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lundi 28 novembre 2022 :: Permalien
Sur la base d’allégations mensongères émanant de l’extrême droite puis des forces de répression, la Fnac vient de retirer de la vente Antifa le jeu, l’outil de formation conçu par La Horde et Libertalia.
Vous ne nous ferez pas taire !
mercredi 23 novembre 2022 :: Permalien
Publié dans CQFD, novembre 2022.
« La révolution est magnifique, le reste est foutaise » (Rosa Luxembourg)
Les insubmersibles éditions Libertalia nous proposent deux rencontres captivantes avec des militantes révolutionnaires passées à l’histoire.
Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale
Considérée par la philosophe Simone Weil comme son grand-œuvre, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale (1934) propose une analyse implacable de la subordination du travailleur au capital, débouchant sur l’idée que l’esclavage se niche dans le travail lui-même, « dans la manière, poursuit le commentateur du livre Robert Chenavier, dont se succèdent les gestes d’un travailleur qui n’est pas maître de leur enchaînement, ni du temps, ni du rythme de son activité ». Dès lors « l’instant décisif quant à l’asservissement du travailleur n’est plus celui où, sur le marché du travail, l’ouvrier vend son temps au patron mais celui où, à peine le seuil de l’usine franchi, il est happé par l’entreprise ». D’où l’une des contradictions clés de Marx, qui ne peut jamais expliquer pourquoi les forces productives tendraient à s’accroître « providentiellement » puisqu’il est empêtré, pour sa part, jusqu’au kiki, dans sa propre providence providentielle : la croyance mystique en la mission historique du prolétariat. Mais Simone Weil n’en reste pas là dans son repérage des « niaiseries » marxiennes. Elle accuse l’idéologue allemand d’adopter puérilement pour le déchiffrement de l’histoire humaine le principe de Lamarck selon lequel « la fonction crée l’organe » et selon lequel, corollairement, le cou de la girafe se serait allongé tellement l’animal aurait essayé de manger des bananes. Puis, après avoir cloué au pilori la religiosité du matérialisme pas très dialectique de Marx et son lamarckisme candide, la polémiste s’amuse à retourner contre Marx des critiques que celui-ci adressait à Hegel. On comprend qu’avec ses raisonnement sagaces et doctement documentés, Simone Weil n’a jamais cessé de porter sur les nerfs des marxistes rigoristes.
Commencer à vivre humainement
Un recueil fort bien foutu de missives cinglantes qu’expédia la cofondatrice du Parti communiste d’Allemagne :
– entre 1895 et 1905, à l’agitateur lituanien juif polonais Leo Jogiches à qui elle reproche son autoritarisme rêche ;
– à son amie la poétesse socialiste néerlandaise Henriette Roland Holst à qui elle confie son vif intérêt pour les mouvements conseillistes insurrectionnels hollandais prenant de plus en plus d’ampleur et aimantés, entre autres, par les agitateurs antibureaucratiques Herman Gorter et Anton Pannekoek ;
– entre 1906 et 1914, aux leaders sociaux-démocrates Karl et Luise Kautsky à qui elle transmet son enthousiasme pour quelques innovations à l’intérieur du mouvement ouvrier : le versement par les travailleurs actifs d’une semaine de leur salaire aux chômeurs, le refus catégorique par les prolos du moindre licenciement, la création spontanée dans les usines de comités décidant de toutes les conditions de travail ;
– à la fameuse meneuse révolutionnaire Clara Zetkin face à laquelle elle reconnaît que « la grande masse des camarades » en a marre du parlementarisme ;
– entre 1914 et 1918, au militant socialiste suisse Karl Moor à qui elle fait part de sa crainte de voir le parti de la révolte de plus en plus gangrené par le national-patriotisme et l’opportunisme ;
– à sa confidente Mathilde Jacob à qui elle apprend que, sur la dalle de son tombeau, on ne devra lire que deux syllabes : « Zwi-zwi », en hommage aux mésanges charbonnières qui annoncent la venue du printemps rouge.
Noël Godin
mardi 8 novembre 2022 :: Permalien
Publié dans La lettre pour tous·tes de Mediapart, novembre 2022.
Ceci n’est pas une comédie romantique. Ou justement si. Dans son roman fort remarqué aux Etats-Unis, Detransition, Baby, l’autrice transgenre Torrey Peters emprunte tous les codes du soap opera, comme si Sex and the City avait fusionné avec Les Feux de l’amour version queer.
