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Rino Della Negra sur Bibliothèque Fahrenheit 451

jeudi 24 février 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur Bibliothèque Fahrenheit 451 le 21 février 2022.

« Nous sommes les Red Star fans / On vient de la banlieue rouge / Et la Rino s’enflamme / Toujours pour l’Étoile Rouge » chantent les supporters du stade Bauer de Saint-Ouen. Le nom de leur tribune : Rino Della Negra, rend hommage à l’ancien joueur de l’équipe, réfractaire au STO, membre du groupe Manouchian, fusillé à vingt ans au Mont-Valérien le 21 février 1944. Dimitri Manessis et Jean Vigreux, après un impressionnant travail de recherche, dans les archives de la police notamment, analyse la vie de cette icône du football populaire et de la Résistance, ainsi que sa mémoire. « Loin d’une conception figée et surannée de “l’identité nationale”, la biographie de Rino Della Negra s’intègre dans cette histoire d’un pays qui a pu accueillir par-delà les difficultés, qui a su se construire grâce aux échanges multiples, et dont les membres des FTP-MOI ont pu écrire l’une des pages les plus lumineuses. »

Ils reviennent sur les origines frioulanes de sa famille, sa naissance en 1923 à Vimy, dans le Pas-de-Calais, l’installation dans le quartier italien de « Mazzagrande » à Argenteuil alors qu’il a trois ans, où il grandit dans « un îlot de solidarité et de fraternité » et dans un cadre de politisation antifasciste, « un laboratoire municipal du Front populaire où l’éducation, les loisirs et le sport deviennent des vecteurs de la socialisation des habitants ». À 14 ans il entre dans le monde du travail comme ajusteur à Asnières, il découvre brutalement la répression patronale, et en 1938, plusieurs de ses amis rejoignent les Brigades internationales. En décembre 1941, l’ex-député d’Argenteuil et rédacteur en chef de l’Humanité, Gabriel Péri, est fusillé avec d’autres otages. Les auteurs suivent également les traces des différents clubs de football dans lesquels il évolue. Réfractaire au STO en février 1943, il entre en clandestinité et rejoint les FTP-MOI, tout en continuant à jouer sous son vrai nom. Il distribue des tracts, récupère des armes et participe à des sabotages au sein du troisième détachement italien, sous le matricule 10 293 et avec le pseudonyme de « Gilbert Royer ». Dimitri Manessi et Jean Vigreux rapportent plusieurs attentats auxquelles il a participé : contre le général Alexander Abt, contre la caserne Guynemer à Rueil, etc., jusqu’à son arrestation le 12 novembre 1943, son incarcération à Fresnes, le procès expéditif des 24 membres du groupe Manoukian, devant la cour martiale allemande le 19 février 1944, et la gigantesque opération de propagande qui l’accompagna.
Ils confrontent souvent plusieurs versions, s’appuyant sur les archives pour trancher, proposent de copieuses revues de presse commentées et montrent comment les journaux reprennent les communiqués officiels, dépolitisent les actions des partisans, criminalisent leurs motivations.
Enfin, ils explorent le processus mémoriel depuis la manifestation commémorative du 25 février 1945, les différents tournois de football qui portent son nom, jusqu’à la bataille des parents Della Negra pour faire reconnaître à titre posthume l’activité de résistant de leur fils, et celles, plus récentes, pour l’inscription du nom du « martyr de la liberté » dans le paysage urbain, comme pour la tribune du stade Bauer par exemple.

Remarquable biographie qui rend justice aux apports déterminants de l’immigration, et ravive une figure, un combat, un engagement qui devraient s’avérer particulièrement inspirant en ces temps obscurs, montrer un chemin comme une étoile rouge dans la nuit qui s’abat.

Ernest London, le bibliothécaire-armurier