.
[…] De son côté Michèle Audin s’est intéressée à la terrible Semaine sanglante par laquelle Thiers mit fin à la Commune. Combien de morts ? « Le débat est loin d’être clos. Les amis de l’ordre, au pouvoir à Paris depuis le 28 mai 1871, ont tout fait pour que ce nombre ne soit pas connu. »
Michèle Audin ouvre les registres d’inhumation des cimetières, enquête sur les gisements d’ossements découverts des années après, recoupe les sources, traque les erreurs des historiens.
En bonne mathématicienne, comme le fut son père, elle fait et refait les calculs. Fastidieux ? Non : son ardeur pinailleuse est communicative. Avec elle on voit l’histoire en train de se faire, on assiste à des scènes de massacres ou d’héroïsme, on croise « une jeune fille avec un bonnet phrygien sur la tête, le chassepot à la main, la cartouchière aux reins » qui campe sur une barricade place Blanche : « Halte-là citoyen, on ne passe pas. » Peu après les versaillais balaient cette barricade et reprennent Montmartre. En conclusion, Michèle Audin fait le compte : « Avec certitude, 10 000 morts de la Semaine sanglante inhumés dans les cimetières parisiens. Et, en tout, « certainement 15 000 morts ». Il y a des rêves qui dérangent terriblement.
Jean-Luc Porquet
mercredi 24 février 2021 :: Permalien
Publié sur En attendant Nadeau, 24 février 2021.
Une autre traduction de La Ferme des animaux, par Philippe Mortimer, vient de paraître aux éditions Libertalia. On y trouve les indispensables notes de bas de page, mais aussi (en annexe) les deux préfaces écrites par Orwell pour ce livre, et surtout (intégralement citée dans la préface du traducteur) sa lettre du 5 décembre 1946 à Dwight Macdonald où il explique, avec la plus grande précision, la signification politique qu’il donne à son roman. L’évolution de la révolution russe, conclut-il, « était entièrement prévisible […] en raison de la nature même du parti bolchevik. Ce que j’ai tenté de dire, c’est : “Vous ne pouvez pas faire la révolution si vous ne la faites pas vous-même. Il ne peut y avoir de dictature bienfaisante” ».
Comme on voit, contrairement à ce que voudrait nous faire croire une interprétation conservatrice de la pensée d’Orwell assez répandue aujourd’hui, il ne dit pas : « Toutes les révolutions aboutissent à des dictatures ». Il dit : si vous ne voulez pas que la révolution à laquelle vous aspirez dégénère en dictature, faites-la vous-même et ne laissez pas les dictateurs s’en emparer. Comme toujours chez lui, il n’y a ni déterminisme, ni loi de l’histoire. L’issue dépend de nous. Orwell est, comme Machiavel, un penseur de la contingence et de la volonté. Parmi les penseurs de gauche, c’est une qualité plutôt rare.
Jean-Jacques Rosat
mercredi 24 février 2021 :: Permalien
Télérama.fr, 1er août 2019, mis à jour le 7 décembre 2020.
Libertalia : un endroit paradisiaque dans le nord de Madagascar, où les pirates avaient mis en place une vie libertaire et égalitaire… Ce mythe a inspiré moult idéaux politiques.
« Yo-ho-ho ! et une bouteille de rhum ! » Permettez-nous exceptionnellement, cher lecteur, de nous verser un peu de ce divin breuvage cher aux flibustiers de Robert Louis Stevenson. Oh, juste une goutte, histoire de nous donner le courage d’affronter les périls d’un long voyage, qui nous fera traverser mers et océans jusqu’à Madagascar et ses enchanteurs rivages… Cette expédition, nous allons l’entreprendre dans le sillage de quelques pirates restés fameux, Henry Avery, William Kidd, James Plantain. Et surtout dans celui d’un jeune huguenot d’origine provençale, Misson, et de son ami prêtre défroqué, un Italien du nom de Carracioli. Avec leurs compagnons, ils créèrent il y a bien longtemps, dans le nord de la Grande Île, une république utopique dont les idéaux révolutionnaires n’ont cessé depuis d’imprégner de nombreux imaginaires. Son nom ? Il claque comme un coup de fouet : Libertalia !