Mais bien sûr, il ne faut pas se fier aux apparences, la romancière explose le cadre et introduit dans son texte des thématiques plus profondes liées à la transidentité, comme la (dé)transition, la vie quotidienne, la subsistance, l’enfantement, la famille, la fétichisation, la réussite sociale, la race et la classe. Les différent·es personnages permettent de faire cohabiter tous ces sujets sans que ce ne soit jamais écrasant ni que ça alourdisse l’intrigue.
Le roman fort réussi met en scène Ames, ex-femme trans qui a détransitionné. Parce que c’est trop difficile à vivre au quotidien et, dit-il, à l’issue de son processus : « Je suis trans mais je ne suis pas obligé de faire trans. » Sans compter que la génération précédente, décimée par le VIH, la pauvreté, la répression ou les suicides ne sont pas là pour leur montrer « comment accepter la douleur » ou « l’exemple de leurs propres vies accomplies et menées dans la joie ».
Ames entame une relation avec Katrina, sa patronne. Persuadé d’être stérile à cause des hormones ingérées des années durant, il tombe des nues quand elle lui annonce être enceinte. Il se tourne alors vers son ex, Reese, une femme transgenre traversée par le désir d’enfant et lui propose de devenir aussi une sorte de mère supplémentaire du futur bébé.
Dans un langage direct, cru mais empli d’humour et de tendresse, Torrey Peters offre une réflexion sensible et aux dimensions multiples sur ce qui fait famille. Péripéties, utopies et revirements inclus.
Ce roman fait aussi entrer la culture trans en littérature tout en s’adressant au plus grand nombre. À un moment de l’histoire, Ames se félicite qu’aujourd’hui des célébrités transgenres comme Caitlin Jenner et Laverne Cox fassent la une des magazines et qu’un programme comme le concours de drag « RuPaul’s drag race » séduise les hétéros qui le commentent « comme ils parleraient de Koh-Lanta ». Il faut désormais ajouter Detransition, Baby à ce panthéon.
Faïza Zerouala
mardi 8 novembre 2022 :: Permalien
Publié sur Instagram le 7 novembre 2022 par Sophie Benard – @soph.benard
Detransition, Baby de Torrey Peters est paru en 2021 aux Etats-Unis – et est tout de suite devenu un véritable best-seller. Sa traduction vient seulement de nous parvenir, il y a quelques jours, aux éditions Libertalia.
On commence par se méfier – à tort ! – de la mention de la « détransition », dès le titre – parce que les personnes qui détransitionnent sont régulièrement utilisées par les idéologies douteuses.
Le roman met en scène Ames, qui a fait le choix de détransitionner ; l’occasion pour l’autrice de penser les raisons qui poussent certains et certaines à prendre cette décision, de distinguer « être trans » et « faire trans ».
Mais cette identité complexe n’est qu’un des nombreux thèmes abordés par Detransition, Baby.
Amy et Reese ont vécu une histoire d’amour ; la fin de leur relation a d’ailleurs coïncidé avec la fin de l’existence de femme d’Ames. Quand il entame une relation avec Katrina, sa boss, il est persuadé que son passé trans l’a rendu stérile. Une fois Katrina enceinte malgré tout, il accepte de devenir parent à une condition : implique Reese, son ex, dans cette parentalité.
L’autrice prend le temps d’insister sur les points communs qui rapprochent les existences cis et trans : le personnage de Katrina enrichit autant qu’il complique l’équilibre du récit, par son rapport ni volontaire ni utopique au sexe et au genre.
C’est intelligent, drôle, et super entraînant.
samedi 22 octobre 2022 :: Permalien
Publié sur Délibéré, le 14 octobre 2022.
La concentration dans le secteur de l’édition est un phénomène ancien qui prend à chaque époque des formes nouvelles. Les recompositions du monde du livre par la diversification des activités et l’absorption de sociétés concurrentes sont des faits observables depuis le XIXe siècle, c’est-à-dire depuis l’industrialisation des procédés de fabrication et de diffusion des imprimés. Le mouvement de concentration s’amplifie au XXe siècle par la financiarisation et l’exigence de rentabilité posée par l’actionnariat des grands groupes. Quand les grandes entreprises éditoriales appartiennent à des investisseurs plus soucieux de chiffres que de lettres, la liberté d’expression est-elle menacée ? Peut-être pas, quand elle rapporte. On voit aujourd’hui comment la critique du capitalisme est profitable aux capitalistes eux-mêmes, intéressés par tous les segments de marchés rentables. Mais dans une certaine mesure seulement. En plus du panorama des péripéties de l’édition française, un des intérêts de la Brève histoire de la concentration dans le monde du livre, que Jean-Yves Mollier publie chez Libertalia, est de montrer les desseins idéologiques de certains patrons dans le but avoué de promouvoir leur idéal « civilisationnel ».
