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lundi 25 novembre 2024 :: Permalien
Michelle Zancarini-Fournel était l’invitée de Quentin Lafay pour l’émission Questions du soir du 22 novembre 2024 sur France Culture : « Sorcières, déconstruction d’un mythe ».
« Depuis quelques années, les sorcières sont partout. Sous la forme d’une “lettre aux jeunes féministes”, l’historienne Michelle Zancarini-Fournel entend réhabiliter historiquement cette figure, et déconstruire les fantasmes qui perdurent autour de l’idée qu’une sorcière était une femme puissante.
En 2018, Mona Chollet a fait paraître un livre qui a fait évènement, un succès littéraire, Sorcières, la puissance invaincue des femmes. Depuis, les sorcières sont au cœur des débats féministes, des débats historiques et sociologiques. L’historienne Michelle Zancarini-Fournel, spécialiste de l’histoire des femmes a décidé de s’intéresser au “réel historique” (selon l’expression de Pierre Vidal-Naquet) de l’existence des sorcières, sous forme d’une “Lettre aux jeunes féministes”, dans un essai paru aux éditions Libertalia, qui retrace la construction des mythes sur les sorcières et sorciers, du XIIe jusqu’à aujourd’hui, pour réhabiliter historiquement cette figure, devenue un objet de fantasme, et déconstruire l’idée qu’une sorcière était une femme puissante. »
lundi 25 novembre 2024 :: Permalien
« Comment les sorcières sont devenues des femmes puissantes... contre la vérité historique. » Dans sa chronique « Va savoir » du 28 octobre 2024, Chloé Leprince revient sur le mythe de la sorcière bousculé par Michelle Zancarini-Fournel et son ouvrage Sorcières et sorciers, mythes et histoire.
« En 2017, quand de jeunes féministes manifestent en sorcières, l’essai de Mona Chollet, "Sorcières", bientôt en tête des ventes et pour de longs mois, n’existait pas encore. Mais la lecture, problématique, par Silvia Federici, de l’histoire du harcèlement des femmes sous couvert de sorcellerie, oui. »
jeudi 21 novembre 2024 :: Permalien
Publié sur Mediapart, le 21 novembre 2024.
Cent ans après la grève des sardinières devenue une lutte symbole du mouvement ouvrier féminin, la journaliste Tiphaine Guéret publie un livre-enquête sur les femmes précaires et racisées qui travaillent aujourd’hui dans les conserveries industrielles du port finistérien.
C’est une grève victorieuse mythique du mouvement ouvrier féminin. Le 21 novembre 1924, à Douarnenez, deux mille travailleuses des conserveries de sardines du port finistérien débrayent pour demander la revalorisation de leurs salaires de misère et dénoncer leurs conditions de travail épouvantables.
L’ouvrière Joséphine Pencalet, qui sera en 1925 l’une des premières femmes élues conseillères municipales en France, devient alors la figure de proue de cette lutte. Deux leaders syndicaux nationaux, Charles Tillon, futur héros de la Résistance, et Lucie Colliard, militante féministe, organisent la solidarité à l’échelle nationale pour appuyer ce mouvement initié par des femmes.
Après quarante-six jours de mise à l’arrêt des vingt conserveries de Douarnenez, le patronat cède aux demandes de ces ouvrières rebaptisées les Penn Sardin – « tête de sardine », en breton.
Cent ans plus tard, ce jalon de l’histoire des combats syndicaux est devenu un mythe, objet de films documentaires, de livres, de chansons… Mais que reste-t-il de cette mémoire des luttes en dehors de sa folklorisation ? Qui travaille désormais dans ces conserveries ?
Journaliste indépendante, Tiphaine Guéret a mené l’enquête durant cinq mois auprès des ouvrières de Chancerelle – qui produit les boîtes de conserve de la marque Connétable –, fleuron agro-industriel de Douarnenez fondé en 1853. Le groupe fabrique aujourd’hui 115 millions de boîtes par an et emploie 1 900 personnes, dont l’usine de Douarnenez représente un gros tiers des salarié·es.
Dans Écoutez gronder leur colère. Les héritières des Penn sardin de Douarnenez (éditions Libertalia, octobre 2023), la journaliste a rassemblé les voix des travailleuses précaires de cette conserverie. Car, cent ans plus tard, le travail de la sardine demeure essentiellement féminin. Par ailleurs, depuis une vingtaine d’années, « des employées racisées, plus ou moins fraîchement exilées, sont venues grossir les rangs de la production – jusqu’à constituer l’écrasante majorité des travailleuses », raconte Tiphaine Guéret.
En rang et debout, ces ouvrières turques, congolaises, ou vietnamiennes – on dénombre 26 nationalités dans l’entreprise – passent huit heures par jour à trimer devant un énorme tapis roulant, à l’étripage et l’emboîtage des sardines à la main. « Femmes, prolétaires et racisées, elles campent au carrefour des rapports de domination », rappelle la journaliste.
