Le blog des éditions Libertalia

Trop classe ! dans L’Humanité

mardi 22 mars 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans L’Humanité, mercredi 16 mars 2016.

« Au chevet des enfants comme les médecins face à leurs malades »

Dans Trop classe !, un livre-chronique, Véronique Decker, directrice d’une école d’un quartier populaire à Bobigny, pose un regard tendre, parfois au vitriol et même désespéré, sur l’école en Seine-Saint-Denis, meurtrie par la dégradation de la situation sociale des familles.

« Je m’appelle Véronique Decker. Depuis plus de trente ans, je suis institutrice. Et depuis quinze ans, directrice d’une école élémentaire à Bobigny, l’école Marie-Curie. À part la localisation aux pieds de tours et au cœur des problèmes, notre école présente l’intérêt d’être une école Freinet… » Voilà. Le cadre est posé. Et c’est un petit Zébulon qui ouvre le récit. Trois décennies plus tôt, la toute jeune maîtresse remplaçante intime l’ordre au garçonnet de tenir son crayon correctement. Il peine à tracer la date du jour sur son cahier d’écolier. L’enfant lève la tête et lui montre une main atrophiée. « J’ai le cœur serré. La respiration coupée. Mon cerveau cherche une ressource en urgence avant que je sois submergée par la honte. Toute la classe me regarde, se souvient-elle. Je me suis excusée mais j’ai surtout appris à ne pas perdre mon autorité sur la classe en étant sincère. Que s’excuser auprès d’un élève est un gage de relation honnête. »
Cette même sincérité, son honnêteté impriment aujourd’hui ses confidences. Son désir de partir, de quitter son école de banlieue, désormais plus fort que l’énergie qui durant des années l’a amenée à remuer des montagnes pour ses élèves. L’anxiété qui grandit à quelques jours de la réponse à sa demande de mutation. « Dans mon livre, j’ai voulu dire que les reculs sociaux que nous connaissons dans ces quartiers sont très violents. Nous sommes là, au chevet des enfants comme les personnels hospitaliers face aux malades. Cette violence, personne n’en parle. » Elle décrit le froid, la faim, le manque d’attention subis par certains enfants. Ceux qui dorment dans la rue. « Ce n’est pas l’ascenseur social qui est en panne mais le plancher qui est percé. Nous rencontrons des personnes qui ont traversé le plancher du rez-de-chaussée. Cette traversée est extrêmement difficile à accompagner », se désole-t-elle.

« Travailler avec les enfants permet de garder une fraîcheur »
Le feu ronronne dans le poêle à bois de la salle à manger de sa maison de Bobigny. Il réchauffe l’atmosphère et visiblement l’envie d’en découdre de l’enseignante comme au début de sa carrière. « Durant trois ans à l’école normale nous avions hurlé car on ne nous apprenait pas ce dont nous avions besoin. Nous nous lancions dans des projets collectifs, nous militions dans les mouvements pédagogiques. Nous nous disputions beaucoup. Nous étions formés, pas comme la génération Sarkozy jetée sans parachute directement dans les classes. » Mais surtout, souligne-t-elle, « entrer dans le métier était synonyme de promotion sociale. C’est fini. Une porte s’est refermée ». Elle pense au sort de ses jeunes collègues recrutés cinq années après le bac pour un salaire à peine supérieur au Smic. Elle les imagine vieux enseignants au milieu d’une horde de gamins de maternelle alors que l’heure de la retraite ne cesse de s’éloigner. « À 70 ans, pas un instit ne peut rhabiller un dortoir (entendez : les trente enfants qui viennent d’y faire leur sieste). À quatre pattes, tu ne te déplies plus », s’exclame-t-elle après un calcul rapide et désolant de l’âge de départ à la retraite probable des nouveaux arrivés.
Véronique Decker aime cela. Jouer avec les images pour expliquer qu’« enseigner est un combat partout et porte en tout lieu ses moments “champagne” ». Elle aime également désobéir. Elle l’a écrit à la fin de son livre. Elle a adoré l’idée lancée sur les réseaux sociaux par un professeur du sud de la France qui plutôt qu’une grève a suggéré de désobéir à la réforme de la prise en charge des élèves en difficulté. Elle ne s’est pas gênée non plus pour tenir tête à l’Éducation nationale lorsqu’il s’est agi de boycotter la base informatique des élèves, « le logiciel de traçabilité de la viande enfantine ». Elle aime les pas de côté. Son école sans note. Où les élèves ne sont pas en concurrence mais collaborent et participent à l’organisation de la vie de leur classe, de leur établissement. Où ils goûtent des expériences d’autogestion. « Ces gamins n’auront pas de royaume, ils ne doivent pas s’habituer à avoir des serviteurs. Lorsqu’ils quittent l’école, ils sont plus aguerris, plus réfléchis, plus militants. Et s’adressent aux adultes sans animosité ni déférence », explique fièrement la directrice d’école.
Véronique Decker ne croit pas aux réformes imposées – actualité brûlante du côté des collèges. « L’échec est certain si les gens ne sont pas propriétaires de leurs projets mais ils doivent disposer de temps pour réfléchir à leurs pratiques. » Le temps, elle en accorde également aux enfants. « Il faut aller chercher leur envie d’apprendre », défend-elle en reprenant à son compte la règle d’un grand pédagogue, Janusz Korczak. « Si l’on veut s’élever à la hauteur d’un enfant, il faut se mettre sur la pointe des pieds et avancer doucement », disait le pédiatre juif polonais déporté et gazé par les nazis avec les enfants du ghetto de Varsovie dont il s’occupait. « Travailler avec les enfants permet de garder une fraîcheur. De rester près de la terre. Ils m’aident à penser », dit-elle, comme un tendre aveu oubliant un peu la colère qui aujourd’hui la pousse à partir. « Enseigner est politique puisqu’il s’agit d’élever la génération à venir. À nous de savoir si nous voulons emmener la tête de classe à HEC ou tout le monde vers le maximum de progrès social. »
À travers ses chroniques, Véronique Decker pousse la porte de ses classes, de ses écoles à Montreuil, à Bobigny, toujours en Seine-Saint-Denis, où elle enseigne depuis trente ans. Elle ouvre son cœur au fil de ses rencontres avec des enfants de plus en plus cabossés par la dureté de la vie. Elle s’indigne sur mille sujets : le racisme, l’individualisme, l’intransigeance des religions. Les reculs sociaux qui minent la vie des familles, celle des enfants, le métier d’enseignant. Et nourrissent son envie de partir.
Sylvie Ducatteau

