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mercredi 30 novembre 2022 :: Permalien
Publié dans Libération, le 29 novembre 2022.
Sous la pression de la fachosphère, l’enseigne a retiré de la vente le jeu « Antifa », créé par les éditions Libertalia, au motif qu’il ferait l’apologie de la violence. Dans le même temps, on trouve toujours sur le site marchand des écrits racistes et antisémites de Renaud Camus ou Alain Soral…
Il aura suffi de quelques tweets de l’extrême droite, plus précisément une grosse fake news du désormais (et tristement) célèbre député Rassemblement national Grégoire de Fournas, dument relayée au sein de la fachosphère, pour que la Fnac se soumette, fissa. Et retire de son site marchand Antifa, le jeu, création militante des éditions Libertalia en collaboration avec le collectif La Horde, au motif fallacieux qu’il ferait l’apologie de la violence. Qu’il est navrant de voir un grand acteur culturel comme la Fnac céder ainsi face à une offensive aussi malhonnête que marginale. On se souvient que le slogan historique de l’enseigne culturelle créée par deux anciens trotskistes fut « Agitateur depuis 1954 » (jusqu’en 2004) avant de devenir il y a dix ans « On ne peut qu’adhérer ». Pour le coup, impossible d’adhérer à cette censure téléguidée par l’extrême droite.
Dans une publicité, la Fnac proclamait également : « Nous avons tous les livres. Vous avez toutes les libertés. » Un credo qu’elle applique jusqu’à l’extrême puisque sur son site on trouve sans problème des livres antisémites et conspirationnistes, notamment ceux d’auteurs condamnés pour leurs écrits comme Renaud Camus ou Alain Soral. Leur présence dans le catalogue de la Fnac rend d’autant plus absurde le retrait du jeu Antifa qui, lui, ne contrevient à aucune de nos lois et ne contient aucun appel à la haine ou à la violence (seule l’autodéfense est évoquée).
Sujet massif
Bien davantage que des jeux de société, ce sont le plus souvent des livres, mais aussi des pièces de théâtre ou des films qui sont l’objet de tentatives de censure. On glose beaucoup, parfois non sans raison mais toujours avec excès, sur la « cancel culture » qu’imposerait la pensée « woke » ou « décoloniale » à notre représentation, le plus souvent glorieuse, de l’histoire de France ou de notre société – Jean-Michel Blanquer n’hésitant pas à évoquer quand il était ministre de l’Education nationale « une profonde vague déstabilisatrice pour la civilisation ». Ce fut certes un cas isolé, mais on a par exemple trouvé absurde de retirer le mot « nègre » du titre du roman d’Agatha Christie, les Dix Petits Nègres. Certains débats autour de certaines statues ont pu aussi nous laisser perplexe.
Mais ces dernières années, la censure idéologique menée par l’extrême droite chaque fois qu’elle en a l’occasion, à partir d’éléments réels, fantasmés ou même inventés comme on le voit avec l’épisode de la Fnac, est un sujet autrement plus massif. Même si certaines demandes de censure ont aussi émané de la gauche ces dernières années, notamment aux États-Unis, la plupart des cas sont l’œuvre du camp conservateur en général, et trumpiste en particulier. La Floride, où sévit le gouverneur Ron DeSantis, nouvelle coqueluche des républicains dans la perspective de la présidentielle de 2024, est particulièrement touchée. Des livres jugés politiquement ou moralement incorrects, en premier lieu des manuels scolaires, sont de plus en plus souvent interdits. Et pour lutter contre ce phénomène outre-Atlantique, dont Eric Zemmour souhaiterait s’inspirer en France, des éditeurs, des bibliothécaires et des enseignants se sont d’ailleurs regroupés au sein du collectif Unite Against Book Bans.
