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lundi 25 octobre 2021 :: Permalien
Paru dans Politis, 30 septembre 2021.
Ancien dirigeant de l’ONG Reporters sans frontières, Robert Ménard aime les devants de la scène. Maire de Béziers, ville de province « déclasséé », il joue aisément les porte-parole de la « France d’en bas » alors que, comme toujours à l’extrême droite, il se plaît à frayer avec les dominants. L’historien Richard Vassakos, enseignant à l’université de Montpellier, analyse sa stratégie d’édile d’extrême droite, mêlant provocations musclées et affichages réactionnaires. Le décryptage précieux d’une offensive culturelle nauséabonde, au sens gramscien du terme.
vendredi 22 octobre 2021 :: Permalien
Richard Vassakos, auteur de La Croisade de Robert Ménard, interrogé par France 3 Occitanie à propos de la venue d’Éric Zemmour à Béziers.
« Il affole les sondages, il joue les perturbateurs au sein d’une droite extrême qui ne sait plus où donner de la tête. Éric Zemmour était l’invité de Robert Ménard le maire de Béziers qui rêve toujours d’une union des droites au sens large. Une visite très médiatisée alors que le polémiste n’est toujours pas déclaré candidat à la Présidentielle.
Pourquoi un tel emballement autour d’une personnalité du PAF qui ne laisse pas indifférente ou qui agace ? Un historien chercheur, Richard Vassakos qui a consacré un livre au système Ménard à Béziers s’en explique. »
vendredi 22 octobre 2021 :: Permalien
Paru dans Partisan numéro 14, 2019.
Aussi vrai qu’elles n’ont jamais cessé d’y participer, les femmes n’ont jamais cessé de témoigner des luttes et des révolutions, par la plume et le pinceau. Mais le patriarcat s’est efforcé de les réprimer et les ramener au silence. Et souvent leurs propres camarades révolutionnaires se sont fait les auxiliaires les plus zélé-e-s de cette répression et de cette silenciation. Depuis les années 1970 on redécouvre progressivement l’œuvre de Séverine (de son vrai nom Caroline Rémy), longtemps présentée comme une simple « amie et collaboratrice » de Jules Vallès, le célèbre « insurgé » de la Commune de Paris.
Le centenaire de la révolution d’Octobre a été l’occasion de traduire enfin en français Six mois rouge en Russie de Louise Bryant, et d’apprendre qu’elle n’était pas que la « Friend and lover » de John Reed. Depuis 1919, le livre de Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, traduit dans toutes les langues, a été constamment réédité, et étudié à la loupe par des générations de militant·es qui se rêvaient d’imiter les bolcheviques. On ne se souvenait plus guère de Louise Bryant que grâce ou à cause du film romantique de Warren Beatty, Reds (1981), ou elle apparaissait sous les traits de Diane Keaton. Comme son traducteur l’écrit dans la préface du livre : « Cette unique occurrence cinématographique ne lui permettait pas de sortir du statut dépréciatif de jolie et sympathique girlfriend » du journaliste révolutionnaire. À la lecture de la fresque pleine de vie qu’elle dresse de la deuxième expérience de dictature du prolétariat, on mesure tout ce que lui doit le livre de Reed, publié quelque mois plus tard.
Journaliste socialiste et féministe, engagée dans le soutien aux luttes ouvrières et dans la bataille pour le droit de vote des femmes, Bryant a existé et témoigné de son temps avant sa rencontre avec Reed et a continué à la faire pendant les seize années où elle lui a survécu. Reed est mort à Moscou en 1920 dans les années héroïques de la révolution (même s’il sentait déjà venir le ressac). Bryant aura le temps de voir et de dénoncer dès 1926 la dégénérescence du processus révolutionnaire, sans pour autant renoncer à son idéal de libération. La bourgeoisie ne lui donnera pas l’absolution qu’elle réserve aux repentis. De plus, elle était trop libre et trop bisexuelle pour que son époque le lui pardonne. Même l’anarchiste Emma Goldmann la trouvait trop délurée pour l’inviter à sa révolution. Aucun groupe militant n’était prêt à prendre soin de son souvenir. Notre époque semble prête à l’écouter enfin. Tant mieux.