Sylvie Ducatteau

Je vous écris de l’usine, dans Alternative libertaire

mardi 22 mars 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Alternative libertaire, mars 2016.

Depuis son livre Putain d’usine, en 2002, Jean-Pierre Levaray a rejoint la valeureuse cohorte des écrivains prolétariens, dans laquelle l’ont jadis précédé de nobles plumes comme Marguerite Audoux, Georges Navel, Henri Poulaille ou, plus récemment, Mehdi Charef (Le Thé au harem d’Archi Ahmed, en 1985), Maxime Vivas (Paris-Brune, 1997) ou encore Hubert Truxler, alias Marcel Durand (Grain de sable sous le capot, 1990).
C’est justement Hubert Truxler, ancien ouvrier de Peugeot-Sochaux, qui a préfacé le dernier ouvrage de Levaray, Je vous écris de l’usine, compilation de ses chroniques parues chaque mois, de 2005 à 2015, dans le journal CQFD. C’était, confie Truxler, le premier papier qu’il lisait en ouvrant le journal, parce que « pour écrire sur l’usine, il faut la vivre de l’intérieur, la renifler avec ses tripes ».
Ouvrier dans une usine d’engrais au Grand-Quevilly (Seine-Maritime), syndicaliste CGT, militant à la Fédération anarchiste, Levaray est prolixe – près d’une vingtaine de livres ou de collaborations à son actif –, d’une écriture souple, sans pathos ni fioritures. Les mille et une anecdotes qu’il rapporte sont généralement suffisamment fortes, en elles-mêmes, pour marquer les esprits. Il raconte les rares bons moments, avec les copains ; les collègues parfois combattifs, souvent blasés ; le chef pompier teigneux, genre sous-off 1912 ; la secrétaire pimpante qui échappe à un plan social puis qui, esseulée, ses collègues parties, le regrette amèrement ; le vieux militant communiste mais « pas stalinien pratiquant », qui meurt asphyxié d’avoir, toute sa vie, respiré des poussières nocives.
Toute la faune de l’usine est là, sa vie rythmée par les aléas d’un site industriel classé Seveso 2 qui vieillit, se déglingue, dont on redoute la fermeture mais qui, finalement, ne ferme pas. En revanche, la sous-traitance s’y multiplie. « Du coup, explique l’auteur, suivant la boîte qui te paie, tu as une couleur différente. Il n’y a quasiment plus de bleus de couleur bleue […]. Nous travaillons désormais dans une usine multicolore, mais ça n’a rien d’antiraciste, c’est juste que les bleus sont orange, gris, noirs, rouges, verts, j’en passe et des meilleurs. Différenciés, pour nous diviser. »
Pendant quelques années, l’auteur a accepté une corvée : représenter la CGT au conseil d’administration de l’entreprise. Les réunions qu’il endure au siège, à la Défense, apportent elles aussi leur lot d’anecdotes, pathétiques ou drolatiques. Le directeur général de l’usine, un maniaque au look de gestapiste, déverse un jour sa bile contre la CGT et les « pratiques gauchistes » des ouvriers de la boîte. Comme Levaray reste impassible, n’affichant qu’un sourire narquois, l’énergumène accroche illico un autre souffre-douleur : « Vous ne me servez à rien, crache-t-il au malheureux gugusse de la CFDT, pétrifié par cette attaque inattendue. Non, je n’ai plus besoin de vous. Vous n’avez même pas empêché que la grève ait lieu. […] A quoi servez-vous ? » L’auteur aurait pu ricaner. Il ne le fait pas, au contraire. Il souffre de cette humiliation publique du syndicat jaune par son maître. Ce n’est pas là la moindre expression de son humanisme.