La tyrannie « woke », un fantasme
Pour avoir une idée du phénomène, on peut se référer à une enquête de PEN America, organisation qui milite pour la liberté d’expression, citée par le journal canadien le Devoir : près de 1 600 livres ont été ciblés entre le 1er juillet 2021 et le 31 mars 2022 dans 86 districts scolaires états-uniens totalisant près de 2 900 écoles. Ces dernières années, dans une forme de maccarthysme contemporain, de grands noms de la littérature comme la Prix Nobel Toni Morrison, mais aussi Margaret Atwood ou Art Spiegelman ont été visés. Le cas de J.K. Rowling est plus complexe, puisque la créatrice d’Harry Potter a d’un côté été attaquée par des chrétiens traditionalistes dénonçant son apologie de la sorcellerie, mais aussi par une partie de la gauche pour des propos publics pas vraiment bienveillants à l’égard des personnes trans.
Qu’il s’agisse de republier Mein Kampf, avec un appareil critique massif, ou des manuscrits inédits de Céline, on ne peut pas dire qu’en France le temps soit à la censure pour des textes aux antipodes de la pensée censément progressiste. La tyrannie « woke » reste largement un fantasme et l’auteur Éric Zemmour, par exemple, dispose d’une tribune autrement plus puissante que la totalité des auteurs dits « décoloniaux ». Chacun a le droit de trouver opportun l’initiative de tel ou tel éditeur, mais la liberté reste la règle dans le respect de la loi et, au fond, c’est tant mieux. Avertir, encadrer, expliquer est une chose, interdire en est une autre. Dans le cas d’Antifa, le jeu, qui est autant symbolique de l’impact concret d’une fake news que de l’influence d’une croisade d’extrême droite dans le champ culturel, la Fnac – en plein bad buzz, et c’est bien fait pour elle – gagnerait à faire machine arrière en reconnaissant une erreur partie d’une manipulation. Sur le site de l’éditeur, le jeu s’est vendu comme des petits pains dans les heures qui ont suivi la décision de la Fnac. Sacré effet Streisand.
Jonathan Bouchet-Petersen
mercredi 30 novembre 2022 :: Permalien
Publié dans Le Monde du 28 novembre 2022.
Pour expliquer ce retrait, la Fnac a reconnu que le jeu a pu « heurter » certains publics. L’auteur et l’éditeur affirment qu’il n’attente en rien à la légalité et dénoncent une « censure ».
« Propos racistes, manifs homophobes, violences fascistes, ça suffit : contre l’extrême droite, à vous de jouer ! » C’est ce que propose Antifa, le jeu, qui était commercialisé sur le site de la Fnac… jusqu’à l’intervention, samedi soir, du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN).
« Ce “jeu” est en vente à la Fnac. @Fnac un commentaire pour ainsi mettre en avant les antifas, qui cassent, incendient et agressent dans les manifestations ? », a écrit samedi soir sur Twitter David Le Bars, secrétaire général du syndicat.
Réponse de la Fnac, dimanche soir : « Nous comprenons que la commercialisation de ce “jeu” ait pu heurter certains de nos publics. Nous faisons le nécessaire pour qu’il ne soit plus disponible dans les prochaines heures. » Le message est estampillé de la pastille bleue, qui en garantit le caractère officiel. De fait, le jeu n’était plus disponible, lundi, sur le site… et le groupe, manifestement embarrassé, était, lui aussi, aux abonnés absents. Sollicitée par Le Monde, une attachée de presse s’est contentée d’un « No comment » sans appel.
Avant le SCPN, plusieurs élus du Rassemblement national (RN) avaient déjà fustigé la Fnac pour la même raison. « Case 1 : “je bloque une fac” ; Case 2 : “je tabasse un militant de droite” ; Case 3 : “j’attaque un meeting du RN” ; Case 4 : “je lance un cocktail Molotov sur les CRS”. La Fnac, vous n’avez pas honte ? » , a tweeté dimanche Grégoire de Fournas, député RN de Gironde, qui s’est récemment distingué à l’Assemblée nationale en lançant : « Qu’il retourne en Afrique », lors d’une intervention de son collègue de la France insoumise (LFI), Carlos Martens Bilongo, au sujet des migrants recueillis à bord de l’Ocean Viking. Un épisode qui a valu au député RN quinze jours d’exclusion du Palais-Bourbon.
