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vendredi 18 juin 2021 :: Permalien
Publié dans L’Obs du 10 au 16 juin 2021.
1915. Jack London, qui se sait mourant fait le récit d’un homme prisonnier des geôles de San Quentin (Californie), nommé Darrell Standing, condamné pour un crime qu’il n’a pas commis et dont la force d’esprit lui vaut la haine d’un surveillant, et la camisole de force. Jack reste ainsi London avec une plume trempée dans la plaie jusqu’à son dernier jour afin de montrer le sadisme qui s’exerce sans contrôle sur les membres des « classes dangereuses ». Pour échapper à son martyre, le reclus parvient à sortir de son corps compressé et ce vagabondage cérébral le mène dans ses vies antérieures. O la riche idée ! L’auteur de Martin Eden et de Grève générale déplie ainsi son œuvre inachevée, riche de tous les livres qui lui restent à écrire. Autre chose, encore : le reclus observe les mouches dans sa cellule et voit bien que chacune est un « individu à part entière », l’une indolente, l’autre nerveuse, une troisième très joueuse, une autre « maussade et renfrognée », et ceci un siècle avant la découverte de la personnalité des espèces, qui n’est pas le propre de l’homme. Le Vagabond des étoiles, le dernier roman de Jack London est, de loin, le plus surprenant.
Anne Crignon
vendredi 11 juin 2021 :: Permalien
Publié sur sur BibliObs, le 10 juin 2021.
1914. Jack London se sait mourant et se lance dans le récit d’un homme prisonnier des geôles de San Quentin (Californie), nommé Darell Standing, condamné pour un crime qu’il n’a pas commis et dont la force d’esprit lui vaut la haine d’un surveillant et la camisole de force. Jack reste ainsi London jusqu’à son dernier souffle avec une plume trempée dans la plaie pour décrire le sadisme qui s’exerce sans contrôle sur les « classes dangereuses ». En compagnie des mouches, le reclus les observe et se dit que chacune est « un individu à part entière », l’une indolente, l’autre nerveuse, une troisième joueuse, une autre « maussade et renfrognée ». Comme souvent, l’auteur de Martin Eden a quelques trains d’avance car il écrit ceci un siècle avant la découverte de la personnalité propre des individus au sein d’une même espèce. Voici cet étonnant passage du Vagabond des étoiles, offert à nos lecteurs par les éditions Libertalia : www.nouvelobs.com/romans/20210610.OBS45090/jack-london-cette-fine-mouche.html
A. C.
jeudi 10 juin 2021 :: Permalien
Cher Marc,
Tu n’as jamais fait partie, tu ne feras jamais partie des morts-vivants qui perpétuent la longue agonie du vieux monde. C’est pourquoi je m’adresse à toi au nom de cette vivacité qui ne t’a jamais quittée et qui continuera d’être présente parmi nous. Car légataires des insurgées et des insurgés du passé, nous jetons les bases d’une véritable internationale du genre humain. Choisir le parti pris de la vie est désormais le seul recours contre ceux qui sèment la mort sur la terre entière. C’est le combat que tu as choisi de mener et ton amitié rayonnante avait souvent plus d’efficacité que bien des diatribes. L’érudition et la vigilance de l’éditeur nous ont donné des écrits rares et percutants. L’infatigable responsable de la Voie du jaguar a préparé la venue imminente des zapatistes qui débarquent porteurs d’un monde nouveau dans la vieille Europe si acharnée à les réduire en esclavage. Dans toutes les festivités à venir il sera l’ombre du personnage absent.
Mais je ne veux pas verser dans l’oraison funèbre.
Marc était avant tout un ami. Cette magie intime que sont les affinités électives nous avait fait proches. J’ai beau savoir que la mort t’a cueilli dans l’exaltation de Rosa Nera redevenue libre, je n’en reste pas moins convaincu qu’aucune mort n’est heureuse.
Néanmoins, nous étions pour ainsi dire en conversation lors de cet étincellement de l’enthousiasme qui t’a frappé. J’aime à voir dans cette fulgurance – funèbre pour nous, joyeuse pour toi – un appel à ne jamais désespérer ni de sa propre existence ni du monde, si délabré qu’il nous paraisse.
Tu as toujours eu l’art de persuader sans donner de leçons. Merci Marc.
Raoul Vaneigem, 9 juin 2021.
mercredi 9 juin 2021 :: Permalien
Publié dans Le Canard enchaîné du 9 juin 2021.
« Je t’ai détestée tout de suite, lui dit sa mère, j’ai failli mourir en te mettant au monde… » Fessées quotidiennes, dureté, manque de tendresse : May Picqueray (1898-1983) en fut marquée à vie. « C’est bien la conduite maternelle qui a fait naître en moi cette révolte contre l’injustice qui ne m’a jamais quittée. » Encore fallait-il que cette révolte trouve un sens et une cohérence…
C’est en 1919, au Bouillon Bourdeau, place Saint-Michel, à Paris, que May Picqueray rencontre Dragui. Et que sa vie change. Elle a 21 ans, travaille depuis l’âge de 11 ans, a séjourné au Canada pendant deux ans pour veiller sur un enfant épileptique, l’a vu mourir, et mourir ses parents, est rentrée seule en France, s’est vite mariée, a quitté son mari trois semaines après (il se droguait, la battait), a failli mourir de la grippe espagnole, a eu un enfant mort-né…
Dragui est serbe, étudiant en médecine et anarchiste. Il l’emmène écouter Sébastien Faure. C’est sur un texte de ce dernier que s’ouvre cette autobiographie de May Picqueray, un texte qui « a guidé toute ma vie », dit-elle. Quatre pages qui résument la doctrine libertaire. Oui, « les anarchistes veulent organiser l’entente libre, l’aide fraternelle, l’accord harmonieux »…
D’une plume vive et chaleureuse, elle se raconte et raconte le siècle. Le groupe anar des XIIIe et Ve. Les cafés-concerts comme La Muse rouge – « On chantait beaucoup, dans les milieux anarchistes » –, où elle voit Pierre Dac faire ses débuts. Les meetings et les manifs, les compagnons de combat comme le pacifiste Louis Lecoin, « la joie de vivre et l’amitié », l’affaire Sacco et Vanzetti (elle envoie une grenade par la poste à l’ambassade des États-Unis), la soirée au Kremlin où Trotski lui demande une chanson (et la voilà qui chante Le Triomphe de l’anarchie de son pote Charles d’Avray), les prisonniers qu’elle fait évader du camp du Vernet, les barricades de Mai-68, la création du journal Le Libertaire, etc.
