Le blog des éditions Libertalia

Plutôt couler en beauté dans Dissonances

mardi 16 novembre 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Dissonances, hiver 2021.

Journal de la mer et de la montagne retrouvées, éloge des derniers refuges épargnés par les comptes à rebours, le conformisme, la compétition, le récit prend appui sur l’aventure du navigateur Bernard Moitessier, héraut du refus de parvenir depuis ce jour de 1969 où il décida de ne pas aller au bout de la première course de vitesse en solitaire autour du monde, et de ne pas remporter une victoire pourtant acquise pour échapper aux « faux dieux de l’Occident (…) qui nous mangent le foie, nous sucent la moelle. » Après une thèse sur la notion de réussite chez les entrepreneurs et une carrière prometteuse dans un cabinet de conseil parisien, Corinne Morel Darleux a choisi à son tour de tout plaquer pour s’accorder le temps de la contemplation, à l’image d’un marin qui, en se délestant du superflu, gagne en équilibre et en sérénité. « Nous avons besoin pour cela de pieds nus dans la boue, de morsures du soleil, de parfums d’altitude, de piqûres d’orties et de caresses de prairies, du rouge des coquelicots, de sifflets de train et de roulements de tonnerre dans un cirque alpin. » Sans nier l’imminence de la catastrophe (écologique, sociale, éthique) à laquelle nous assistons et participons, cet essai sous-titré Réflexions sur l’effondrement revendique que la lutte, par sa grandeur, porte en elle une part de succès, aussi incertains soient-ils. « La dignité du présent est ce qu’il nous reste de plus sûr face à l’improbabilité de victoires futures, de plus en plus hypothétiques au fur et à mesure que notre civilisation sombre. C’est une manière de faire de nécessité vertu et de ne pas tout perdre à la fin – ou si l’on gagne in fine, de le faire bien. »

Alban Lécuyer

La Croisade de Robert Ménard dans Le Canard enchaîné

jeudi 11 novembre 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Canard enchaîné, le 10 novembre 2021.

Le ravi de la crèche

Chaque année il refait le coup de la crèche. En décembre il en fait installer une à l’hôtel de ville de Béziers, dont il est le maire depuis 2014. Infraction à la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, ce qui vaut à la municipalité des condamnations à répétition, mais qu’importe ! Obstinément, avec méthode et détermination, Robert Ménard mène croisade. Pour la chrétienté, vue comme la matrice de la France. Contre la laïcité à la française. Pour le retour d’une vision coloniale qu’il plaque d’autorité sur la société française actuelle.
Ce faisant, il se voit comme un « résistant ». Sa bonne ville n’est-elle pas résistante, elle aussi ? Elle s’est toujours rebellée contre le pouvoir central et parisien. Elle a vu naître Jean Moulin. Et Jean Jaurès. Béziers résiste. Et Ménard est son prophète. Il oublie juste, rappelle l’enseignant et historien Richard Vassakos, que « dès 1870 les maires de Béziers furent de fervents anticléricaux et façonnèrent la ville et ses traditions en ce sens ». Ils résistaient bel et bien, mais contre l’Église et son emprise écrasante.
Il n’y a pas que la crèche. Pour Ménard et son incessante opération de propagande d’extrême droite, ici décortiquée par le menu, tout fait ventre. Des rues baptisées en l’honneur des victimes du terrorisme (le colonel Beltrame, le 13-Novembre, mais ni Charb ni Cabu). Un livre sur Béziers commandé à Renaud Camus, l’inventeur du « grand remplacement ». Un slogan clin d’œil (« Béziers la sudiste »). L’enrôlement de Jean Moulin sous sa bannière identitaire, comme si celui-ci n’avait pas été antifasciste et favorable au Front populaire. Et celui de Jean Jaurès, comme si ce dernier n’avait pas toujours combattu l’extrême droite, laquelle a fini par l’assassiner.
Simplifier, caricaturer, déformer, instrumentaliser, manipuler, récrire le passé pour marteler, répéter, ressasser que la France éternelle et irréprochable vit un présent apocalyptique, et que demain sera pire si elle n’arrête pas l’« immigration de remplacement ». Du pur Zemmour… Lequel est d’ailleurs venu à Béziers en octobre, une fois de plus, invité par son ami Robert à y tenir meeting.
Tout baigne ? Chantre de l’union des extrêmes droites, Ménard voudrait que Marine finisse par faire amie-amie avec Éric. Lequel affiche son mépris pour la fille du démagogue en chef. Ces « bons Français d’abord » ne sont jamais d’accord…

Jean-Luc Porquet

Feu ! dans Le Monde des livres

jeudi 11 novembre 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde des livres, le 11 novembre 2021.

Des féminismes pluriels

À travers ses entrées audacieuses, Feu ! rend compte de l’effervescence de la lutte antipatriarcale. Un dictionnaire brûlant dirigé par Elsa Dorlin.