Notre récit commence vers la fin du XVIIe siècle, en ces temps où Louis XIV est en guerre avec tout le reste de l’Europe, à bord du Victoire, un vaisseau de trente canons sur lequel nos deux héros ont embarqué à La Rochelle. Arrivé du côté de la Martinique, il rencontre le Winchelsea, un navire anglais, et l’affrontement est rude : tous les commandants français sont tués par la première bordée des canons ennemis. Le Victoire s’en sort par miracle. Misson, encouragé par Carracioli, s’empare alors du sabre de capitaine. Il propose aux hommes d’équipage d’élire leurs officiers et de ne plus combattre désormais que pour leur propre compte : « Notre cause est brave, juste, innocente et noble, car elle se nomme liberté », s’exclame-t-il avant de faire hisser au mât un étendard blanc frappé de la devise « A Deo libertate » (« Pour Dieu et la liberté »). Vogue la galère, les voilà partis pour une vie d’écumeurs de mers. De la Jamaïque à l’Angola, en passant par la Colombie et le Panama, ils capturent ou coulent plusieurs navires anglais et hollandais. À chaque fois, ils épargnent les marins rescapés, permettent à ceux qui le veulent de s’engager à leurs côtés et laissent aux autres suffisamment de vivres pour qu’ils puissent rejoindre le port le plus proche. Et, fidèles à leur cri de ralliement, lorsqu’ils tombent sur un bateau négrier, ils rendent leur liberté aux esclaves qui viennent également renforcer leur équipage…
Du Cap, ils remontent ainsi jusqu’à l’archipel des Comores, avant de faire voile vers la pointe nord-est de Madagascar, la baie de Diego-Suarez. Dans son Histoire générale des plus fameux pyrates, publiée à Londres en 1724-1728, le capitaine Charles Johnson – qui ne serait autre que Daniel Defoe, l’auteur de Robinson Crusoé – raconte que Misson décida de s’établir là, dans une petite crique qui offrait « un vaste havre très sûr […] ; l’air était pur, le relief égal. Il décida que c’était là un asile idéal ». Nos aventuriers y construisent un port flanqué de deux fortins, des maisons, des magasins. Surtout, ils instaurent un système de gouvernement avec Assemblée constituante, chargée de voter « des lois saines dans l’intérêt du public ». Terres, bétail et trésor de guerre sont répartis équitablement. Misson est élu à la tête de l’État, pour une durée de trois ans, le mandat limité en temps permettant « aux hommes les plus compétents [de se relayer] aux affaires, et leur pouvoir étant bref, nul ne serait tenté d’en abuser ». Il gouverne avec un conseil composé « sans distinction de nation ou de couleur ». Libertalia, c’était donc ça : une « république à l’époque de la monarchie, une démocratie à l’époque du despotisme », un « lieu où le pauvre et l’exproprié recouvraient leurs droits les plus élémentaires », préfigurant « les sociétés fondées sur les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité », écrit l’historien américain Marcus Rediker dans Pirates de tous les pays.
Trois ans d’une vie libertaire qui se termina dans un bain de sang, un jour funeste où presque tous les habitants se firent massacrer par leurs voisins malgaches. Une belle et triste histoire, donc… et qui doit être prise comme telle. Car, en réalité, cette colonie n’a probablement jamais existé. En dehors de Johnson-Defoe, qui prétend tenir ses informations d’un manuscrit français transmis par un ami, personne n’a jamais pu attester l’existence historique de Misson et de Carracioli. Il aura tout de même fallu attendre les années 1990 pour que les historiens français reconnaissent qu’il s’agissait là d’une fiction, sans doute agglomérée à partir de récits de voyage déjà publiés (et donc… piratés par l’écrivain !) et de souvenirs de marins recueillis dans des pubs enfumés. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’à cette époque Madagascar accueillit effectivement plusieurs refuges de pirates, notamment sur sa côte nord-est et sur l’île Sainte-Marie (où l’on trouve encore aujourd’hui plusieurs cimetières de forbans). Et ceux-ci furent effectivement le creuset d’expérimentations sociales et politiques de la part de ces rebelles qui lançaient « un défi aux conventions de classe, de race, de genre et de nation » en pratiquant une forme « de terrorisme contre le terrorisme d’État », selon les mots de Rediker.