Comme femme, elle aura un accès privilégié à des figures de la révolution comme Catherine Breshkovski, Maria Spiridonova ou la camarade Alexandra Kollontaï. Elle aura côtoyé de près les bolcheviques dans leur QG de l’institut Smolny. Surtout, elle décrit avec finesse la spontanéité révolutionnaire, la rapide maturation des consciences, la façon dont le prolétariat s’empare des problèmes politiques et prend confiance en sa force. Bien loin des fantasmes de complots, et de coups d’état par lesquels la bourgeoisie explique la révolution, ce récit remet les masses sur le devant de la scène. Il montre que la réalité d’une révolution est complexe et ne rentre pas dans les schémas préétablis chers aux dogmatiques. Elle montre aussi à quel point c’est une expérience exaltante et elle le fait avec beaucoup d’humour, de passion et de lucidité politique.
mardi 19 octobre 2021 :: Permalien
Publié dans Libération, le 19 octobre 2021.
Radical et parfois déconcertant, un abécédaire réunit 68 autrices pour saisir le foisonnement de ces mouvements ces vingt dernières années.
« C’est une arme par destination », lance mi-sérieuse mi-amusée Elsa Dorlin. La philosophe et militante féministe a coordonné Feu ! Abécédaire des féminismes présents, publié le 14 octobre aux éditions Libertalia. Un objet contondant de 700 pages, qui réunit 68 autrices, militantes, penseuses, collectifs pour saisir la diversité des mouvements féministes de ces vingt dernières années. Des noms connus : Adèle Haenel, Assa Traoré, Valérie Rey-Robert, d’autres plus souterrains, non moins importants comme Geneviève Bernanos, cofondatrice du collectif Mères solidaires, des zadistes, des zapatistes…
Le duo entre la maison d’édition de critique sociale, indépendante, volontiers pirate et la féministe radicale laisse peu de place au doute quant au contenu de l’ouvrage. « Les féminismes contés dans ce livre sont autant de brasiers allumés, de contre-feux dans un monde partout calciné par le patriarcat », écrit Elsa Dorlin dès l’introduction.
Aucun article ne se ressemble, entre témoignages, manifestes, développements scientifiques. « Viande », « roller derby », beaucoup de notices surprennent, au milieu des plus classiques « intersectionnalité » et « écoféminisme ». Pas question de frontières fixes, donc, mais plutôt de lignes mouvantes, une « mangrove » selon l’expression d’Elsa Dorlin. Au cours des pages, le lecteur ou la lectrice découvre une nouvelle géographie du féminisme. Ainsi de l’analyse du cancer du sein que développe l’anthropologue Mounia el-Kotni. Pour elle, la malade est un violent réceptacle de toutes les injonctions à la féminité : continuer à se maquiller, mettre des perruques est autant de façon de « rester dans le rang » du féminin. « Cette injonction à la féminité […] fait du cancer du sein un lieu à partir duquel il est possible d’interroger le genre », explique l’autrice.
Dans « Mères », Fatima Ouassak croise le fer avec une certaine vision du féminisme qui, sous l’impulsion de la seconde vague, considère la maternité comme une aliénation : « En France, être mère, c’est trahir Simone de Beauvoir. […]. C’est perdre des neurones […] un truc de beauf, un truc d’immigrée. » Contre cette vision elle oppose une mère politique, engagée en collectif, au front pour une nouvelle éducation des filles et surtout des garçons. « Quels enfants pour le monde ? »
Toute la chair et la vivacité de l’ouvrage sont là : dans des témoignages puissants, des articles fouillés qui viennent du terrain. Car les coordinatrices de l’ouvrage ont eu à cœur de proposer une histoire populaire des féminismes, qui part des « révolutions », des « contre-conduites », des actrices et acteurs des mouvements féministes. La diversité des thèmes, parfois déconcertante, alimente une grande « boîte à outils » dans laquelle piocher pour « affûter ses armes » et « écouter des voix ».
