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Entretien avec Elsa Dorlin dans Mouvement

lundi 21 février 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien publié le 17 février 2022 dans Mouvement.

Elsa Dorlin 
Entrer dans le XXIe siècle

Nous sommes au début, ou peut être au milieu, d’une nouvelle vague du mouvement féministe, la quatrième depuis le début du XIXe siècle. Pour la philosophe Elsa Dorlin, il est donc l’heure d’affûter les armes et de passer en revue les forces en présence.  Feu !, l’ouvrage collectif qu’elle a dirigé, sonde l’effervescence de ces formes de résistance et dresse une histoire populaire des féminismes : conflictuelle, plurielle, quotidienne. Sans étiquette.

Qu’est-ce qu’une histoire populaire des féminismes ?
Il y a cinq ans, j’ai beaucoup discuté avec Manon Labry, auteure qui travaille sur l’histoire culturelle des États-Unis. Son livre Riot Grrrls analyse des groupes punks féministes, notamment la mouvance de la petite ville d’Olympia, dans l’État de Washington, qui a été un centre de création musicale, de styles réputés virils, et de féminisme radical. Faire une histoire populaire des féminismes, c’est aller chercher ces courants qui se sont développés dans l’ombre de l’histoire officielle, et plutôt en bas. J’envisage le féminisme comme quelque chose qui est en deçà d’une manifestation politique à proprement parler : plus prosaïque, plus quotidien. Avec Feu !, j’ai essayé de penser la dimension politique à cette échelle-là, c’est-à-dire micropolitique, celle de nos vies et de nos cheminements, qui sont à la fois très individuels, mais peuvent s’écrire au « Je » comme au « Nous », et qui font écho à d’autres mobilisations. Je parle des fanzines, des squatteuses, des ateliers autogérés, des festivals ladyfest, des quartiers populaires ou des Gilets jaunes. Il s’agit aussi de ramener de la conflictualité et de l’antagonisme de classe, au sein des récits des féminismes.
 
Parmi la pluralité de féminismes, il y a des courants « sans label ». Comment faire pour penser ces mouvements-là sans, justement, les étiqueter, ni les étouffer sous la théorie ?
Quand je parle de « féminisme sans label », je veux critiquer les mécanismes de reconnaissance qui viennent nous adouber ou pas, nous mettre soit là, soit là. Comme si ces mouvements demandaient à être reconnus par une instance tierce ! Reconnus mais par qui ? Par quels récits ? Par quelle institution ? Quelle historiographie ? Quelle instance politique va dire : « ça, c’est féministe » et « ça n’en est pas » ? Cette logique excluante est problématique. En tant que théoricienne et philosophe, je dis plutôt : la pratique est théorique, la théorie est pratique. C’est même la base de l’épistémologie féministe. Je crois par exemple que les squats féministes sont les meilleures universités et les réunions Tupperware des groupes de conscientisation féministe très forts. La force du féminisme est d’aller à la base des dichotomies entre théorie/pratique, universitaire/militant, politique/privé, et de les faire exploser.
 
Pensez-vous que nous sommes en train de vivre un nouvel embrasement féministe ?
Dans l’histoire des mouvements sociaux et des insurrections, il y a des moments où plusieurs mobilisations convergent : s’en dégage une forme d’embrasement, au sens propre du terme. Un certain nombre de frontières – qu’elles soient politiques, sociales, théoriques ou même géographiques – sont à ce moment-là transgressées. Les luttes, certains cortèges par exemple, prennent en visibilité. Aujourd’hui, c’est clairement le cas de la lutte féministe. Le féminisme est dans une position révolutionnaire, là, maintenant. On a tendance à faire débuter cette séquence politique avec le mouvement MeToo, en 2017. Mais si on y réfléchit un peu plus attentivement, en France, elle commence au début des années 2000, avec un renouvellement générationnel à l’université, comme dans la rue. Toute une population se politise, non seulement fait des thèses, mais obtient des postes et poursuit un mouvement d’institutionnalisation des problématiques féministes. Leur bibliothèque est renouvelée, leur corpus étoffé de textes anglophones notamment. Les mobilisations s’orientent sur trois problématiques majeures : le sexisme avant 2001 ; le racisme en 2004-2005, avec la loi qui discrimine les femmes portant le foulard ; et enfin la sexualité, qui avait eu tendance à disparaître de la recherche féministe en France. Cela a coïncidé avec l’abandon de « papa » Bourdieu et le rejet de son cadre théorique, qui avait réduit considérablement les outils de réflexion à la domination masculine. Il s’agissait alors de repolitiser le patriarcat, son articulation avec le capitalisme, d’y intégrer les questions d’écologie, de santé, du travail… Depuis ce moment-là, le foyer féministe est entretenu en continu. Et de nouveaux foyers sont en train de prendre un peu partout.
 
Ceci explique-t-il la violence du backlash, ce retour de bâton réactionnaire ?
Complètement. Le livre est aussi né de ça. À Paris, juste avant le confinement, le 8 mars 2020 [manifestation pour la journée internationale des droits des femmes – Ndlr] on a vu converger à la fois l’influence latino-américaine – les chansons, l’idée de faire corps –, et des revendications réellement anticapitalistes, antiracistes et la dénonciation des féminicides et des violences sexuelles. C’était comme une espèce de déclaration commune d’amour et de guerre. Mais aussi, et pour la première fois, on a vécu une répression policière, sans précédent sur un cortège féministe. C’est bien évidemment à comprendre dans un mouvement plus général d’extension des violences policières au-delà de leurs cibles traditionnelles, les quartiers populaires et les migrants : elles concernent aussi les cortèges étudiants, les syndicalistes, les Gilets jaunes. Mais cela constitue désormais le féminisme comme un mouvement qu’il faut stopper, parce qu’il est devenu extrêmement menaçant. Au fond, c’est une tentative de mater idéologiquement les intersectionnelles, le « wokisme », les « idéologies LGBT ». Le livre veut aller un cran plus loin. Dire : « On vous voit faire et nous aussi on fait, on fabrique, on affûte, on prend soin, on s’expose, on construit. »
 
Vous travaillez sur le concept d’intersectionnalité – l’intersection des discriminations de genre, de classe et de race – depuis les années 2000, avec La Matrice de la race notamment. Comment cette notion a-t-elle révolutionné les mouvements féministes ?
À l’origine, l’intersectionnalité est un outil d’analyse du droit américain. Et pas n’importe quel droit : celui des législations anti-discriminations, donc post-ségrégationnistes. Mais le concept, aujourd’hui polysémique, vit sa vie dans des milliers de contextes : il a été complètement renouvelé par les collectifs afro-féministes en France. Pour moi, c’est un bouleversement intellectuel et politique sur l’échiquier des féministes. Dans les années 1970 en France, il y avait déjà des collectifs de femmes guyano-antillaises, afro-descendantes ou migrantes. Ils ont beaucoup œuvré, travaillé, posé ces questions d’articulation entre le genre, la race, la classe. Mais c’est comme si le récit de ces années-là avait gommé tout cela. C’est le constat que je faisais dans Black Feminism, anthologie du féminisme africain-américain en 2008, quand j’écrivais « en France, il n’y a pas eu de féminisme noir ». Non pas qu’il n’ait pas existé, mais il n’a pas fait histoire, contrairement à ce qui s’est passé aux États-Unis à la même période. Alors qu’aujourd’hui, l’une des caractéristiques du renouvellement politique que met en œuvre les collectifs afroféministes, est justement d’empêcher que cette mémoire soit effacée. C’est en ça que c’est révolutionnaire. La force de l’intersectionnalité – et on voit que c’est une force parce que c’est devenu l’ennemi public n° 1 du discours politico-médiatique – c’est d’être ineffaçable. Cette problématique est dans le jardin de tous et toutes.