« La bonne nouvelle du week-end »
« Mettre à l’honneur les antifas, ces groupuscules haineux qui ne connaissent que la violence pour s’attaquer à notre démocratie et à ce que nous avons de plus cher dans notre pays… Absolument scandaleux ! », s’est lui aussi indigné aussi Victor Catteau, député RN du Nord, déclenchant une tempête de retweets indignés. « La bonne nouvelle du week-end ! », s’est-il réjoui lundi, après l’annonce du retrait. « La mobilisation a payé : la Fnac retire cet article », jubilait quant à lui Grégoire de Fournas.
De son côté, le SCPN s’est contenté d’un laconique « Merci ». Joint par Le Monde, son secrétaire général assure toutefois que le syndicat a remercié la Fnac pour sa réponse, pas pour le retrait, qu’il dit n’avoir jamais demandé.
Dans le premier tweet, à l’origine de la polémique, « on n’a pas dit que le jeu incitait à la violence, mais qu’il faisait l’apologie de groupuscules qui, eux, le font. Aujourd’hui, ce sont des mouvements qui eux-mêmes se présentent comme anticapitalistes, antiforces de répression, antiracistes, antihomophobie, etc. », souligne David Le Bars. « Les antifas, on les a de plus en plus souvent dans les manifestations et ce sont la plupart du temps eux qui sont à l’origine des dégradations », ajoute-t-il, assurant avoir pris connaissance des tweets des élus RN a posteriori. Ce dernier insiste sur l’apolitisme de son organisation syndicale.
Les 4 000 premiers exemplaires se sont écoulés en un mois, et la Fnac a vendu 15 % du total, selon Libertalia.
Le jeu en question, mis en avant le 6 novembre par « L’Eclaireur », le guide de recommandation de la Fnac, encourage-t-il effectivement à « tabasser » des militants de droite ou à s’attaquer aux forces de l’ordre à coups de cocktails Molotov ? Imaginé par La Horde, collectif antifasciste qui se dit « énervé, indiscipliné et solidaire », il a été conçu et utilisé pendant deux ans comme un outil de formation des militants, avant d’être commercialisé en septembre 2021 par les éditions Libertalia, ce qui avait déjà suscité l’indignation d’une partie de l’extrême droite. Les 4 000 premiers exemplaires se sont écoulés en un mois, et la Fnac a vendu 15 % du total, selon Libertalia.
Réédité début novembre sous une forme simplifiée, il propose aux joueurs d’incarner des militants chargés de déjouer les « exactions d’extrême droite » en leur opposant « une résistance de forces égale ou supérieure ». Ces exactions, présentées sous forme de cartes à jouer, sont notamment intitulées « Des fachos déclenchent une bagarre dans un bar », « Un couple gay agressé en pleine ville » ou « Un collectif de soutien aux migrants a besoin d’aide » et, pour y faire face, les joueurs disposent de 17 options telles que « Rencontre débat », « manifestation », « tractage » ou « action offensive ».
« Pas des gauchistes avec le couteau entre les dents »
« À aucun moment le jeu ne glorifie l’atteinte aux personnes »
« C’est un jeu de sensibilisation au militantisme dans toutes ses dimensions. Parfois, elles peuvent être purement symboliques, parfois elles sont plus concrètes », explique son auteur, qui se fait appeler Hervé, de la Horde. « La violence n’est pas totalement évacuée […], mais le moyen le plus violent proposé, c’est le “cacatov”, une bouteille pleine de caca. On n’a pas de problème avec l’action offensive, mais à aucun moment le jeu ne glorifie l’atteinte aux personnes. Il peut y avoir de l’atteinte aux biens, mais jamais aux personnes. Ce n’est pas l’antifascisme qu’on défend », insiste-t-il, accusant les détracteurs du jeu d’en parler sans rien en savoir et de chercher à diaboliser la « figure fantasmatique de l’antifa ».