Finalement, c’est à Despentes que les autrices ont laissé le soin de conclure cette joyeuse jungle : « Sur ce, salut les filles, et meilleure route. »
Clara Guillard
mardi 19 octobre 2021 :: Permalien
Paru sur le site lesmissives.fr, le 3 octobre 2021.
Un livre-somme, un pavé dans la gueule du patriarcat, un remarquable état des lieux des luttes féministes : avec Feu ! les éditions Libertalia offrent au public un ouvrage qui fera date et prendra place parmi les indispensables de nos bibliothèques.
Elsa Dorlin, professeure de philosophie et autrice notamment de l’excellent Se défendre, une philosophie de la violence, réunit une soixantaine de contributeurs.trices aux profils variés : universitaires, artistes, militant.e.s issu.e.s du monde associatif, sportives, cyber-activistes, « simples » témoins : chacun.e apporte sa pierre à l’édifice, selon son champ de compétence et ses expériences de vie. La réflexion théorique et l’expérience sensible s’articulent alors, pour éviter que la pensée ne devienne « un exercice mécanique et presque vain – celui d’une élite qui a le temps et le loisir de ratiociner » [1].
La forme choisie, l’abécédaire, rend la lecture dynamique en ce que les lecteurs.ices choisissent leur propre chemin au fil des textes : chacun.e pourra naviguer au gré de ses intérêts et de sa curiosité, de « Internet (Cyberféminisme) » à « Handies-féminismes », en passant par « Rappeuses » ou « Ménopausées ». Au gré aussi des grandes figures médiatiques qui ont accepté de prendre la plume pour participer à ce bel ouvrage collaboratif : « Feu ! », l’article éponyme d’Adèle Haenel et « Antigone », d’Assa Traoré sont deux puissants témoignages et outils de réflexion aussi attendus qu’incontournables. Toutes deux ont su se faire entendre, avec fracas, et ont été salies, insultées, menacées par tous ceux qui voudraient voir leur douleur reléguée au rang de drame personnel afin d’éviter la remise en question de tout un système qui se nourrit des violences sexuelles, policières et racistes. Adèle Haenel comme Assa Traoré illustrent dans leur chair à quel point l’intime est politique.
Politique, la forme même de l’abécédaire l’est aussi : quand on sait que le langage est un enjeu de pouvoir, qu’il peut blesser, enfermer et invisibiliser, proposer un nouvel alphabet, c’est refuser de se laisser raconter par d’autres voix que les nôtres.
La préface donne le ton : il s’agit de proposer une histoire populaire du féminisme des vingt dernières années. Une histoire dont nous sommes à la fois « les ouvrières et les combattantes, les relais et le chœur, les scribes et les conteuses ». Les références à Une histoire populaire des États-Unis d’Howard Zinn et à James Baldwin avec La Prochaine Fois, le feu, ancrent cet abécédaire dans une veine féministe qui lutte autant contre le capitalisme et le néo-colonialisme que contre le patriarcat, consciente que les systèmes d’oppression se superposent et s’alimentent les uns les autres. Pas de place pour un féminisme tiède et poli qui demanderait gentiment « à l’État, au patron ou à papa » l’insigne privilège de devenir cheffe d’entreprise – mais quand même pas à salaire égal, n’en demandez pas trop ! En cela, l’ouverture du recueil sur l’article « Abolitionnisme pénal » de Gwenola Ricordeau inscrit d’emblée l’ouvrage dans une posture alternative qui refuse d’instrumentaliser le féminisme pour renforcer les oppressions perpétrées par l’État soi-disant pour protéger les femmes. De la même façon, quand Myriam Bahaffou affirme dans l’article « Écoféminisme radical » que « ce n’est pas un droit pour les femmes d’accéder à la destruction du monde » on comprend bien que le féminisme dont il est question entend rêver à un nouveau modèle de société tout en travaillant à son élaboration. Les articles « Femmes en gilet jaune », « Une Grève à soi », sur les luttes des femmes de chambre, ou le stimulant « (Refus du) Travail » de Morgane Merteuil illustrent à merveille cette volonté affirmée dans la préface, non pas de repartir de zéro mais de partir « d’en bas ». En cela, la place importante donnée aux textes de militant.e.s et activistes de terrain est remarquable : l’article signé par le collectif des colleuses de Marseille ou celui de Veronica Noseda, qui a milité au sein du collectif Oui Oui Oui pour le mariage pour tous en 2012, mettent en valeur cette expérience de la rue faite de solidarité, d’engagement et de vitalité du corps manifestant, mais aussi de confrontations haineuses et violentes avec celles et ceux qui cherchent encore à réduire au silence les agitateurs.ices de tout ordre.