Mythe ou réalité, finalement, peu importe. Comme l’explique l’universitaire Nivoelisoa Galibert (décédée en 2011) dans un chapitre du livre collectif Les Tyrans de la mer : pirates, corsaires et flibustiers, « la signification de cette “république internationale sur une côte perdue d’un pays sauvage” ne réside pas dans son existence historique mais dans le fait que des milliers de lecteurs pendant près de trois siècles ont cru à son existence ». L’anthropologue américain David Graeber, qui ne fait pas mystère de ses opinions anarchistes — il s’est battu aux côtés des militants d’Occupy Wall Street — ne le dit pas autrement dans son dernier essai, consacré à Libertalia, « une source d’inspiration infinie pour la gauche libertaire. Même si cela n’avait jamais existé, cela aurait dû exister. C’était une sorte de promesse rédemptrice d’une véritable alternative ». Mais il souligne aussi combien Libertalia reste raconté d’un point de vue eurocentrique, réduisant les Malgaches à de bons sauvages, quand ils viennent offrir du riz bouilli et des volailles aux pirates, ou à de méchants barbares, quand ils finissent par les zigouiller. Alors que l’histoire, la vraie, ne s’arrête pas là. Ces forbans représentaient « un défi aux conventions de classe, de race, de genre et de nation ».
Car, pour Graeber, les pirates de la région furent à l’origine d’une double révolution. Sexuelle, d’abord : au sein de l’ethnie locale, lointaine descendance de migrants juifs ou peut-être arabes, les mâles tenaient fermement les rênes du foyer. De nombreuses femmes cherchèrent à s’en échapper en se mariant avec ces coureurs des mers, nantis de biens à échanger et auréolés de leur statut d’indociles étrangers. En devenant possédantes, ces femmes s’affranchirent et s’établirent comme commerçantes. Et révolution politique, ensuite : les enfants de ces unions mixtes, appelés Zana-malata, formèrent une nouvelle élite, dont fut issu le charismatique Ratsimilaho. De 1712 à 1750, ce chef de guerre régna sur la confédération des Betsimisaraka (« Les nombreux qui ne se séparent pas ») en mettant en place une « synthèse inventive des principes de gouvernance pirate et de certains des éléments les plus égalitaristes de la culture politique malgache traditionnelle ». Mais toute solidaire qu’elle fût, cette confédération ne survécut pas à la mort de Ratsimilaho et se fit absorber par le puissant royaume du centre de l’île, celui des Merina et de sa société organisée sous forme de castes. Ce qui n’empêcha pas la tension entre ces derniers et les « côtiers » de perdurer pendant longtemps. Ce fut même l’un des moteurs de l’insurrection de 1947 contre le joug français, et les populations de cette côte est furent d’ailleurs parmi les plus férocement touchées par la répression menée par l’occupant, qui fit au moins quatre-vingt-dix mille morts… Madagascar n’obtint l’indépendance qu’en 1960.
Alors, cher lecteur, si un jour vous avez l’occasion de passer par Diego-Suarez, ne vous contentez pas d’arpenter les rues de cette ville qui fut pendant longtemps un bastion militaire français. Hélez un taxi (une 4L beige, forcément) qui se fera un plaisir de vous emmener dans le petit village de Ramena. Pour une somme assez modeste, une fois convertie en euros, vous y trouverez sans peine un pêcheur, qui vous fera voguer à bord de son petit voilier jusqu’à l’un des îlots de la mer d’Émeraude. Un lagon enchanteur, à la sortie de la grande baie près de la barrière de corail, où, comme son nom l’indique, l’eau est d’un vert éclatant, le sable, blanc, et les poissons sont multicolores. Pendant que le pêcheur ira harponner votre déjeuner, qu’il fera ensuite griller au feu de bois sur la plage avant de vous le servir accompagné de riz coco, vous pourrez vous laisser aller à songer aux pirates qui sont passés par là, et à leur héritage politique. Amère ironie : dans ce petit coin de paradis, vous serez à la fois très proche, et très éloigné, de ce qu’ils voulaient mettre en place avec leurs utopies.
Thomas Bécard
vendredi 5 février 2021 :: Permalien
Valerie Rey-Robert participait à l’émission Le Temps du débat du 3 février 2021 pour débattre de la question « Existe-t-il une culture du viol ? » avec Eugénie Bastié et Florian Vörös :
https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/le-temps-du-debat-emission-du-mercredi-03-fevrier-2021
mercredi 3 février 2021 :: Permalien
Publiés sur macommunedeparis.com (30 janvier 2021).
Des communards internationalistes, Léo Frankel est le plus jeune. Il a 27 ans pendant la Commune. Il est aussi le plus « international », au vu du nombre de pays dans lesquels il s’est déjà rendu.
Il est rigoureux et plein d’humour. Souvenez-vous, comme cet ouvrier hongrois de 26 ans se moquait des juges impériaux :
J’ignore à quelle école philosophique M. l’avocat impérial a appris la dialectique, mais son raisonnement me paraît aussi logique que celui qui consisterait, en voyant un enfant fermer les yeux, à déclarer que son père est aveugle.