Jean-Yves Mollier consacre les premiers chapitres de son livre à retracer l’histoire des deux groupes qui aujourd’hui sont au premier plan et s’affrontent : Hachette et Editis (le groupe de Vincent Bolloré, anciennement Groupe de la cité). Il met en parallèle les trajectoires et les options différentes pour atteindre le même but : la domination sur la publication et la diffusion de contenus, qui ne se limite d’ailleurs pas au livre. Ces entreprises dont le capital appartient pour partie ou en majorité aux banques ou à des sociétés financières dès le milieu du XXe siècle suivent toutefois des voies particulières pour assurer leur croissance.
La « Librairie Hachette », à l’origine maison d’édition familiale de livres scolaires et de manuels, noue rapidement des liens avec le pouvoir, sans s’embarrasser de son orientation politique pourvu qu’il favorise ses intérêts. Source d’enrichissement et d’affermissement de l’emprise de « la pieuvre verte » : un système efficace de distribution et de diffusion de livres et journaux qu’Hachette est le premier à mettre en place. La puissance du groupe Hachette lui permet de s’offrir la protection de certains députés en finançant leurs campagnes électorales, en facilitant l’accès à l’Académie française ou aux prix littéraires. D’un autre côté, c’est la culture populaire, romans policiers et comics, livres de poche, ventes en grandes surfaces, puis le lancement de la vente de livres sur abonnement France Loisirs qui assure la croissance des Presses de la cité dont le capital appartient à une holding soucieuse d’appliquer les lois du marketing et du management pour accroître les profits des investisseurs.
Il faut lire le livre de Jean-Yves Mollier pour s’immerger dans le tourbillon des prédations qui s’abattent sur des maisons d’édition historiques, dans le micmac des arrangements liant des banques, des holding, le personnel politique changeant au gré des élections. L’accroissement permanent des chiffres d’affaires et des profits est l’objectif qui conduit à la quête obsessionnelle du best-seller, menaçant la diversité et le pluralisme éditoriaux. « Tel est le prix consenti par ceux qui ont mis en œuvre ces concentrations à la française et qui, chez Hachette comme au Groupe de la cité, ont d’abord rémunéré les actionnaires en vendant l’immobilier […] puis en regroupant au maximum les activités centrales y compris la définition des politiques éditoriales autrefois du ressort exclusif de chaque maison. »
À la fin du chapitre sur l’expansion du groupe Madrigall, numéro 3 français, resté dans le giron de la famille Gallimard malgré les tentatives de prise de contrôle, Jean-Yves Mollier observe que « les phénomènes de concentration ne sont pas perçus de la même manière quand ils concernent un groupe financier et quand ils viennent renforcer une ancienne maison d’édition dont le capital symbolique est l’atout le plus précieux ». Même si Madrigall, comme les deux premiers, s’agrandit par absorption de marques concurrentes et se montre attentif à garder la main sur la filière du livre, notamment sur le maillon clé de la distribution-diffusion.
Et les auteurs et autrices dans tout ça ? Ils et elles sont vendu·es sans être consulté·es en même temps que leur maison d’édition, « comme un vulgaire cheptel » selon l’expression de François Mauriac, auteur Grasset passé malgré qu’il en ait chez Hachette. C’est ainsi que l’on saute d’un catalogue l’autre, par la magie de la concentration. Baudelaire s’inquiétait déjà de cette manière de violer la propriété intellectuelle… en 1861 !
Si l’obsession des chiffres semble première dans la gestion de ces grands groupes éditoriaux, Jean-Yves Mollier retrace aussi le cheminement de patrons catholiques de droite, comme Remy Montagne, voulant au milieu des années 1980 une maison d’édition « disposant de moyens lui permettant de peser sur les débats sociétaux et de prôner le retour aux valeurs traditionnelles du catholicisme ». Des directives sont données pour influencer les contenus des productions des maisons d’édition du Groupe Média-Participations, s’adressant pour beaucoup au jeune public par le moyen de la bande dessinée et des albums jeunesse. C’est un tel interventionnisme venant d’un patron de médias se sentant investi d’une mission sacrée, spirituelle et politique, engagé dans un combat civilisationnel de retour à l’ordre moral comme l’est aujourd’hui le catholique traditionaliste Vincent Bolloré, qui inquiète à juste titre. On comprend l’effroi qui traverse le monde du livre et des médias à la perspective de l’absorption d’Hachette par Editis. Jean-Yves Mollier termine son livre condensé et très informatif par cette alerte légitime contre une telle concentration « d’armes idéologiques » entre les mains d’un seul homme.
Juliette Keating