Comment peut-on sortir du sentiment de fatalité, de lassitude voire d’abattement dans les luttes actuelles ?
Il y a dans le féminisme une pensée du désespoir, de la fatigue et de l’épuisement qui est en permanence reprise, rechargée, reformulée. C’est pour cela que dans le livre, il y a une entrée « Fatigue », écrite par Anaïs Bourdet, la créatrice du blog Paye ta shnek. Elle s’est confrontée aux témoignages de milliers de femmes sur le sexisme ordinaire, sa violence crasse et dégueulasse. Elle a beaucoup réfléchi à la fatigue militante, au burn-out politique. C’est une lame de fond du féminisme. À un moment donné, dans le processus de conscientisation politique, on se découvre à vif, écorchées, sur le qui-vive. La journée politique d’une féministe ne finit jamais, car ça touche à toutes les dimensions : les sphères privée et publique, la rue, le travail, le rapport à la famille, à soi… En réalité, on se bat partout et tout le temps. Il n’y a peut-être pas de grand soir mais il y a plein de petits soirs.
 
Pour quelles raisons est-ce qu’on en vient aux mains ?
Il y aurait pu avoir un texte « autodéfense féministe » dans Feu !, mais disons que les 64 entrées, chacune écrites par des auteures ou collectifs différents, en sont toutes des déclinaisons. Aujourd’hui, on voit bien que le devenir-femme est un devenir « violentable ». Le féminisme radical, c’est une façon de déconstruire ça : désapprendre à ne pas se battre, et se reconstituer à partir de là, individuellement et collectivement. Concrètement, ça peut mener à des formes d’affrontement au corps-à-corps. Mais l’on sait que l’exposition au risque d’agression sexuelle est plus grande en lieu clos, avec des proches, et que ces abus sont très largement répandus. Le chemin de déconstruction pour se donner à soi-même l’autorisation de se défendre est donc extrêmement long. Cela dit, l’autodéfense – se battre – peut aussi prendre la forme de soins, d’organisation, d’autodétermination. C’est réapprendre à bouger autrement, à faire autrement, à voir autrement, à penser autrement. Tous ces processus de conscientisation féministe ne passent pas seulement par des groupes de parole, mais aussi par des actions, des fêtes, des mobilisations, des rages.
 
La violence féminine est souvent invisibilisée ou rendue monstrueuse. Qu’est-ce qui dérange tant dans la violence, quand elle vient des femmes ?
Le poids historique de la répression de la violence des femmes est lourd. Certains processus vont la délégitimer en la rendant pathologique, exceptionnelle, psychiatrique… La violence a un coût social, il est important de le souligner : une femme qui se défend perd sa maison, la garde de ses enfants, ses moyens de subsistance, et parfois ses proches. Avant même d’en venir aux mains, le simple fait de répondre à une insulte sexiste expose à la violence. Ces formes de discipline ressemblent aux « campagnes de pacification » dans les colonies. On sait très bien qu’au fond, il ne s’agit pas de pacification mais de répression. Ce qui est hallucinant, c’est que cette répression à l’égard des femmes opère dans toutes les institutions : la famille, la médecine, le travail, la rue… Ma question aujourd’hui serait plutôt : comment mobiliser la violence dans l’action directe ? J’ai conscience que toutes les femmes ne pourront pas le faire, car le coût n’est pas le même pour toutes. Un article du livre présente la mobilisation féministe dans les communautés roms. On ne parle même pas de violence féministe, simplement de mobilisation, mais on voit avec quelle brutalité elle est réprimée. La question se pose aussi différemment pour les femmes afro-descendantes et les femmes musulmanes. En revanche, c’est à cet endroit que l’on peut donner un peu corps, un peu de sens, à la convergence des luttes. Pour moi, la convergence des luttes, c’est être juste dans la répartition de la répression. Cela veut dire que les personnes les plus protégées doivent aller à l’affrontement, en première ligne.
 
L’année dernière, l’auteure Virginie Despentes annonçait, dans le cluster révolutionnaire du philosophe Paul B. Preciado au Centre Pompidou, que la douceur et la bienveillance sont les notions les plus antinomiques au système qui nous opprime. Dire révolution, c’est dire douceur. Peut-il y avoir révolution sans violences ?
J’ai participé à cet événement. Despentes et Preciado tombent d’accord sur cette question de l’amour, alors même que ces deux figures ont radicalisé l’affrontement et déculpabilisé les interpellations frontales du patriarcat. J’en ai pris acte, mais je ne sais pas exactement ce que ça veut dire. La douceur et l’amour existent dans tous les groupes qui ont dû se défendre : dans les mouvements politiques afro-descendants, dans ceux de libération nationale et dans les mouvements féministes queer, lesbiennes, trans, écoféministes radicaux. Tous sont dans un care communautaire : sur la santé, sur l’eau, sur la manière de faire famille, l’habitat, l’éducation. Donc découvrir aujourd’hui qu’amour et révolution peuvent cohabiter, c’est très important, mais les personnes qui, historiquement, ont été contraintes de se politiser pour des questions de vie ou de mort n’ont pas eu ce choix. Lorsque tout est fait pour rendre votre vie invivable, vous êtes obligé de faire le choix du soin, donc de l’amour. Il y a une très belle phrase de Malcolm X, dans un dialogue avec Martin Luther King, qui dit : plutôt que de tendre l’autre joue à l’ennemi, aimons-nous entre nous. Mais il faut le dire : dans les communautés marginalisées qui produisent des formes de vie inédites, il y a aussi des violences internes, entre allié·es. Parce que c’est dur, les vies sont dures. Pour moi, la révolution n’est pas qu’amour, c’est aussi des coups de marteau et des genoux cassés.

Propos recueillis par Iris Deniau et Léa Poiré

Entretien avec Dimitri Manessis et Jean Vigreux sur le site Le Corner

lundi 21 février 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Un passionnant entretien-fleuve, publié sur le site Le Corner, le 18 février 2022.

Le 21 février 1944, plusieurs résistants sont fusillés au Mont-Valérien. Parmi eux se trouve un jeune homme de 20 ans. D’origine italienne, c’est un prometteur footballeur ayant porté le maillot du célèbre club audonien du Red Star, et militant d’une structure résistante, connue aujourd’hui sous le nom de « Groupe Manouchian ». Ce jeune homme c’est Rino Della Negra. Né à Vimy dans le Nord, le 18 août 1923, ce personnage historique semble aussi mythique qu’abstrait. Pourtant, sa mémoire est cultivée, que cela soit à Saint-Ouen par les supporters du club à l’étoile rouge, ou à Argenteuil, la ville de son enfance, par sa famille. Une question toute simple se pose alors : qui était-il vraiment ? Une biographie renouvelée, sous le nom de  Rino Della Negra, footballeur et partisan (éditions Libertalia, 2022), entend répondre à cette question. Les deux auteurs de cet ouvrage d’exception, Dimitri Manessis et Jean Vigreux, nous ont accordé un entretien, pour discuter de Rino et de leurs recherches. Le premier est docteur en histoire contemporaine et le second professeur d’histoire contemporaine à l’université Bourgogne Franche-Comté.