C’était lors du troisième procès de l’Internationale, le 2 juillet 1870. Écoutez-le, quelques mois plus tard, défendre, à la Commune, les mesures socialistes prises par la délégation du travail :
Je le défends [le décret sur le travail de nuit des ouvriers-boulangers], parce que je trouve que c’est le seul décret véritablement socialiste qui ait été rendu par la Commune ;
Je n’ai accepté d’autre mandat ici que celui de défendre le prolétariat, et, quand une mesure est juste, je l’accepte et je l’exécute sans m’occuper de consulter les patrons.
Et cet homme, cet étranger, dont la Commune a validé l’élection,
Considérant que le titre de membre de la Commune, étant une marque de confiance plus grande encore que le titre de citoyen, comporte implicitement cette dernière qualité ;
La commission est d’avis que les étrangers peuvent être admis, et vous propose l’admission du citoyen Frankel,
cet homme, le premier « ministre » du travail de toute l’histoire de France, un des premiers marxistes au monde, qui a été blessé Faubourg-Saint-Antoine en défendant la Commune, qui a réussi à gagner la Suisse puis l’Angleterre, a été condamné à mort par contumace par les versaillais, emprisonné en Autriche au risque d’être extradé — et donc exécuté –, qui après avoir été ouvrier bijoutier, a été correcteur et journaliste et, après avoir vécu dans différents pays européens, a choisi de venir s’installer à Paris, pour y travailler, s’y est marié, y a eu des enfants, cet homme remarquable, il n’y avait aucune biographie de lui en français !…
Eh bien voilà, c’est fait, il y a en a une. Merci à Julien Chuzeville (et à son éditeur).
C’est un beau livre (rouge) et la belle histoire d’un beau personnage, de sa naissance le 28 février 1844 à Obuda (Budapest) à sa mort de la tuberculose à l’hôpital Lariboisière (Paris) le 29 mars 1896, à travers toute l’Europe, toujours militant et agissant pour l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes (selon la devise de l’Association internationale des travailleurs).
Outre raconter la vie de Léo Frankel, ce qui l’a amené à dépouiller des archives, à lire des lettres et des journaux de plusieurs pays (et en plusieurs langues, dont l’allemand et le hongrois), Julien Chuzeville nous donne à lire de fort beaux textes de Léo Frankel, dont plusieurs paraissent ici pour la première fois en traduction française.
Je reproduirai deux de ces lettres de 1871 dans mes articles du cent cinquantenaire (le 13 mai, et les 12 et 13 juin).
Pour aujourd’hui, laissez-moi vous citer le début d’une lettre plus tardive. Léo Frankel est (encore une fois) en prison, à Vác (sur le Danube, à 40 km au nord de Budapest) et il apprend la mort de Jenny von Westphalen, l’épouse de Karl Marx. Il a vécu près des Marx à Londres et il en est resté très proche. Il signe d’ailleurs cette lettre « Ton très fervent ami et disciple ».
Le 18 décembre 1881
Cher, très cher ami !
En raison de mon emprisonnement qui ne me permet que de rares échanges avec l’extérieur, ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai appris la nouvelle qui t’a frappé le 2 de ce mois-ci de l’amère disparition de ton excellente femme. Depuis la mort de ma bonne mère, que j’ai perdue alors que j’habitais à Paris, aucune nouvelle ne m’a autant secoué. Et c’est à moi qu’il reviendrait de te consoler ! Je cherche moi-même à me ressaisir, à me consoler ; comment pourrais-je dès lors te consoler de cette perte, toi qui as perdu à jamais une femme aimante, une amie entièrement dévouée, une compagne de vie débordant d’esprit ?! […]
Lisez le livre et la lettre en entier, Léo Frankel y explique à Karl Marx qu’il n’a pas le droit de se laisser submerger par la douleur : il est l’obligé du prolétariat, auquel il a forgé les armes intellectuelles pour combattre.
Je conclurai cet article avec quelques mots de Jean Allemane après la mort de Léo Frankel. Il était mécontent de certains discours entendus lors de l’enterrement :
Si telle doit être l’apothéose des communards, prière de les laisser crever tranquilles.
Et aussi
Ce qu’il fallait dire, ce qu’il est important que sachent nos fils, c’est que le mouvement de 1871 doit à Léo Frankel et à ses obscurs collaborateurs, de surgir dans l’histoire — non pas comme une révolte patriotarde ou politique — mais comme la Révolution sociale avec ses inévitables conséquences et son aboutissement franchement COMMUNISTE.
Voilà. Le livre arrive en librairie le 18 février.
Michèle Audin