« Nous ne sommes pas des gauchistes avec le couteau entre les dents. Notre jeu à nous est un jeu républicain, qui n’attente en rien à la légalité », affirme lui aussi Nicolas Norrito, cofondateur des éditions Libertalia et « animateur » de la librairie du même nom, à Montreuil, selon lequel tout a été fait pour qu’il soit inattaquable juridiquement. Se disant « meurtri » par la décision de la Fnac, il juge qu’elle en dit long sur l’état du débat politique et déplore qu’un grand groupe commercial se soit plié si facilement aux exigences du RN et d’un syndicat de policiers. « On est navré que la Fnac en soit là aujourd’hui, alors qu’elle a été cofondée par deux antifascistes, dont l’un – Max Théret – est allé combattre les troupes de Franco en Espagne en 1936. »
Il réclame en outre « une petite explication » au groupe sur la présence dans ses rayons réels ou virtuels des livres d’Alain Soral, figure de la « complosphère », ou de l’historien révisionniste Robert Faurisson ; une exigence largement relayée sur les réseaux sociaux. La Fnac n’en a donc pour le moment pas fourni, mais sur son site, en lieu et place du jeu, s’affiche désormais le message suivant : « La page que vous cherchez a disparu. Pas de panique, nos agents sont sur le coup… »
Jean-Philippe Lefief
mercredi 30 novembre 2022 :: Permalien
Publié sur le site de L’Obs le 28 novembre 2022.
Le jeu de société « Antifa » est un jeu de simulation visant à faire vivre un groupe antifasciste local. Son retrait a entraîné de vives critiques des députés « insoumis ».
Bad buzz pour la Fnac
Disponible à la vente le 10 novembre, « Antifa, le jeu » a été retiré des étagères et du site Internet de l’enseigne, sous la pression du Syndicat de commissaires de la Police nationale (SCPN) et de plusieurs élus du Rassemblement national.
« Ce “jeu” est en vente à la Fnac. Un commentaire pour ainsi mettre en avant les antifas, qui cassent, incendient et agressent dans les manifestations ? », a interpellé le SCPN. Le jeu de cartes, édité par le site antifasciste La Horde, était, avant d’être commercialisé sous forme de jeu de société, utilisé comme outil de formation par les militants.
Samedi 26 novembre, plusieurs élus RN, comme le député Grégoire de Fournas, ont épinglé la Fnac et réclamé le retrait du jeu de société. « Case 1 : “je bloque une fac” ; case 2 : “je tabasse un militant de droite” ; case 3 : “j’attaque un meeting du RN” ; case 4 : “je lance un cocktail Molotov sur les CRS” », a tweeté l’élu de la Gironde, en demandant : « La Fnac, vous n’avez pas honte ? » Précisons que ces cases n’existent pas, les cartes du jeu « Antifa » étant bien plus modérées que dans l’imagination du député.
La Nupes demande la création d’une commission d’enquête pour « surveiller » les groupuscules d’extrême droite
« Nous comprenons que la commercialisation de ce “jeu” ait pu heurter certains de nos publics. Nous faisons le nécessaire pour qu’il ne soit plus disponible dans les prochaines heures », a finalement tweeté le compte officiel de l’entreprise, dimanche 27 novembre en fin de journée. Dans la boutique Fnac en ligne, la page du jeu n’était plus accessible ce lundi dans la matinée, même si le jeu était encore affiché dans les résultats de recherche.
Les réactions outrées à gauche n’ont pas tardé à déferler sur les réseaux sociaux. Libertalia, qui a édité le jeu, a dénoncé des « allégations mensongères émanant de l’extrême droite puis des forces de répression » qui ont entraîné le retrait d’un « outil de formation conçu par La Horde et Libertalia ». « Vous ne nous ferez pas taire ! », a ajouté l’éditeur sur Twitter.