Guillaume Davranche

Je vous écris de l’usine, dans Le Matricule des anges

vendredi 11 mars 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Le Matricule des anges, n° 171, mars 2016.

Ni Dieu, ni maître, mais un patron, ou plutôt une patronne : l’usine. Une mangeuse de vie, une broyeuse d’humanité. Cette ogresse-là, Jean-Pierre Levaray l’a côtoyée, défiée, haïe, et malgré tout aimée puisqu’elle est à la fois la matrice et la matière de ses livres. Embauché à 18 ans, maintenant à la retraite, il fut ouvrier pendant plus de quarante ans dans la même usine d’engrais chimiques près de Rouen, un de ces monstres à bout de souffle que l’on fait tourner quand même, classé Seveso 2, c’est-à-dire à hauts risques.
Ouvrier, militant, Jean-Pierre Levaray est habité par une rage de témoigner, de se revendiquer de la classe ouvrière alors qu’on ne cesse d’entendre dire qu’elle n’existe plus. La bonne blague ! Jean-Pierre Lavaray qui a beaucoup lu Annie Ernaux raconte à la première personne, un je collectif, les accidents, la trouille, l’injustice, le désarroi mais aussi l’élan politique, solidaire, quelque chose de l’amitié. Il faut lire et faire lire Putain d’usine (L’Insomniaque, 2002 ; Agone, 2008), un récit d’autant plus poignant que le genre se fait rare en littérature.
Aujourd’hui, il publie Je vous écris de l’usine. Un recueil de textes publiés chaque mois et pendant dix ans dans CQFD, « mensuel de critique et d’expérimentation sociales ». Dix années de luttes, d’espoirs et de désespoirs sont ainsi retracées « à hauteur d’homme » comme dirait Marc Bernard. S’écoulent ainsi entre rires et révoltes des chroniques miroir de notre société, de notre folle mascarade politique. Décembre 2006 : « Quatre heures du matin, plus qu’une heure à tenir et la nuit sera terminée. » Janvier 2010 : « Dans l’usine c’est un mélange de tristesse et de colère. C’est le cinquième accident mortel pour cette année sur l’ensemble des sites français du groupe Total. » Juillet 2015 : « L’usine me sort par les yeux. Il est temps que je prenne la tangente. »
Le prochain ouvrage de Jean-Pierre Levaray paraîtra fin mai aux Éditions libertaires : Pour en finir avec l’usine. Est-ce possible ?

Trop classe ! dans Le Parisien

mercredi 9 mars 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Trop classe ! dans Le Parisien du 2 mars 2016.

Dans la foule des quelque 10 000 instits de Seine-Saint-Denis, elle ne passe pas inaperçue. Véronique Decker est du genre à ruer dans les brancards. Après plus de trente ans de carrière, cette enseignante a décidé de raconter sa vie de maîtresse dans un livre Trop classe !, qui sort ce jeudi aux Editions Libertalia.