Un sentiment d’appartenance à la classe ouvrière
Au long des pages, la journaliste documente méticuleusement l’enfer des 2/8 – le fait de faire tourner sur le même poste de travail deux équipes par roulement de huit heures consécutives – et des nouvelles méthodes de management qui sapent le moral et ravagent les corps de ces travailleuses.
Toutes sont en proie à des tendinites à répétition, à des phlébites dues à la station debout, à des malaises à cause de la chaleur voire ont eu un doigt emporté par les machines. « Combien on aimerait pouvoir déposer son âme, en entrant, avec sa carte de pointage, et la reprendre intacte à la sortie », témoigne une des quinze ouvrières interrogées par Tiphaine Guéret.
Cette dernière décrit aussi l’atomisation du monde ouvrier. Les salariées permanentes et les intérimaires mangent à l’usine sur des tables séparées. Et les différentes communautés exilées échangent peu entre elles, les femmes étant souvent happées à la sortie de l’usine par le travail domestique qui les attend en rentrant.
Malgré tout, « quelque chose d’un sentiment d’appartenance à la classe ouvrière » persiste dans les hangars bruyants et odorants de Chancerelle.
Le 11 mars 2024, 250 travailleurs et travailleuses du site de Douarnenez se mettent en grève, las de l’inflation qui rognent des salaires qui ne dépassent pas les 1 600 euros mensuels. Pour nombre de ces ouvrières, ce débrayage signe leur première mobilisation. Dès le lendemain, un accord est signé prévoyant notamment une revalorisation du taux horaire de 2,3 %.
Une petite victoire bien loin du Grand Soir, mais qui résonne avec celle des Penn Sardin de 1924. Comme le souligne dans le livre une des ouvrières : « Cent ans plus tard, on n’est toujours que des femmes, on n’a toujours pas de vie familiale : certaines avant-hier ont quitté l’usine à 22 heures et ont pris la route en sachant que leur enfant serait couché quand elles arriveraient chez elle. »
Mais d’avertir : « Nous, on lui a bien dit à la direction : la prochaine fois, ce ne sera pas qu’une journée. »
Mickaël Correia
jeudi 21 novembre 2024 :: Permalien
Publié dans Le Monde des livres, le 14 novembre 2024.
Impuissance des sorcières
Particulièrement fréquente dans les représentations et les imaginaires des mouvements féministes contemporains, la figure de la sorcière a notamment été remise en lumière par le best-seller de Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes (Zones, 2018). Mais, pour Michelle Zancarini-Fournel, cette popularité résulte d’un regrettable « contresens sur le réel historique ». Loin des « femmes puissantes » invoquées par Mona Chollet, l’historienne rappelle, en effet, à travers une synthèse de la grande chasse aux sorcières entre les XVe et XVIIe siècles, qu’elles ont avant tout été des « victimes de querelles de voisinage, de dénonciations et d’arrestations ». Confrontant les faits historiques aux différents moments de construction des mythes, l’autrice observe ainsi son objet d’étude se transformer – femme à la fois émancipée et pathologisée au XIXe siècle, la sorcière se mue en femme rebelle au XXe, avant de devenir la prétendue femme puissante que nous imaginons désormais. Au passage, la figure masculine du sorcier disparaît, comme les différences de perception des survivances de la sorcellerie. Car, tandis qu’en Occident des sorcières contemporaines exaltent la puissance des femmes, d’autres, ailleurs, subissent encore les « peurs archaïques se traduisant par la volonté de contrôle du corps des femmes par la violence ».
Sophie Benard
jeudi 21 novembre 2024 :: Permalien
Publié sur Breizh Femmes, 19 novembre 2024.
« Écoutez l’bruit d’leurs sabots, voilà les ouvrières d’usine ; écoutez l’bruit d’leurs sabots voilà qu’arrivent les Penn Sardin ». Difficile de ne pas avoir cet air en tête durant toute la lecture du livre de Tiphaine Guéret.
Alors qu’on s’apprête à célébrer le centenaire de la grande grève des sardinières de Douarnenez, la journaliste a voulu savoir qui sont les femmes qui exercent encore ce métier dans le Finistère et surtout dans quelles conditions elles travaillent aujourd’hui.
« Écoutez gronder leur colère » raconte les « filles » de la sardinerie Chancerelle, la plus grande des trois usines actuelles, la plus vieille aussi encore en activité dans le monde. On en comptait vingt et une à Douarnenez il y a cent ans…
Si Tiphaine Guéret vit aujourd’hui à Marseille, elle n’oublie pas ses origines bretonnes. Mais c’est plus sa « curiosité journalistique » que ses racines qui l’ont poussée à enquêter à Douarnenez. Cent ans après la grande grève qui de novembre 1924 à janvier 1925 propulsa plus de 2 000 ouvrières des sardineries de Douarnenez sur les pavés pour revendiquer de meilleures conditions de travail, trois conserveries sont encore en activité dans ce coin de Bretagne.
C’est chez Chancerelle, entreprise connue sous les noms de marques Connétable, Phare d’Eckmühl ou encore Pointe de Penmarc’h selon les gammes de produits, que Tiphaine Guéret s’est arrêtée le temps de rencontrer ces « filles de la sardine », celles d’aujourd’hui et quelques autres désormais retraitées.