Sur Twitter, l’organisation Action Antifasciste Paris-Banlieue a critiqué la censure de la Fnac et a interpellé l’entreprise, car son site propose aussi, au rayon littérature, « Le Grand remplacement » de Renaud Camus, un texte qui a inspiré le terroriste de Christchurch en 2019.
« La Fnac en 2022 : vendre les ouvrages de Zemmour et autres idéologues d’extrême droite, cesser de vendre un jeu de société édité par Libertalia sous pression de l’extrême droite », s’est insurgée la députée « insoumise » Mathilde Panot. « Où sont passées votre dignité et votre indépendance ? »
« Allo la Fnac, vous préférez vendre “Mein Kampf” qu’un jeu parodique sur les activistes antifascistes ? » s’est aussi révolté le député LFI des Bouches-du-Rhône Manuel Bompard.
Même argument du côté de Thomas Portes, qui indique que l’enseigne met en vente un livre de Jean Mabire, « écrivain d’extrême droite, proche des milieux néofascistes, qualifié par Marie-José Chombart de Lauwe “de plus grand spécialiste de la réhabilitation du nazisme” ».
lundi 28 novembre 2022 :: Permalien
Publié sur Mediapart le 28 novembre 2022.
Des tweets énervés et mensongers émanant de l’extrême droite et d’un syndicat de commissaires de police ont convaincu l’enseigne de retirer un jeu de société édité par Libertalia. L’éditeur-libraire croule depuis sous les commandes.
« Depuis hier soir, c’est un flot de commandes incessant. Notre seul souci, c’est le stock. On avait tiré 4 000 exemplaires du jeu, ce soir il n’y en aura plus. »
Nicolas Norrito, cofondateur des éditions Libertalia et de la librairie du même nom, à Montreuil, est un homme fort occupé quand nous le contactons par téléphone, lundi 28 novembre. Libertalia est l’éditeur du jeu de société Antifa, un jeu collaboratif dans lequel les joueurs et les joueuses doivent s’entraider pour monter un groupe antifasciste. Le jeu en est à sa deuxième édition. Outre les librairies indépendantes, on pouvait également le trouver à la Fnac et sur le site de la grande enseigne.
Du moins jusqu’à dimanche soir. Répondant à un tweet du très droitier syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), la Fnac a annoncé, à 18 h 09 dimanche 27 novembre que la « commercialisation de ce “jeu” », qui a « pu heurter certains de [leurs] publics », ne sera plus « disponible dans les prochaines heures ». « Deux heures plus tard, raconte Nicolas Norrito, le jeu n’était effectivement plus disponible sur le site de la Fnac. »
Dans son interpellation, le SCPN ne faisait pas dans la dentelle, accusant la Fnac de « mettre en avant les antifas, qui cassent, incendient et agressent dans les manifestations ». Que la Fnac cède ainsi à un syndicat de policiers serait déjà grave, a fortiori quand les accusations ne portent pas sur la réalité du jeu en question, mais le pire est ailleurs : le tweet du SCPN intervient en réalité après plusieurs autres, émanant de deux députés du Rassemblement national (RN) et d’un eurodéputé Reconquête, le parti d’Éric Zemmour.
C’est en effet le tweet de Jérôme Rivière, élu au Parlement européen, qui a ouvert le bal dès le 25 novembre. Il y a eu ensuite celui de Grégoire de Fournas, député RN de Gironde, samedi, dans lequel il demande des comptes à la Fnac en mentant sur le contenu exact du jeu Antifa. Puis quelques heures plus tard, l’accusation est relayée par Victor Catteau, député RN du Nord, qui trouve « absolument scandaleux » que la Fnac mette « à l’honneur les antifas, ces groupuscules haineux qui ne connaissent que la violence pour s’attaquer à notre démocratie et à ce que nous avons de plus cher dans notre pays ».