Le Corner : Si vous le voulez bien, commençons avant le commencement. Quelle est la genèse de cet ouvrage ? En d’autres termes, comment vous retrouvez-vous autour de cette idée commune, celle d’une biographie renouvelée de Rino Della Negra ?

Dimitri Manessis : Cela vient à l’origine d’une écharpe. Une écharpe que j’achète aux supporters du Red Star, au cours de la saison 2017-2018. Celle-ci dispose d’un fond blanc, de rayures vertes et porte la dénomination « Tribune Rino Della Negra ». Jean, qui était à l’époque mon directeur de thèse, me voit avec celle-ci lors d’un séminaire à l’université de Bourgogne. Il me demande ce qu’elle représente et signifie, puis nous discutons rapidement de tout cela. Le lendemain, Jean me téléphone pour me dire qu’il s’est renseigné et qu’il n’existe aucun travail scientifique avancé autour de Rino Della Negra. Cette figure lui plaît, notamment les liens existant avec le football, et me propose de mener une enquête avec lui, puis d’en faire un livre. Quand ton directeur de thèse te propose un projet d’ouvrage, durant la rédaction de ta thèse et dans un sujet éloigné de celle-ci, tout d’abord, tu as peur. Puis, tu dis oui, et tu es très heureux.

Jean Vigreux : Je trouvais que le sujet était trop beau et qu’il fallait que l’on fasse quelque chose. Cela permettait aussi de travailler ensemble. On parle souvent des plagiats concernant les directeurs de thèse envers leurs doctorants et je voulais montrer qu’il était possible d’avoir d’autres relations que celles-là, de travailler ensemble sur des thématiques qui nous sont propres et communes, dans une véritable association, entre un jeune doctorant et un enseignant confirmé. Un chemin légèrement détourné pour ma part avec le football, car c’était la première fois que j’allais sur ce terrain. Le reste, en ce qui concerne les processus de politisation, les classes populaires, la Résistance, les mémoires ce sont des choses qui me sont plus familières. Je suis très content de ce travail mené avec Dimitri.

Le Corner : Dimitri, par l’achat de cette écharpe, indique indirectement l’attrait qu’il possède pour le football… Pour vous, Jean, qui dites être éloigné des thématiques sportives justement, quel fut le processus pour se familiariser à un tel sujet ?

JV : Sur le sport, je disposais tout de même d’une bibliothèque importante. Qu’il s’agisse des travaux de Stéphane Beaud, Fabien Archambault, Marion Fontaine, Olivier Chovaux ou encore de Paul Dietschy, sans oublier Alfred Wahl… Je connaissais les grandes lignes de la bibliographie sur le football. Ce n’était pas un souci. Disons que ce n’est pas sur le sport que j’avais mené des travaux spécifiques. Surtout, Rino était connu et disposait de certaines notices biographiques, notamment celle du Maitron [Dictionnaire biographique en ligne, concernant le mouvement ouvrier/social, ndlr], très bien faite, mais lacunaire. Notre volonté était d’avancer des faits vérifiés et ne pas simplement poser de nouvelles questions sur son parcours et sur une biographie qui serait par ailleurs forcément très courte, Della Negra étant mort à 20 ans. Tout l’enjeu était là.

Le Corner : Comme vous l’évoquiez à l’instant, Rino est déjà relativement connu et nous étions au fait de certaines de ses actions dans la Résistance. Néanmoins, pour dire de nouvelles choses, il faut trouver de nouvelles sources, qu’elles soient orales, écrites… Dès lors, quelles sont les premières actions à entreprendre, pour enrichir ce sujet partiellement exploré ?

DM : On se pose, on discute et on réfléchit à la constitution d’un corpus de sources. C’est notamment dans ce cadre qu’il était intéressant de travailler à deux, l’un complétait les idées de l’autre, et inversement. Très rapidement, on s’aperçoit de la multitude de directions vers lesquelles on doit s’orienter. On essaie de constituer le corpus de sources le plus large possible, mais, comme l’a dit Jean, celui-ci concerne un très jeune homme. Par conséquent, ce ne fut pas toujours évident. Au-delà de certains fonds d’archives, on a eu la chance de faire deux rencontres importantes au cours de cette enquête : Gabrielle Crouin et Yolande Della Negra.
La première est une amie d’enfance de Rino Della Negra. Elle nous a accueilli chez elle pour nous raconter bon nombre de ses souvenirs, au sujet du quartier italien de « Mazzagrande » [surnom donné à un quartier d’Argenteuil regroupant de nombreuses familles immigrées italiennes, dont celle de Rino, ndlr] ou les relations directes qu’elle entretenait avec lui. Tout ceci nous a permis d’entrer de plain-pied dans l’enfance et la jeunesse du principal concerné. La seconde est la belle-sœur de Rino [l’épouse de son petit frère, Rémo Fiori, né en 1925, ndlr]. Cette dernière nous a conté la mémoire familiale, mais nous a, surtout, donné accès aux archives des Della Negra. Dans ces archives nous avons retrouvé énormément de choses, telles des photographies, des dessins… Dont beaucoup sont à retrouver dans le cahier photographique de l’ouvrage. Ces deux rencontres ont permis de donner une grande substance à notre travail. À côté, il y a aussi tous les autres fonds que nous avons explorés, sans exhaustivité. Je pense notamment aux Archives nationales ou aux Archives de la préfecture de police. Tous ces fonds, qui traitent à la fois du football, de l’immigration, de la Résistance, des processus de politisations populaires… me permettent de dire que cet ouvrage repose sur un corpus solide.

JV : Ce solide corpus a profité de l’ouverture des archives relatives à la Seconde Guerre mondiale, entre la fin 2015 et le début de l’année 2016. Nous avons donc bénéficié de « nouvelles » archives, concernant les listes d’attentats, les inventaires policiers des archives nationales… En les recoupant nous avons pu découvrir de nouvelles choses. Ensuite, les Archives de la préfecture de police, celles abordant ceux qui traquaient et chassaient les résistants, les brigades spéciales, ainsi que leurs interrogatoires. On a pu partir de ces choses qui n’avaient jamais été vues. Parallèlement, il y a également le Service Historique de la Défense, dans lequel se trouve le dossier personnel de Rino, sa mère ayant obtenu la reconnaissance de son fils comme « mort pour la France ». Tout ceci nous a permis de tirer les fils et de reconstituer sa biographie. Néanmoins, ici s’agit seulement de ce que je nommerais les « forces de répression ». Nous avons aussi prospecté du côté des archives du Musée national de la Résistance à Champigny, pour tout ce qui concernait les FTP-MOI [Franc-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée, des unités de la résistance communiste dont fait partie Rino, ndlr] ou la résistance communiste plus globalement. Ainsi, nous avons pu tracer le fil rouge de cette biographie, celle d’un footballeur passionné, antifasciste et issu d’un milieu italien populaire, tout en relevant ses actions de l’année 1943.