La dimension internationale de l’ouvrage est réjouissante, et louable la volonté d’Elsa Dorlin de décentrer les pistes de réflexion. Les voix des femmes sud-américaines résonnent dans l’article « Corps-continent » de Mila Ivanovic, celles des tunisiennes et plus largement de toutes celles qui ont participé aux soulèvements populaires du printemps arabe sont mises à l’honneur par Rosa Moussaoui dans « Internationalisme », les articles consacrés au courage des femmes kurdes, aux luttes romani ou encore au modèle zapatiste, dessinent autant d’horizons inspirants : Feu ! se fait alors l’écho d’un vaste chœur de femmes, et l’on se prend à rêver, comme les habitantes de la ZAD, à des « rencontres intergalactiques » [2] qui nous permettraient d’agrandir nos imaginaires.
Feu ! est aussi un ouvrage courageux qui ne nie pas les conflits propres aux féminismes, qui ne se berce pas d’une illusion éthérée nous faisant croire à l’existence magique d’un féminisme unilatéral et harmonieux. Faire entendre des voix multiples, c’est accepter le risque de la discordance. Le brillant article de Fatima Ouassak réhabilite ainsi la puissance des mères en tant que force politique, et égratigne au passage, à raison, une bonne partie des féminismes blancs et bourgeois considérant la maternité comme une aliénation : « Les féminismes n’ont rien fait des mères. L’immigration, si ! Notamment parce que la famille, pour les immigrés, ce n’est pas que la famille de Pétain, ce n’est pas que le lieu principal où s’exercent les violences physiques et sexuelles. C’est aussi une famille-ressource. Dans l’immigration, dans le contexte hostile qu’est la société française, heureusement qu’il y a la famille ! » [3]. Les dissensions apparaissent ainsi entre différents courants féministes, et l’amertume affleure dans certains articles signés par celles qu’on discrédite et qu’on dédaigne malgré les beaux discours d’inclusion. En proposant un projet polyphonique, Feu ! accueille la possibilité du débat fécond, qui fait bouger les lignes et vaciller les certitudes.
Si une grande partie des textes proposés permet de constituer un savoir et un corpus théorique de qualité, certains témoignent d’expériences particulièrement émouvantes et portent une parole à la première personne dont la force poétique nous remue. Quand Daria Marx affirme « Je m’appelle Daria Marx et je suis une grosse queer » [4], quand Annabel Guérédrat martèle « Je suis écoféministe caribéenne parce que je veux sortir d’une culture prédatrice, misogyne, transcendante, dominatrice et coloniale » [5], quand Nabila O. Hamici confie « j’habite mon corps de travers, à l’arrache » [6], chacune incarne un visage de cette histoire des féminismes présents et fait entendre sa voix pour élaborer un autre récit. Charlotte Bienaimé [7], qui enregistre inlassablement les voix silenciées dans ses podcasts, raconte avoir découvert avec émotion la phrase de Virginia Woolf que je lui emprunte à mon tour : « Toutes ces vies infiniment obscures, il reste à les enregistrer. » En permettant à des voix négligées de sortir de l’ombre, Feu ! entreprend un travail encyclopédique : à nous tous.tes de le poursuivre !
Lucie Giovanetti
[1] Aurélie Knüfer, Philosophes, p.493-503.
[2] Habitantes de la ZAD, « ZAD », p. 699-704.
[3] Fatima Ouassak,« Mères », p. 403-416.
[4] Daria Marx, Genre « Mon genre, c’est grosse », p. 245-252.
[5] Annabel Guérédrat, « Sorcières », p. 581-586.
[6] Nabila O. Hamici « Schizophrénie », p. 567-580
[7] Charlotte Bienaimé, « Voix », p. 687-698.