Contacté par Mediapart, le service de presse de la Fnac nous a répondu par un laconique : « Nous ne ferons aucun commentaire. » « Qu’on soit retiré de la Fnac, on s’en fout », réplique Nicolas Norrito. Celui-ci se dit tout de même « navré » que l’enseigne balaye ainsi son héritage. La Fnac a en effet été créée par d’anciens trotskistes, et notamment Max Théret, qui a combattu les fascistes en Espagne entre 1936 et 1938.
Quant aux accusations portées contre le jeu, le patron de Libertalia s’en défend : « L’objectif de ce jeu n’a jamais été de faire du buzz, il n’y a pas de caillassage de fourgons de police ni de batte de baseball. L’élément le plus radical, c’est un jet de cacatov sur une manifestation d’extrême droite ! » Le cacatov, c’est l’équivalent du cocktail molotov, mais où le liquide inflammable a été remplacé par des excréments.
Plus sérieusement, Nicolas Norrito estime que ce n’est pas un « bon signal » que la Fnac « recule face à un responsable politique qui a lancé dans l’Assemblée un “Qu’il retourne en Afrique !” », en référence à Grégoire de Fournas, exclu quinze jours de l’hémicycle pour cette saillie. « Pourquoi ne pas retirer aussi nos autres ouvrages ? Le livre sur Rino della Negra, footballeur et partisan, la Fnac en a vendu plein, c’est pourtant dans le même esprit d’émancipation et de critique que le jeu ! »
Ces dernières années, les groupes antifascistes ont été régulièrement dénoncés par la droite et/ou l’extrême droite. Un mouvement particulièrement marqué aux États-Unis sous la présidence de Donald Trump, où les républicains avaient même tenté de légiférer pour interdire ces groupes.
En France, l’extrême droite dénonce régulièrement ces militants, accusés de violences diverses. Mais le gouvernement n’est pas en reste. Gérald Darmanin avait tenté en mars de prononcer la dissolution du Groupe antifasciste Lyon et environ (Gale), avant que cette dissolution ne soit suspendue par le Conseil d’État. Gérald Darmanin avait également annoncé la dissolution de Nantes révoltée, sans que celle-ci ne soit jamais prononcée.
Lundi, l’extrême droite criait victoire sur Twitter. Dans la vraie vie, une nouvelle commande du jeu Antifa a été lancée et devrait être disponible dès janvier.
Christophe Gueugneau
lundi 28 novembre 2022 :: Permalien
Publié par Libération le 28 novembre 2022.
L’enseigne a cédé à une campagne mensongère menée par un député RN. Elle continue de proposer à la vente des livres antisémites et conspirationnistes.
Le député RN Grégoire de Fournas demande, la Fnac s’exécute. Le député lepéniste, connu pour sa saillie « qu’il(s) retourne(nt) en Afrique » à l’Assemblée nationale qui lui a valu d’en être exclu quinze jours, s’est indigné ce samedi sur Twitter qu’un jeu antifasciste soit en vente sur le site de la Fnac. Fondée sur des mensonges, mais largement relayée dans les cercles d’extrême droite, la polémique a même entraîné le syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN). Dimanche soir, la grande enseigne a annoncé faire « le nécessaire pour que [ce jeu] ne soit plus disponible dans les prochaines heures » sur son catalogue.