Le Corner : Ces nombreuses sources, émanant de différentes entités, par ailleurs antagonistes au moment des faits contés, posent la question de la méthode historique. Quelle fut la difficulté, si difficulté il y a eu, pour combiner toutes ces données et démêler le vrai du faux ? Plus encore, comment bien interpréter les sources orales, forcément sujettes à la subjectivité, aux imprécisions ou même à l’oubli ?

DM : Quand tu travailles sur un sujet de ce type, tu te rends vite compte de la nécessité du recoupement des sources, chose qui nous apparaît essentielle et logique, au contraire de certaines personnes qui prétendent faire de l’histoire. Dans le cas du travail sur Rino, ce recoupement des sources, cette administration de la preuve, sont importants, car nous sommes confrontés à des sources très diverses. Elles portent chacune un discours. Des témoignages d’anciens résistants publiés après-guerre, des témoignages familiaux au XXIe siècle, des sources policières d’époque… Tu te retrouves avec autant de récits différents.
Tu es obligé, en tant qu’historien, de croiser ces éléments et, le cas échant, quand tu n’es pas en mesure de donner un avis définitif, d’émettre des hypothèses. C’est plusieurs fois le cas dans l’ouvrage. Par exemple, quand tu étudies les archives policières au sujet de Rino Della Negra, tu constates que c’est l’un des seuls membres, de ce que l’on appellera plus tard le Groupe Manouchian [en référence à Missak Manouchian, commissaire militaire des FTP-MOI de la région parisienne, ndlr], à ne pas être repéré par les brigades spéciales. Par conséquent, si l’on se contente des seules archives policières, qu’est-ce qui lui est attribué ? D’être un jeune footballeur, coupable d’un vol de bicyclette [comme détaillé dans l’ouvrage, ces bicyclettes volées servaient à des opérations des FTP-MOI, ndlr] sous l’influence de « judéo-bolcheviques ». Voilà le récit donné par l’institution policière française en ce qui concerne Rino Della Negra qui, à la lecture du livre, ne tient pas. Le recoupement des sources et leur multiplication, quand cela est possible, est donc absolument nécessaire.

JV : Pour appuyer ce que vient de dire Dimitri, je rajoute qu’en faisant cela nous avons pu vérifier les enjeux des attentats. L’occupant et la police française ne parlent jamais de ces attentats, c’était l’omerta en ce qui concernait cette guérilla. D’où l’importance de l’administration de la preuve. Du côté de la Résistance, on considérait parfois avoir fait plus de victimes au cours de tel ou tel attentat. C’est à la mode ces dernières années que de minimiser le rôle des FTP-MOI, par extension celui de toute la lutte armée précédant le débarquement. Autre aspect, au-delà de la vérification et du recoupement des sources, nous avons aussi fait un travail de chronologie fine, c’est à dire que nous avons sans cesse repris la chronologie des événements. Rino est réfractaire au STO [le Service du travail obligatoire, réquisition et transfert vers l’Allemagne de centaines de milliers de travailleurs français pour participer à l’effort de guerre, ndlr] en 1943, à partir de février plus exactement. Il entre dans la clandestinité à ce moment. Nous avons tout retracé, depuis ce passage dans la clandestinité, jusqu’à son arrestation en novembre de la même année, en passant par son action au sein des FTP-MOI.
En travaillant cette chronologie fine, on constate qu’il continue de joueur au football sous sa véritable identité. On tombe presque des nues face à un tel état de fait. D’un côté, il est résistant et clandestin, de l’autre, il use de sa véritable identité, tout en passant entre les mailles du filet. Cette insouciance ou culot, ou qu’importe le nom, le fait que même la police [les brigades spéciales, ndlr], impliquant pourtant 200 agents pour seulement 68 FTP-MOI, ne connaît pas Rino, alors qu’elle identifie tous les autres… Sa fiche de police que l’on a reproduite en annexe du livre indique qu’il aurait pu passer à travers les mailles du filet. Autre chose, qui me semble importante dans la démarche, c’est de croiser, non seulement les sources évoquées, mais également la presse. L’avantage aujourd’hui, c’est de pouvoir travailler sur ce qui se trouve en ligne, grâce à RetroNews et Gallica, spécialement les presses sportive et militante. Par exemple, les feuilles de match permettent de corroborer les archives familiales, comme cette photographie de l’équipe du Red Star, avec Rino, qui est envoyée à la famille après la guerre. Cela permet de tordre le cou à tous ceux qui réfutent son passage au sein du club audonien.

Le Corner : Si les archives policières sont lacunaires au sujet de Rino Della Negra, en lisant votre ouvrage, on constate une autre particularité de vos recherches : l’identification de son nom. En effet, en plus des pseudos utilisés au sein de la Résistance, pour des raisons que l’on comprend aisément, les mauvaises retranscriptions concernant son prénom ou son nom, voire les deux, sont nombreuses dans les missives et notes policières. Quelle difficulté face à cela ? D’ailleurs, ces mauvaises retranscriptions signifient-elles quelque chose ?

DM : C’est vrai que dans un certain nombre de sujets, l’orthographe peut causer des problèmes. Au début, cela nous a aussi interrogé, car son matricule [au sein des FTP-MOI, ndlr] est également concerné par ces erreurs de retranscription. Nombre de témoignages évoquant Rino donnait un matricule qui n’était pas le bon. On allait au Musée national de la Résistance, puis on se rendait compte que le matricule avec lequel on était arrivé ne correspondait pas à ce que l’on trouvait. Il faut alors être très rigoureux pour identifier le concerné au milieu des archives, que cela relève d’un mauvais matricule ou d’une mauvaise retranscription de son nom.

JV : Pour préciser, le matricule était le 10 293, qui se transformait parfois en 10 233. Nous faisions sans cesse des tableaux de correspondance. Nous avions également cela pour les mauvaises retranscriptions de son nom. Parfois, dans certains cas, si nous n’étions pas sûrs, nous revenions à l’hypothèse, par exemple lors d’un passage d’une prison à l’autre. En revanche, même les témoins et les acteurs pouvaient mal retranscrire, c’est le cas de Tchakarian [Arsène de son prénom, résistant ayant appartenu aux FTP-MOI. Après la guerre, il publie différents ouvrages sur son parcours, ndlr].

DM : Il y a aussi des erreurs sur le vocabulaire plus généralement. Par exemple, dans les archives allemandes et policières françaises, le « MOI » de « FTP-MOI », qui veut dire « main-d’œuvre immigrée », devenait « mouvement ouvrier international ». Leur schéma de pensée anticommuniste faisait que pour eux le véritable nom de la structure ne pouvait inclure « main-d’œuvre immigrée ». D’ailleurs, quand on regarde certains documents des renseignements généraux français, datant des années 1950 voire 1960, les mêmes erreurs sont reprises. C’est un détail, une petite anecdote, mais qui indique bien le manque de fiabilité de certaines sources. Elles possèdent un regard biaisé, mais aussi des erreurs factuelles.