Elle esquive « le pathos et les gémissements » de rigueur sous la plume d’un « prof de banlieue ». La sienne est enthousiaste. « J’ai toujours beaucoup aimé enseigner dans le 9-3 ». Le décor est planté dès les premières lignes. « Je suis venue d’ailleurs mais j’ai choisi de rester ici, d’y vivre, d’y travailler et je voudrais témoigner des plaisirs d’enseigner que j’ai rencontrés. »

Pourtant, difficile de passer à côté des constats accablants qu’elle dresse dans ce livre. Véronique Decker est directrice de l’école Marie-Curie, à Bobigny, « au pied des tours et au cœur des problèmes » de la cité Karl-Marx, entre une avenue du même nom et le boulevard Lénine. « Tout cela, au début, me parlait d’un avenir social radieux », plaisante-t-elle. Ironie du sort, son école, avec la rénovation urbaine, a dû adopter une nouvelle adresse : « Émile Zola ». Il n’y avait pas besoin d’un tel nom pour se sentir, parfois, « directement renvoyé dans le XIXe siècle. »

Directrice d’une école à la pédagogie expérimentale
Dans son école, Véronique Decker a mis en place la pédagogie Freinet. Une méthode où les élèves apprennent « chacun à leur rythme », par « le tâtonnement expérimental » et dans la « coopération ». Par exemple, chaque classe se réunit une fois par semaine en « conseil » pour gérer des projets, des conflits ou encore l’argent de la « coopérative scolaire ». Le « grand conseil des délégués » réunit deux élèves de chaque classe qui viennent avec des propositions de projets collectifs et des critiques. « Une vraie petite République des enfants », décrit la directrice.

Scolariser les enfants des bidonvilles
Dans ses classes, elle a dû scolariser les enfants des bidonvilles du coin. « Je n’ai pas choisi d’avoir des enfants roms dans mon école, précise-t-elle. Les campements se sont construits à Bobigny, plus qu’à Neuilly… » Normalement, la vie comme la racontait Zola, c’était fini, mais ces élèves sont arrivés « avec leur lot de misère, de rats qui mordent les bébés, de Cosette et de Fantine. »
Il y a eu Melisa, brûlée vive dans l’incendie du bidonville des Coquetiers, en février 2014, une expulsion, puis d’autres. À chacune, elle s’est battue « car ce n’est pas la peine d’enseigner la morale si l’on est indifférent aux drames de l’existence ». Véronique Decker a ouvert son école la nuit pour héberger des familles, appeler les médias. Salvi, 10 ans, a tout raconté devant les caméras : la traversée de l’Europe dans les bras de ses parents, l’enfance dans ces camps démantelés, une fois, deux fois, trois fois… Tenter en toutes circonstances de venir tout de même à l’école. Il y a eu des petites victoires et surtout, des échecs dramatiques.

« Je vais partir car ici les reculs sociaux sont d’une violence extrême », écrit-elle dans le dernier chapitre. À 58 ans, « et 167 trimestres », elle demande sa mutation dans une petite ville du Limousin. L’instit syndiquée en profite pour dénoncer « dix ans de régressions au sein de l’Éducation nationale : on manque de tout, de livres, d’enseignants, de subventions, de formation… » Et même, ces quatre ans de rénovation urbaine, « de bruit et de poussière » qui lui ont « abîmé la santé » sans rien réparer du tout, « comme si c’étaient les immeubles qui avaient des problèmes et pas les habitants ! » Alors, elle passe la main avec ce dernier message aux jeunes enseignants : « Syndiquez-vous, ne lâchez rien, formez des générations capables, enfin, de changer le monde ! »

Floriane Louison

Trop classe ! dans La Lettre de l’éducation du Monde

mercredi 9 mars 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Par Luc Cédelle, dans Le Monde-La Lettre de l’éducation du 7 mars 2016.

Au pied des tours et au cœur des problèmes.

Véronique Decker, directrice d’école dans une commune de Seine-Saint-Denis, est un personnage attachant, à la fois totalement non représentatif et absolument représentatif. De la directrice ou de la maîtresse « moyenne », au cas où cet adjectif aurait un sens, elle ne saurait être représentative. Elle réunit en effet une série d’attributs qui, additionnés, font d’elle une super-minoritaire : pédagogie Freinet + militante Sud-éducation + exerçant en milieu réellement difficile + engagée dans la défense du droit à la scolarité des enfants roms. En même temps, sans avoir pris pour cela d’autre décision que celle de rester à son poste et d’agir au mieux, elle concentre sur ses épaules la quintessence des problèmes auxquels l’Éducation nationale doit faire face là où rien n’est acquis d’avance. Enfin, elle incarne aussi à merveille la figure du fonctionnaire à l’exact inverse de la caricature, c’est-à-dire passionnément épris de sa mission et rétif à la hiérarchie lorsque celle-ci manque de courage. Tournées avec faconde et humour (bien que certaines soient tristes à pleurer), ses chroniques de la vie quotidienne de son école sont absolument à lire si l’on veut comprendre quelque chose aux problématiques de l’enseignement dans les quartiers populaires les moins bien lotis.

Luc Cédelle