Retour sur une polémique montée de toutes pièces. Étape 1 : les éditions Libertalia et le collectif antifasciste La Horde rééditent dans une version simplifiée « Antifa : le jeu », un outil de formation à destination des militants qu’ils avaient sorti à la rentrée 2021. Étape 2 : comme a pu le constater Libé, les militants d’extrême droite et quelques influenceurs de second rang s’indignent dans l’entre-soi de la fachosphère… Cercles visiblement poreux puisque, étape 3, le député RN Grégoire de Fournas s’en empare. Samedi midi, il poste sur Twitter une image du jeu accompagnée de ce message : « Case 1 : je bloque une fac. Case 2 : je tabasse un militant de droite. Case 3 : j’attaque un meeting du RN. Case 4 : je lance un cocktail Molotov sur les CRS. » Et de conclure : « La Fnac vous n’avez pas honte ? »
Polémique bâtie sur un mensonge
Très vite, la polémique enfle, poussée par les utilisateurs d’extrême droite du réseau social. Jusqu’à ce que le SCPN se joigne au chœur des indignés et que la Fnac finisse par réagir. Toujours sur Twitter, l’entreprise a répondu au syndicat policier : « Nous comprenons que la commercialisation de ce “jeu” ait pu heurter certains de nos publics. Nous faisons le nécessaire pour qu’il ne soit plus disponible dans les prochaines heures. » Contactée ce lundi matin, l’entreprise se refuse à d’autres commentaires et renvoie vers ce tweet.
Cette polémique est pourtant bâtie sur un mensonge. « Il n’est absolument pas question de tabasser des militants d’extrême droite dans ce jeu ! », précise Nicolas Norrito des éditions Libertalia, qui produisent ce jeu avec le collectif antifasciste La Horde. « C’est un outil de formation, un jeu de cartes avec des dés… Casser du flic ? Mais il n’en est absolument pas question. Nous sommes de longue date militants antifascistes, on a fait attention à ce que tout soit inattaquable juridiquement. Et il est hors de question qu’un jeune se fasse casser la gueule parce que le jeu l’aurait galvanisé. »
Le concept, poursuit Norrito, « c’est que tu gagnes si tu es capable de monter des actions à plusieurs, comme des blocages, des manifs ou créer un podcast, et de les réussir. Nous avons refusé le sensationnalisme et, si la question de la violence est bien posée dans le livret d’appareillage critique qui accompagne le jeu, c’est uniquement sous le prisme de l’autodéfense ». Bref, « rien de tout ce que Grégoire de Fournas affirme, et on attend d’ailleurs qu’il montre les cartes en question » prouvant ces violences qu’il dénonce, soutient Nicolas Norrito.
Des livres antisémites à la Fnac
Surtout, il dit tomber des nues. Le jeu attaqué ici, disponible depuis le 10 novembre, est ainsi une deuxième édition de la version initiale sortie à la rentrée 2021 et dont les 4 000 exemplaires produits ont été vendus en quelques mois. Il était d’ailleurs déjà proposé sur le site de la Fnac, qui en a écoulé plus de 400 exemplaires l’année dernière selon Nicolas Norrito, sans que ça ne pose de problème. La nouvelle version a même été recommandée dans L’Éclaireur Fnac. Le 6 novembre, ce site de prescription tenu par les équipes éditoriales du groupe, décrivait : « Pensées au départ comme un simulateur tout à fait sérieux pour les mouvements libertaires, les mécaniques d’Antifa ont été simplifiées afin de devenir un jeu de société accessible au public. »
« La Fnac a fait une énorme erreur et se retrouve avec un bad buzz colossal, estime Nicolas Norrito. Si elle retire ce jeu, qu’elle retire aussi nos livres sur ces antifascistes de la 2e DB qui ont libéré Paris en 1944 par exemple. » En attendant, sur les réseaux sociaux, les messages de soutien affluent. « Nous avons eu 300 commandes rien que cette nuit sur notre site, le jeu est déjà en quasi-rupture. » De nombreux internautes interpellent également la Fnac car son catalogue ou sa marketplace (où des revendeurs peuvent proposer leurs propres articles) proposent des auteurs antisémites par exemple. Comme les ouvrages du multicondamné pour incitation à la haine raciale Alain Soral ou encore le livre Le Mythe du XXe siècle de l’idéologue nazi Alfred Rosenberg. Questionné sur ce point, le service communication du groupe Fnac Darty n’a pas non plus souhaité faire « d’autres commentaires ».
Par Pierre Plottu et Maxime Macé