Le Corner : Dans votre ouvrage, vous jonglez souvent entre la grande et la petite histoire. Vous donnez des éléments de compréhension concernant le communisme français ou rappelez les grandes étapes de la Seconde Guerre mondiale, puis, vous évoquez Rino, son quartier, son cercle social proche…

JV : Bien sûr ! Cela va de soi que d’inclure cette histoire singulière dans une histoire beaucoup plus large. Ceux qui sont engagés, comme le fut Rino, participent autant de la petite que de la grande histoire. Ces jeux d’échelles permanents, entre l’individuel et le groupe, entre le singulier et le collectif, sont à prendre sans cesse en considération. Toute démarche historique, surtout quand on s’attelle à une biographie, est autant individuelle que collective.

Le Corner : Comme le nom de l’ouvrage l’indique, Rino Della Negra c’est aussi… le football. Grâce à votre travail nous prenons connaissance de son parcours au sein des championnats et compétitions de la FSGT [Fédération sportive et gymnique du travail, une fédération omnisports créée en 1934, ndlr], mais également les preuves irréfutables de son passage au Red Star FC [Red Star Olympique, dénomination officielle entre 1926 et 1946, ndlr]. Quelle est la place du football dans sa socialisation, notamment politique ?

DM : Le football c’est la grande passion de Rino. Son parcours, les archives familiales et les témoignages le démontrent clairement. Rino, c’est un « footeux ». C’est un footballeur de talent également, mais pas seulement. Il ne pratique pas seulement le football, d’ailleurs, la norme de l’époque est celle des clubs omnisports. C’est un sportif complet et accompli et il brille dans différents clubs. Ce ne fut pas toujours évident de reconstituer son parcours sportif, car beaucoup de clubs changent de noms, des dates se chevauchent et de plus, Rino joue dans différentes catégories de football. Il joue dans des équipes de la FSGT, mais aussi pour celle de son entreprise, celle de la Société des usines Chausson.
Quand on retrace tout cela, ce n’est pas simplement pour dire qu’il fait beaucoup de sport, c’est aussi pour se questionner, spécialement sur le fait de jouer au sein de la FSGT et par extension sur ce que représente celle-ci durant les années 1930. Entre 1939 et 1940, cette fédération est purgée de ses cadres communistes. Le club dans lequel joue et brille Rino au début des années 1940 s’appelle la JSA, pour Jeunesse sportive argenteuillaise. Quelques années auparavant, elle portait le nom de Jeunesse sportive Jean-Jaurès d’Argenteuil. C’était un club FSGT, lié aux enjeux de la guerre d’Espagne, investi dans l’action politique de son temps. Appuyé par l’étude de ses réseaux, cela nous apprend le contexte dans lequel évolue Rino. Il joue avec d’autres jeunes de son quartier : des Italiens, mais aussi des Arméniens, des Français, etc. Cette équipe de la JSA montre ce qu’est la vie de la banlieue en ce temps, avec ces filles et garçons, de différentes origines, qui se mélangent et construisent leur identité au sein de cette culture, au sens large du terme. Une culture pas seulement sportive, mais aussi politique.

Le Corner : Dimitri évoquait la guerre d’Espagne dans sa réponse, justement, dans les descriptions de son cercle social argenteuillais, nous apprenons que certains de ses amis d’enfance ont combattu en Espagne [des milliers d’Européens se rendent dans le pays afin d’appuyer les forces républicaines, notamment au travers des réseaux du Parti communiste français, ndlr]. En plus de son parcours au sein de clubs estampillés « FSGT », et malgré le fait qu’il n’ait jamais officiellement appartenu à un parti politique, tout ceci n’alimente-il pas un habitus politique conséquent, voire une conscience « immigrée » ?

JV : Plus qu’une conscience immigrée, je pense que c’est une conscience populaire, marquée par l’antifascisme politique et les actions du Front populaire. N’oublions pas qu’il a 14 ans en 1937, l’âge de sa première licence sportive d’ailleurs ! À cela il faut ajouter tous les débats de l’époque. Au niveau local, la mairie d’Argenteuil est communiste depuis les élections municipales de 1935, tandis que le député rattaché à la commune est Gabriel Péri [journaliste et homme politique, membre du comité central du Parti communiste, arrêté comme résistant et fusillé en 1941 au Mont-Valérien, ndlr]. N’oublions pas qu’il entre aussi très rapidement à l’usine, dans une époque où l’enseignement n’est pas totalement démocratisé. En tant que jeune homme populaire, issu de l’immigration, il n’avait « droit » qu’à l’école primaire. Il est pris dans tous les enjeux et débats politiques de son temps, d’autant que certains de ses amis, à peine plus âgés, s’engagent effectivement dans la guerre d’Espagne. Nous retrouvons cet engagement dans les récits, eux-mêmes contés dans les cafés, ces autres importants lieux de sociabilité pour un jeune homme comme Rino. Certes, il n’est pas encarté, dans le sens où nous n’avons pas retrouvé de carte de membre du Parti communiste à son nom, sauf qu’il appartient à cette galaxie, à cette sociabilité politique et populaire qui s’alimentent par les lectures, les meetings et les récits. Bref, oui, tout ce qui socialise un habitus antifasciste.

DM : Effectivement, les enjeux sont résumés par cette question et par la réponse de Jean. Il était très important d’arriver à reconstituer le plus précisément possible le milieu dans lequel il évoluait. Rino n’évolue pas n’importe où, n’importe quand et avec n’importe qui. Il évolue dans la « banlieue rouge », avec d’autres gens issus de l’immigration italienne, très politisés, et à un moment où le combat antifasciste est un axe autour duquel se politisent de grandes masses des secteurs populaires. La guerre d’Espagne, qui est d’ailleurs vue par beaucoup de volontaires italiens comme la continuité d’un combat qu’ils ont d’abord mené en Italie, le touche directement car deux de ses meilleurs amis, André Crouin et Tonino Simonazzi, partent comme volontaires dans les Brigades internationales [groupes armés composés de volontaires antifascistes provenant de 53 pays différents et qui s’engagèrent aux côtés des forces républicaines durant la guerre d’Espagne, ndlr]. Ils sont d’ailleurs blessés là-bas. Rino baigne dans un milieu et une époque qui permettent de comprendre de nombreux aspects de son évolution future.

JV : On peut rajouter à cela les grèves qui secouent le monde ouvrier dans le sillage du Front populaire. Ce sont autant d’effets cumulatifs qu’il ne faut pas perdre de vue.

Le Corner : Comme vous le détaillez, après une opération ratée en novembre 1943, Rino est blessé et arrêté. Il est fusillé au Mont-Valérien, en compagnie de d’autres membres du Groupe Manouchian, le 21 février 1944, à 20 ans. Après la guerre, très rapidement, beaucoup d’hommages lui sont rendus, L’un, en 1950, dispose d’un caractère international, avec la présence du vice-consul italien dans sa ville d’origine d’Argenteuil. Est-ce une reconnaissance pleine et entière, à un moment donné, de son action dans la Résistance, ou bien ces hommages sont-ils le fait de nouveaux pouvoirs, remplaçant Vichy en France et le fascisme en Italie, désireux de s’associer à la Résistance et ses figures ?