« Étriper et emboîter à la main,au couteau ou aux ciseaux »
« C’est toujours en grande majorité des femmes qui travaillent le poisson et qui le mettent en boite » raconte la journaliste. Avec toute la dextérité et le savoir-faire de leurs aînées elles continuent « à étriper et emboîter à la main, au couteau et aux ciseaux ».
Mais si Chancerelle s’enorgueillit d’être la plus ancienne conserverie encore en activité dans le monde, les ouvrières ne sont plus tout à fait les mêmes. Pendant longtemps les jeunes femmes n’avaient guère le choix ; « à Douarnenez il y[avait] un peu cette idée que si tu n’as pas travaillé à la conserverie, tu comprendras jamais la vie » témoigne une ancienne sardinière.
Désormais, les ouvrières ne portent plus de sabots, mais elles « sont précaires, pour certaines intérimaires, toutes soumises au rythme épuisant des 2/8 – écrit Tiphaine Guéret dans son livre – Surtout beaucoup viennent d’Afrique ou des pays du Sud. Femmes prolétaires et racisées, elles campent au carrefour des rapports de domination ». Vingt-six nationalités se côtoient sur les chaînes de production et dans les ateliers que la journaliste décrit comme de « grands hangars bruyants et odorants ».
Dans les années 80/90, les femmes se regroupaient par fonction ou postes de travail dans les ateliers. Aujourd’hui, les logiques de solidarité se font plutôt de façon communautaire entre femmes issues d’un même pays. Pour Tiphaine Guéret, ça ne change pas considérablement la donne. Et en tout cas, lors du mouvement de grève de mars dernier, les clivages ont été facilement balayés.
« Ce jour de mars passé à se tenir chaud sous un ciel plombé »
Le 11 mars 2024, 250 salarié·es se sont mis·es en grève à la sardinerie. Une grève courte qui n’a duré qu’une seule journée. Les « filles » en sont ressorties réconfortées et unies.
« Elles étaient contentes d’avoir réussi à faire bouger la direction en aussi peu de temps – résume Tiphaine Guéret – mais plus que ce qu’elles ont réussi à grappiller, je crois qu’elles étaient contentes de voir qu’elles avaient réussi à se fédérer entre elles ! » Dans son livre, elle écrit : « Plusieurs semaines plus tard, les “filles de la sardine” étaient encore portées par le souvenir de ce jour de mars passé à se tenir chaud sous un ciel plombé. » Comme si la grève d’il y a cent ans était aussi une histoire à vivre au présent.
Cette page de l’histoire ouvrière bretonne, toutes les sardinières de 2024 ne la connaissent pas. Certaines en ont entendu parler mais estiment que ce n’est plus la même chose aujourd’hui ; d’autres, en revanche, pensent qu’il y a des points communs. Et en début d’année, c’est bien de revalorisation de salaire et de meilleures conditions de travail qu’il était toujours question.
« Si on ne vient pas, il n’y a pas une boite de sardines qui sort d’ici ! »
Dans les ateliers, c’est en permanence une quarantaine d’employées qui sont absentes pour raisons médicales. Une façon de dire la pénibilité de ces métiers physiques, aux gestes répétitifs, aux charges lourdes, qui progressivement abîme le corps de ces femmes. « En 2017 – rappelle Tiphaine Guéret – les femmes ouvrières étaient onze fois plus touchées par les TMS que les femmes cadres. » « Ce sont les corps qui lâchent – dit-elle encore – les douleurs partout, les épaules qu’on opère… »
Si le travail en usine est depuis toujours fait de tâches pénibles, les conditions actuelles ne sont pas vraiment encourageantes. « Beaucoup de femmes qui font ce métier depuis longtemps – explique Tiphaine Guéret – disent qu’elles ont été fières de ce qu’elles faisaient notamment parce que c’était travailler pour une entreprise familiale, pour faire de bons produits, être la fierté d’un territoire… Aujourd’hui, elles disent ne plus être fières parce qu’elles ont l’impression que les cadences qui s’accélèrent ne leur donnent plus les moyens de faire correctement leur boulot ! » « On vient pas vérifier la qualité, il faut aller vite » confie l’une d’elles.
Alors, gronde-t-elle encore aujourd’hui à Douarnenez la colère des sardinières ? Plus que de femmes en colère, Tiphaine Guéret préfère parler de « femmes blasées ». Pourtant… « Les cadres ça ne changerait rien s’ils ne venaient pas travailler une journée – dit une des ouvrières citées par la journaliste dans son livre – Nous, si on ne vient pas, il n’y a pas une boîte de sardines qui sort d’ici ! » Elles l’ont dit à leur direction après la grève du 11 mars : la prochaine fois, ce ne sera pas qu’une journée ! « Écoutez claquer leurs sabots, écoutez gronder leur colère ; écoutez claquer leurs sabots, c’est la grève des sardinières ! » dit la chanson.
Geneviève ROY