Le patriarcat brûle-t-il ? Si ses incendiaires sont nombreuses, leurs flammes n’ont pas toujours emprunté les mêmes chemins. Coordonné par Elsa Dorlin, professeure de philosophie à l’université Paris-VIII, notamment autrice de Se défendre. Une philosophie de la violence (Zones, 2017), le livre collectif Feu ! explore les tentatives et les réussites locales de ces embrasements contemporains.
Depuis le début des années 2000, le développement d’Internet et des réseaux sociaux a considérablement renouvelé les modalités de diffusion et de mobilisation des féministes. Plus que jamais, les violences, inégalités et discriminations sexistes sont politisées, dénoncées et combattues par celles qui les subissent. D’innombrables femmes se sont ainsi rassemblées et organisées pour lutter – au sein de groupes de parole, sur des forums de discussion, dans des associations ou des ateliers. Internationalistes et radicales, en ce qu’elles prennent le problème à sa racine patriarcale, ce sont précisément ces femmes qui participent, selon Elsa Dorlin, de l’« effervescence d’un féminisme d’expression protéiforme inédite, rendue possible au gré d’un renouvellement générationnel ; d’une conscientisation intersectionnelle et d’une auto-organisation à l’échelle mondiale ».
C’est de cette nouvelle ère, dont le mouvement #metoo constitue l’un des événements les plus marquants, que Feu ! entend rendre compte. Cet « abécédaire des féminismes présents » est une invitation à se plonger, par une entrée ou une autre, dans le bouillonnement qu’ont connu les vingt dernières années. Les articles qui le composent s’arrêtent sur des thématiques aussi variées que stratégiques – de l’« abolitionnisme pénal » au « cancer » en passant par la « culture du viol » ou la « viande ». La plupart des autrices prennent la plume à la première personne, pour mêler le témoignage sur leur vie ou leur engagement et l’indispensable prise de hauteur sur leur situation individuelle. Parmi ces textes, dont la dimension littéraire n’est pas la moindre des qualités, certains sont de véritables manifestes – à l’image de celui de la militante contre la grossophobie Daria Marx, « Mon genre, c’est grosse ».
Incandescents et protéiformes, les féminismes sont d’autant plus difficiles à étudier qu’ils seront, par nécessité, présents pour longtemps – toujours en mouvement, toujours à vif. Leur récit n’est pas linéaire, leur histoire n’est pas homogène ni cumulative : différents courants les animent, de nombreuses contradictions les traversent. À rebours d’une historiographie qui se consacrerait exclusivement à l’obtention des droits sociaux et politiques des femmes par quelques figures héroïques, Feu ! est animé par la nécessité de rendre justice à cette diversité. Cet ouvrage éclectique écrit ainsi l’histoire des féminismes contemporains « par le bas », donnant la parole aux militantes et aux collectifs. C’est ce qui permet qu’une entrée soit par exemple rédigée par les habitantes de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. De la même façon, l’entrée « Nuit. Résistantes/Survivantes » est signée par le collectif des colleuses de Marseille – déclinaison régionale de ce mouvement national qui vise à placarder des slogans féministes sur les murs des villes, en particulier pour lutter contre les féminicides.
La préface d’Elsa Dorlin souligne que « les féminismes contés dans ce livre sont autant de brasiers allumés, de contre-feux dans un monde partout calciné par le patriarcat, c’est-à-dire par le néolibéralisme autoritaire et répressif, le racisme mortifère, l’impérialisme écocide ». Feu ! permet dès lors de faire entendre les voix qui constituent les féminismes contemporains dans leur diversité, voire leurs tensions : celle de la militante antiraciste et contre les violences policières Assa Traoré, de l’écrivaine et performeuse Wendy Delorme (autrice de Viendra le temps du feu, Cambourakis) ou encore de l’activiste Fatima Ouassak (à qui l’on doit La Puissance des mères. Pour un nouveau sujet révolutionnaire, La Découverte, 2020). Si l’exhaustivité est bien sûr impossible, les entrées de Feu ! ne craignent pas de faire la lumière sur les débats qui divisent actuellement les féminismes pour les contextualiser. Les identités de genre sont ainsi pensées et justifiées avant d’être affirmées. La question de l’intersectionnalité, quant à elle, est théoriquement mise en perspective, autant qu’elle s’impose d’elle-même par l’entremêlement constant des thèmes abordés et des voix exprimées.
Ce livre qu’Elsa Dorlin voudrait « boîte à outils » aussi bien que « dictionnaire amoureux » se montre à la hauteur de ses ambitions en se faisant véritable manuel d’interprétation et d’action. Brûlant, réflexif, Feu ! réussit à associer les perspectives militantes et les impératifs épistémologiques et philosophiques. Amoureux et tendre, cet « abécédaire des féminismes présents » l’est dans son objectif de retranscrire la volonté farouche de liberté et la détermination à décider pour soi qui animent et unifient ces mouvements au-delà de leurs différences. Plutôt que de tenter la définition d’un axe d’action unique, il parvient à restituer la pluralité des voix qui portent ces combats, démultipliant ainsi les lieux d’où souffler sur les braises.