DM : Beaucoup d’éléments dans une telle question… D’abord, sur l’aspect italien. C’est intéressant et on a vraiment voulu évoquer ceci car on entrevoit à ce moment, que cela soit au niveau des pouvoirs publics, de la galaxie communiste et celle des anciens partisans italiens, la volonté de nouer un lien symbolique, fort, entre le combat en Italie et le combat en France. À cet hommage de 1950, Rino reçoit la médaille garibaldienne, renvoyant d’abord à Garibaldi lui-même [Giuseppe de son prénom, général et homme politique italien du XIXe siècle. Il est considéré comme l’un des « pères de la patrie » italienne, ndlr], mais aussi aux volontaires italiens engagés en Espagne et aux brigades d’assaut italiennes [les brigades d’assaut « Garibaldi » sont le nom donné aux factions armées résistantes liées au Parti communiste italien, ndlr] qui adoptent toutes le nom de « Garibaldi ». En décernant cette médaille à Rino Della Negra, on symbolise le combat par-delà les frontières. Le diplôme accompagnant la médaille est d’ailleurs signé par Luigi Longo, grand dirigeant du Parti communiste italien, député et cadre des Brigades internationales en Espagne. À travers cette seule signature s’incarne le fil rouge de tout ce combat. Ensuite, au sujet de la récupération des pouvoirs publics plus largement, je laisse Jean répondre.

JV : Il faut avoir à l’esprit que c’est en 1950 que l’on reconnaît officiellement à Rino le fait d’être « mort pour la France », après les démarches de sa mère. De plus, nous sommes déjà au cœur de la guerre froide. En 1947, dans le cadre du plan Marshall, les ministres communistes ont été renvoyés du gouvernement français. Néanmoins, le terme de récupération n’est peut-être pas approprié. Nous sommes dans le mouvement de l’après-guerre au cours duquel on survalorise le poids de la Résistance dans la population, entre la mémoire gaulliste et communiste. Par ailleurs, au sujet du caractère international et communiste, il ne faut pas perdre de vue l’enjeu internationaliste, nombre de textes en langue italienne sont par exemple publiés par la CGT, et le fait que le Parti communiste français soit alors un parti de masse. Il est celui qui compte le plus de militants. Sans être au gouvernement, il est sans doute le plus puissant des partis français. Tout en étant concurrencé par le courant gaulliste, avec la création du RPF [Rassemblement du peuple français, parti politique créé par Charles de Gaulle en 1947, ndlr]. Aujourd’hui cela nous paraît très lointain, mais au cours des années 1950, tous ces enjeux mémoriels et politiques sont fondamentaux.

DM : Je rajouterais aussi que la mémoire de Rino Della Negra et de ses camarades, dans la galaxie communiste, intervient également après-guerre dans le combat pour la défense des immigrés. Au début des années 1950, dans le contexte de la guerre froide, des politiques massives d’expulsion se mettent en place. Ces dernières visent bien sûr les étrangers mais également des naturalisés italiens, polonais, espagnols, parfois juifs, à qui on retire la nationalité française sous prétexte qu’ils sont communistes.

Le Corner : Comme l’a évoqué Jean, on apprend dans l’ouvrage que la reconnaissance du combat de Rino par l’État français est motivée par le travail de ses parents. N’est-ce pas étonnant qu’ils doivent autant se battre pour celle-ci ?

JV : C’est valable pour tout résistant, c’est même valable pour les déportés. Je suis désolé de le dire ainsi, mais c’est le problème d’une certaine bureaucratie administrative. Peut-être que certains ne voulaient pas que l’on donne trop d’importance, à ce moment, à la résistance communiste. C’est une hypothèse, je ne l’affirme pas complètement. En tout cas, c’est la longueur des dossiers qui est surtout à incriminer. Il faut être patient. Comme je le disais, certains déportés ont vécu les mêmes difficultés, dans la constitution de leur dossier et leur validation. Tout ceci dans le contexte de la guerre froide et de l’épuration du régime de Vichy.

Le Corner : Le quatrième et dernier chapitre de cet ouvrage, qui s’intitule sobrement « Mémoires », aborde les pratiques mémorielles, notamment celles des supporters du Red Star. Comment, selon vous, au-delà de cette mémoire entretenue depuis les années 2000 par les supporters organisés du club audonien, peut-on expliquer l’avènement « médiatique » de son nom et de ses actions ? Par extension, le recours de plus en plus fréquent à l’histoire de la Résistance ?

JV : En 2004, il y a tout d’abord le soixantième anniversaire de 1944 et de la Libération. Nous sommes aussi juste après l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002. Tout en commémorant le combat sacrificiel des résistants, on tente de répondre aux questions présentes en puisant dans les événements passés. La mémoire, c’est partir du passé pour justifier le présent. Comment conjugue-t-on le verbe résister au présent, comme le rappelait Lucie Aubrac, avec la figure ou plutôt l’icône Rino Della Negra, en 2004, en tant que supporter ?

DM : C’est vrai que l’on s’aperçoit, pour parler un peu familièrement, que l’on n’en sort pas de la guerre et de la Résistance. Dans les combats politiques présents, on constate, qu’on le veuille ou non, que la Résistance, la collaboration, la guerre et l’occupation restent des références incontournables. La Résistance, par exemple, ou Vichy pour d’autres, restent des points de référence. Par conséquent, on ne peut s’étonner, que dans une certaine droite aujourd’hui, on puisse retrouver une remise en avant de la figure de Pétain et de son action soi-disant en faveur des Juifs français. Cela correspond finalement à une référence temporelle dans laquelle les oppositions politiques étaient en acmé. Et, au sein de tout ce contexte, on se retrouve, à Saint-Ouen, avec une tribune de supporters de football assumant leur engagement dans des combats politiques et sociaux. Pour eux la figure de Rino Della Negra s’impose quasiment naturellement, quasiment, car rien n’est jamais naturel en histoire. Il incarne, symbolise et parfois mythifie certaines valeurs dans lesquelles ces supporters organisés se reconnaissent.

Le Corner : Aujourd’hui, Rino est connu et reconnu, plus encore avec cet ouvrage qui s’ajoute aux différentes dénominations que l’on retrouve dans l’espace public, que cela soit au sein du Stade Bauer ou à Argenteuil. Tout ceci relève d’une mémoire « collective », mais qu’en est-il de la mémoire « privée » ? Celle de la famille Della Negra, quelle est-elle ?

DM : Très clairement, dans la famille Della Negra, la mémoire de Rino se perpétue.

JV : Elle est très forte !

DM : Ce n’est pas seulement Yolande Della Negra, qui conserve les archives familiales et qui nous a accueillis, c’est aussi tous les autres, comme ses enfants, les neveux de Rino. Dans cette famille, le souvenir de sa personne, de ses actions, mais aussi, surtout, c’est ce qui revenait fréquemment dans les témoignages, celui de sa grande gentillesse, demeure. Tous ces souvenirs se perpétuent et sa famille est très sensible au fait que des supporters se soient emparés de cette mémoire et que des historiens se soient emparés de son histoire.

Le Corner : Toute dernière question, après tous ces beaux échanges… Selon vous, après tout ce travail et la rédaction de cet ouvrage, en tant qu’historiens, ou même à titre plus personnel, qui est Rino Della Negra ? Une figure qui tend à devenir mythique, du fait de l’utilisation de sa mémoire par des supporters de football et autres organisations politiques ? Un résistant qui aimait le football ? Quelqu’un qui a résisté et qui rêvait d’être footballeur ? Un peu tout à la fois ?