Ah, un détail : May Picqueray a été correctrice pendant un quart de siècle au Canard. Lequel s’en honore encore.
Jean-Luc Porquet
mercredi 9 juin 2021 :: Permalien
Publié sur Bibliothèque Fahrenheit 451, 8 juin 2021.
Léo Frankel naît et grandit en Hongrie, pays pluriconfessionnel et multiethnique. Il devient ouvrier d’art en orfèvrerie, après de courtes études, et s’initie au socialisme auprès de travailleurs, dans le sud de l’Allemagne où il s’est rendu pour perfectionner son métier. Julien Chuzeville reconstitue ses premiers engagements : sa rencontre avec Marx, à Londres, dès 1869 n’est pas avérée, sa participation au groupe de l’AIT du XIIIe arrondissement de Paris est difficile à dater avec précision. En revanche, il est bien signataire de la protestation contre l’arrestation de Varlin le 13 février 1870, et fondateur de la section allemande de Paris de l’AIT, qui comptera jusqu’à une quarantaine d’adhérents, puis son secrétaire-correspondant. Il est inculpé, lors de la vague de répression bonapartiste, pour appartenance à une « société secrète », puis condamné à deux mois de prison, avec 37 autres accusés.
À l’automne 1870, il intègre le 66e bataillon de la Garde nationale, basé dans le XIe arrondissement. Alors que le gouvernement d’Adolphe Thiers tentera de désarmer la Garde nationale, il doit se replier à Versailles et laisser place à la Commune, réclamée depuis des mois. Aux élections du 26 mars, Frankel est élu dans le XIIIe arrondissement et sera l’un des militant de l’AIT les plus actifs. Il fait partie de la commission du travail, de l’industrie et de l’échange. Julien Chuzeville rapporte scrupuleusement chacune de ses interventions dont il a réussi à retrouver trace dans la presse, les archives des délibérations ou des correspondances. Sous sa direction, la commission met en place plusieurs mesures sociales : suppression du travail de nuit des boulangers, réquisition au profit d’associations ouvrières des ateliers abandonnés, interdiction des amendes et retenues sur salaires, indemnités journalières pour les femmes illégitimes des gardes nationaux équivalentes à celles des femmes légitimes, etc. « Frankel figure parmi les militants les plus avancés de l’AIT, en faveur de l’égalité femmes-hommes notamment. » Ses propositions ne sont pas toutes acceptées : suppression des mont-de-piété, journée de huit heures, etc.
Pendant la Semaine sanglante, il fait partie du Conseil qui se regroupe dans le XIe arrondissement et défend une barricade rue du Faubourg-Saint-Antoine, où il est gravement blessé. Il parvient à échapper à la répression versaillaise avec l’aide d’Élisabeth Dimitrieff, et à rejoindre la Suisse. Se sachant recherché, il fuit à Londres, par la Belgique et sera condamné à mort par contumace le 19 novembre 1872. Après avoir intégré, à l’automne 1871, le cercle des proches de Marx, il est élu à l’unanimité, avec deux autres communards, comme membre du conseil général de l’AIT, le 22 août 1872. Il continuera à publier de très nombreux articles qui auront une certaine influence, et à participer à de nombreux journaux, car comme il l’écrivait dans l’Arbeit-Wochen-Chronik : « Une des armes les plus efficaces dans les mains des opprimés contre la classe dominante est la presse. »
Fin 1875, il s’installe à Vienne pour participer à l’essor du mouvement ouvrier en Autriche-Hongrie. Il milite pour le suffrage universel et, pour contourner l’interdiction qui vise toute formation d’associations socialistes, il cofonde le Parti des non-électeurs (Nemválasztók Pártja), en avril 1878. En juin 1881, il est condamné pour avoir publié un texte antimilitariste à près de deux ans de prison. Dès lors, il essaie de se faire plus discret, puis revient vivre à Paris à partir de 1889, après y avoir participé au congrès socialiste qui fonde la Deuxième Internationale. Sa santé se dégradera rapidement : il meurt de tuberculose le 29 mars 1896 et sera enterré quelques jours plus tard au cimetière du Père-Lachaise.
Son énergie et son engagement permanent impressionnent. Fort de ses recherches, Julien Chuzeville s’est efforcé, autant que faire se peut, de rapporter les propos et les prises de position de Léo Frankel, démontrant, s’il en était besoin, qu’il était avant tout un « internationaliste en actes ».
Ernest London, le bibliothécaire-armurier