Sophie Benard

Correcteurs et correctrices dans L’Obs

jeudi 11 novembre 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans L’Obs, le 28 octobre 2021.

Vive les correcteurs !

S’il est encore des indécis face à « l’ubérisation » du monde, voici un livre où le réel s’impose crûment : le livreur de baguettes à vélo sur le palier en dix minutes, le chauffeur de Sorry We Missed You (Ken Loach, 2019) et le correcteur : même combat. Le mal s’observe dans l’édition surtout car la presse écrite garde en ses murs les cassetins, précieux gardiens du fond et de la forme de ce qui s’écrit (en sous-effectifs mais bien là, par chance). L’autoentrepreunariat (2009, sous Sarkozy) a porté un coup au travail à domicile. Celui-ci était aléatoire, déjà, mais au moins le correcteur avait-il un contrat même si l’éditeur n’était pas tenu de le solliciter chaque mois ; on se souvient de correctrices dans les cortèges de manifestants, en 2016, brandissant des fiches de paye… à zéro euro. Depuis, ça ne s’arrange pas. Pour les Sans Protection Sociale et les Sans Droit à la Retraite, le travail s’abîme dans « une exploitation capitaliste sauvage libérée des garde-fous qu’impose encore le salariat », écrit Guillaume
Goutte. Être son propre patron, disaient-ils. Le délégué des correcteurs au Syndicat du
Livre CGT répond dans une langue impeccable et un livre qui fait la part belle à l’histoire.

Anne Crignon

Correcteurs et correctrices sur Acrimed

lundi 25 octobre 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru sur le site d’Acrimed, le 22 septembre 2021.

Guillaume Goutte, correcteur et secrétaire délégué des correcteurs au Syndicat du livre CGT, publie un court ouvrage aux éditions Libertalia, dans l’objectif de « faire le point sur les réalités du métier de correcteur au XXIe siècle, dans la presse et dans l’édition, et sur les enjeux dont l’activité syndicale doit se saisir pour permettre aux correcteurs de faire face et de rebondir ».

Guillaume Goutte met l’accent sur la précarité de la profession. « Aujourd’hui, la majorité des correctrices et correcteurs en activité sont des travailleurs payés à la tâche, à la pièce », explique-t-il. Un « tâcheronnage » qui « s’exprime à travers divers statuts ou formes de rémunération, dans le cadre du salariat (statut de travailleur à domicile, rémunération à la pige, contrat de travail à durée déterminée) ou du travail prétendu indépendant (microentrepreneuriat, rémunération en droits d’auteur). »
La précarité est en effet, écrit-il, « la règle pour tous » :
Car le paiement à la tâche, c’est d’abord l’assurance d’avoir des revenus qui fluctuent d’un mois à l’autre, d’une année à l’autre, sans grande visibilité, les charges de travail prévues pouvant être annulées ou reportées à tout moment.
« Le métier de correcteur est socialement sinistré », résume-t-il, après avoir évoqué la disparition progressive du métier de correcteur de presse. « Les cassetins de presse, qui accompagnaient chaque titre de presse au siècle dernier, ont été réduits à portion congrue, voire supprimés. » Dans la PQR, exception faite du Parisien, « les correcteurs ont disparu, la correction étant reléguée aux secrétaires de rédaction […], voire, dans certains titres, éliminée. » En revanche, tous les titres de presse quotidienne nationale « disposent encore d’un service de correction ». Tous… sauf Libération, « qui a eu bien du mal à embaucher des correcteurs mais aucun à s’en débarrasser en 2007 ».
Face à ces dynamiques, Guillaume Goutte appelle à défendre le métier. Il incite par exemple à se mobiliser contre « l’injonction à la polyvalence », ici dans la presse :
Considéré comme désuet, hérité d’un autre âge, le correcteur voit son savoir-faire confié au secrétaire de rédaction, pour le support imprimé, ou à l’éditeur, pour le Web. Soit il devient lui-même secrétaire de rédaction ou éditeur, soit le secrétaire de rédaction ou l’éditeur absorbe sa charge de travail. Dans les deux cas, le métier s’efface derrière le salarié multitâche. Beaucoup d’entreprises, surtout en presse magazine et en presse quotidienne régionale, ne voient désormais plus l’utilité de professionnels exclusivement dédiés à la correction des journaux. La première victime de cette polyvalence, c’est la qualité éditoriale, du fait que cette fusion des fonctions impose que l’une s’exerce au détriment de l’autre, inéluctablement.
Avec « quels outils pour lutter » ? Guillaume Goutte achève son livre en proposant des moyens d’action : « créer du lien entre les correcteurs », s’investir dans le travail syndical, ou encore dénoncer publiquement les journaux et les maisons d’édition qui bafouent le Code du travail.

Maxime Friot