JV : Footballeur et partisan ! C’est le titre. On ne déroge pas à cela, il est à la fois footballeur et partisan. C’est un jeune d’origine immigrée, socialisé dans les milieux populaire et ouvrier, naturalisé en 1938. N’oublions jamais non plus tous les enjeux de celle-ci, la reconnaissance importante qu’elle induit. Il porte toute la culture de la banlieue rouge, qui passe par le football et par l’engagement antifasciste. On ne peut pas dire s’il est plus ceci ou plus cela. C’est déjà beaucoup pour un homme qui meurt à 20 ans.

DM : C’est nous qui avons choisi ce titre, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, bien évidemment, car les sonorités font penser à « franc-tireur et partisan », mais aussi car le terme de partisan est polysémique, renvoyant au fait de prendre parti. Il renvoie aussi au partigiano italien, tel un clin d’œil aux origines de Rino. Le titre de l’ouvrage répond déjà à cette question. Nous sommes face à une courte vie, comme l’a dit Jean, qu’il faut apprendre à connaître et à respecter pour ce qu’elle a été. On laisse libre cours à chacun de réutiliser ce parcours et cette trajectoire dans ses combats présents. Ce qu’on souhaitait réaliser, c’est un travail historique permettant de connaître, de faire connaître et d’expliquer cette courte vie. Je pense que Rino était effectivement footballeur et partisan. Un jeune « prolo », de banlieue, d’origine immigrée, qui a vécu dans des circonstances exceptionnelles, faisant de lui quelqu’un de tout aussi exceptionnel.

Propos recueillis par Lucas Alves Murillo

Rino Della Negra dans L’Humanité

vendredi 18 février 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans L’Humanité, le 18 février 2022.

Rino Della Negra, footballeur et partisan

Le jeune espoir du Red Star football club s’engage au sein de la Résistance, aux FTP-MOI. Arrêté lors d’une opération armée, il est fusillé le 21 février 1944 aux côtés de Manouchian et de ses camarades de l’Affiche rouge.

Au matin du 21 février 1944, parmi les Francs-tireurs et partisans de la Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) qui s’écroulent sous les balles allemandes se trouve un footballeur : Rino Della Negra. C’est un jeune homme de 20 ans qui tombe aux côtés de ses camarades de la désormais fameuse « Affiche rouge ». Aujourd’hui, le nom de Rino Della Negra s’affiche, se scande et se chante dans le stade Bauer, antre du Red Star FC. Car le jeune partisan fut également un footballeur de talent, et l’un des espoirs de ce club historique de la région parisienne. À partir d’archives nouvelles et variées, l’enquête biographique, mais aussi socio-politique permet de retracer l’histoire d’un jeune d’origine italienne marqué par le Front populaire et la Guerre.
Rino est né dans le Nord, à Vimy, en 1923. La famille Della Negra, originaire du Frioul, se déplace au gré des embauches du père, briquetier. C’est à Argenteuil qu’ils se fixent finalement. Cet environnement participe à la formation et la socialisation du jeune Rino. Par ses amis, d’abord. Il se lie d’une forte amitié avec la famille Simonazzi, par exemple, qui est liée au Parti communiste. Car les affinités communautaires sont aussi politiques et l’antifascisme structure le milieu des émigrés italiens. Parmi ses proches, plusieurs s’engagent dans les Brigades internationales, ce corps de volontaires étrangers venus au secours de la République espagnole, attaquée par un soulèvement militaire que soutiennent l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. C’est l’engagement « à la vie à la mort » de jeunes gens désireux de rendre les coups infligés en Italie. Par le sport, ensuite. Car ce jeune ouvrier métallurgiste est surtout un grand sportif. Membre de plusieurs clubs omnisports de la banlieue parisienne, athlète, il court le 100 mètres en 11 secondes 49. Mais c’est le football qui a sa préférence. Il fait la fierté de plusieurs clubs, que ce soit dans le sport d’entreprise, avec l’équipe des usines Chausson, où il travaille, ou au sein de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT).
Au mois de janvier 1943, Rino est réquisitionné pour le Service du travail obligatoire (STO). Réfractaire, il va alors plonger dans la clandestinité. C’est là qu’il entre en contact avec la Résistance. Rejoignant d’abord les FTP de la région parisienne, il intègre ensuite le « 3e détachement italien » des FTP-MOI. S’ensuivent des mois d’une rare intensité, où Rino va se révéler comme un combattant de choc. S’attaquant aux troupes allemandes aussi bien qu’aux éléments collaborationnistes, français ou italiens, Rino participe, aux côtés de ses camarades, à plus d’une quinzaine d’actions armées. Et c’est justement au cours de cette période que, sous son vrai nom, il est repéré puis recruté par le Red Star ! Équipe reléguée au statut d’amateur, certes, puisque les clubs « pros » ont été démantelés par la politique sportive vichyste, mais ô combien prestigieuse.
Mais la traque impitoyable des Brigades spéciales de la police française fait que l’étau se resserre autour des FTP-MOI de la région parisienne. Le 12 novembre 1943, c’est la chute. Rino Della Negra et sept de ses camarades attaquent un transport de fonds allemand. Bien vite les combattants se retrouvent pris au piège. La police est partout, et la fusillade éclate. Rino tente de s’échapper, mais, blessé par des tirs, il s’effondre. Fait prisonnier, il est transporté à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière puis « interrogé », par la police française, puis par la SS. La suite est tristement connue : c’est la parodie de procès du groupe de résistants conduits par Missak Manouchian, dit « de l’Affiche rouge », du nom de cet objet de propagande nazie visant à détourner la population française d’éléments étrangers « criminels ». Détourné de son but initial, il devint un des symboles de la Résistance.
Dès la Libération, le PCF et les organisations de sa « galaxie » célèbre et perpétue la mémoire des membres du « Groupe Manouchian » et des FTP-MOI. Les années suivantes voient la mémoire de Rino se localiser, d’abord à Argenteuil, puis à Saint-Ouen. Au début des années 2000, les efforts conjugués d’un historien, Claude Dewaele, et des supporteurs du Red Star, font revenir le souvenir du jeune espoir dans les tribunes de St-Ouen. Le 22 février 2004, une plaque rendant hommage à Rino Della Negra est apposée au stade Bauer. À partir de cette date, l’hommage à Rino est devenu un élément annuel incontournable des supporteurs de l’Étoile rouge. La tribune Première Est du stade Bauer est désormais communément appelée « Tribune Rino Della Negra ». Tifos, écharpes, t-shirts et autocollants mettent régulièrement en valeur l’ancien espoir, faisant vivre au présent la mémoire et les valeurs du footballeur partisan.

Dimitri Manessis, docteur en histoire contemporaine. Jean Vigreux, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne Franche-Comté. Auteurs de Rino Della Negra, footballeur et partisan, Libertalia, 239 p., 10 eur.

Entretien avec Richard Vassakos dans Visa

vendredi 18 février 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien publié dans Visa (Vigilance et initiatives antifasciste), numéro 5, spécial extrême droite et Occitanie (février 2022).

Comment as-tu travaillé pour écrire ton livre ? Quelles recherches, comment et où ?
En fait, au départ je suis spécialiste des affrontements politiques à travers les noms de rue et la statuaire publique. J’ai travaillé sur la IIIe République en Biterrois puis sur les usages symboliques de Vichy en zone non occupée. Je finissais ma thèse au moment où Robert Ménard a été élu et il se trouve que l’actuel maire de Béziers s’est mis à faire un usage symbolique de l’histoire très important dès sa prise du pouvoir. Il a ainsi débaptisé la rue du 19 Mars dès les premiers mois de son mandat et a érigé près d’une dizaine de monuments qui portent tous un sens politique très important. Cela m’a donc intéressé très rapidement même si initialement il n’était pas dans mes intentions d’en faire un sujet de recherche et un ouvrage. Malgré tout, au fil de l’eau, je conservais et collectais de la documentation, des traces de la pratique et des discours historico-mémoriels du maire de Béziers. La documentation était assez riche et relativement facile d’accès avec la politique de communication frénétique du nouveau maire. Fin 2019, alors que nous avions finalement un recul de plus de cinq ans sur cette pratique, je me suis mis à réfléchir et à écrire.

Pourrais-tu citer des exemples concrets de la bataille idéologique que mène Ménard ?
Le maire de Béziers utilise son statut pour faire passer ses idées et il utilise tous les ressorts de sa fonction pour le faire. Il prononce ainsi de nombreux discours à l’occasion de commémorations officielles comme tous les maires de France. Cependant, il confie lui-même faire des discours « lourd de sens ». Au cours de ces prises de paroles, il fait passer ses thématiques : le grand remplacement (souvent euphémisé), le choc des civilisations et un prosélytisme religieux qui met en avant le christianisme. Par exemple, les cérémonies de la libération de Béziers sont désormais précédées d’une messe. Il célèbre aussi la fête de Jeanne d’Arc en commençant par une messe et en compagnie de membres de l’Action française devant la statue de la Pucelle qu’il a fait installer face à la cathédrale Saint-Nazaire. Tout cela relève d’une volonté de créer une dialectique identitaire entre un « nous » et « eux » essentialisé. Par ailleurs, il a mis en place de nombreuses statues dans la ville à l’image de celle de Jaurès qui se retrouve totalement dépolitisé puisque l’inscription du monument ne mentionne pas qu’il était socialiste et qu’il a été assassiné par l’extrême droite. Cela relève d’une stratégie de désaffiliation automatique et de triangulation qui permet aussi de semer la confusion et se présenter comme quelqu’un qui n’est pas d’extrême droite.

Peut-on considérer Robert Ménard comme un cas à part (des élus d’extrême droite) du fait de ses anciennes relations, notamment son ancienne activité de responsable de Reporters sans frontières ?
Sa singularité relève en effet de son parcours. Il a balayé tout le spectre politique de gauche à droite puisqu’il militait à la Ligue dans les années 1970 pour finir à la droite de Marine Le Pen… Son passage à la tête de RSF et dans les grands médias audiovisuels lui donne surtout un carnet d’adresses très important et de ce fait un accès aux médias sans commune mesure pour un maire d’une ville de la taille de Béziers. Nous avons à faire à une élu d’une ville moyenne de province, qui n’est pas élu national, pas chef de parti, pas même responsable d’une quelconque organisation politique d’envergure et qui pourtant bénéficie d’une couverture médiatique de personnalité de premier plan. Un journal local a comptabilisé 70 passages en radios et télés pour le seul premier semestre 2021. Aucun maire de métropole française ne peut revendiquer un tel bilan. Cela pose une vraie question sur le rôle et la responsabilité des médias dans l’émergence de personnalités comme Ménard ou Zemmour qui sont littéralement fabriqués, mais cela n’est plus tout à fait mon sujet…

Suite au mouvement des professeurs d’histoire du lycée Jean-Moulin, considères-tu que Robert Ménard menace la neutralité et le travail de vérité des enseignants d’histoire ?
De fait, il n’a aucun pouvoir qui pourrait entraver le travail des enseignants d’histoire qui dispose, selon le code de l’éducation, de leur liberté pédagogique dans le cadre des programmes. Pourtant, ne nous y trompons pas, l’extrême droite a fait de l’histoire une arme pour enraciner son idéologie. Éric Zemmour a dit sans ambages qu’il menait la guerre de l’histoire, Robert Ménard se dit lui aussi féru d’histoire. Cependant, c’est une histoire totalement falsifiée et réécrite au service de leur idéologie. Par conséquent, les professeurs et les chercheurs qui travaillent selon une démarche critique et scientifique sont leurs ennemis. Ils le paient par une remise en question permanente et par un flot d’insultes. Le maire de Béziers affirme dans un de ses livres : « Il ne faut pas réformer le mammouth (l’Éducation nationale) mais le tuer. » On ne saurait être plus clair sur le projet qu’il porte pour l’école. Ce que veulent ces réactionnaires, c’est une école au garde à vous et une histoire qui marche au pas. Il ne s’agit pas d’enseigner des faits établis rigoureusement mais d’ânonner un catéchisme qui inculque l’amour de la patrie sans réflexion et sans contradiction. C’est ce que l’on appelle le roman national.

Et que penses-tu de la position des préfets qui observent parfois silencieusement cette bataille idéologique alors qu’ils sont normalement garants des principes de la République ?
L’État a un rôle fondamental à jouer. Cela a été le cas avec certains sous-préfets qui n’ont pas hésité lors de commémorations à tenir tête au maire de Béziers et à lui répondre. La justice a d’ailleurs sanctionné plusieurs fois le maire de Béziers pour avoir installé une crèche dans l’hôtel de ville en infraction avec l’article 28 de la loi de séparation des églises et de l’État de 1905. Pour autant, à Noël 2020, la fermeté de l’État sur cette question a semblé être un peu moins forte et la crèche est demeurée en place en vertu d’arguties juridiques qui sont contestées par les plaignants dont la Libre Pensée. Par conséquent, il faut espérer que malgré le pouvoir de nuisance médiatique du maire de Béziers, les représentants de l’État garderont une main ferme sur ces sujets qui à bas bruits sont des pions de la bataille culturelles et de la conquête idéologique de l’espace public.

Rino Della Negra dans Politis

jeudi 17 février 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Politis, le 17 février 2022.

Qui était Rino Della Negra ?

Une tribune du stade Bauer, à Saint-Ouen, porte son nom. Son visage se retrouve sur les maillots du Red Star. Mais, hormis une notice dans le merveilleux dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (Le Maitron), il n’existait pas grand-chose. Le manque est comblé grâce à l’ouvrage de Jean Vigreux et Dimitri Manessis. On y découvre ce sportif de génie (footballeur mais également athlète) d’origine italienne, de famille ouvrière, antifasciste. Sa carrière de footballeur s’arrête à 20 ans $ : réfractaire au STO, il entre dans la résistance, dans le groupe Manouchian. Il fait partie des « vingt et trois qui criaient la France en s’abattant » le 21 février 1944 au mont Valérien. Aujourd’hui, la « tribune Rino » est celle des chants antifascistes et des banderoles promptes à dénoncer des violences policières comme à soutenir l’accueil de réfugiés.