Le blog des éditions Libertalia

#MeTooThéâtre aux Molières (France Inter)

vendredi 3 juin 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur le site de France Inter, le 31 mai 2022.

« Vous ne savez toujours pas ce qui se passe dans vos théâtres » 
#MeTooThéatre s’invite aux Molières.

Lors de cette 33e cérémonie, plusieurs femmes ont pris la parole pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles persistantes dans le milieu. La présidente de cérémonie, Isabelle Carré, a porté la voix des militantes du collectif #MeTooThéâtre, restées à l’extérieur.
Si l’organisation voulait en faire « une fête », la 33e cérémonie des Molières a également été rattrapée par la vague #MeTooThéâtre. Les membres du collectif du même nom, qui n’ont finalement pas prononcé de discours sur scène, ont manifesté à l’extérieur pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles dans le milieu. À l’intérieur, la présidente de cérémonie Isabelle Carré a parlé de leur combat.
Le ton est donné dès le discours d’ouverture. « Nous pensions que le mouvement #MeToo viendrait prendre la parole et il ne vient pas. Alors, moi, qui crois aux livres et qui crois au pouvoir des mots, je voulais simplement vous montrer ce livre, #MeTooThéâtre, qui va bientôt sortir et qui, je crois, est un outil important pour faire avancer les choses. Et ainsi, de cette manière, en parlant d’elles, ces femmes courageuses sont un peu parmi nous ce soir », a déclaré l’actrice Isabelle Carré, ajoutant « moi, présidente des Molières, je laisserai chacun prendre la parole comme il l’entend ».
Des appels ont été lancés pour faire bouger les lignes. « Vous ne savez toujours pas ce qui se passe à l’intérieur de vos théâtres », a affirmé l’actrice Nathalie Mann, représentant « Actrices et acteurs de France associés » sur scène. Elle a appelé à « nommer un référent ou une référente » pour les violences sexuelles et sexistes dans les institutions théâtrales, comme c’est le cas sur les tournages de cinéma.
Pauline Bureau, qui a remporté le Molière de l’autrice francophone vivante pour sa pièce sur une équipe de football féminin, a rappelé que « 18 % de l’argent public va à des compagnies dirigées par des femmes » et appelé la nouvelle ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, présente dans la salle, à en faire son cheval de bataille.
À l’extérieur, la militante féministe Alice Coffin et l’actrice Adèle Haenel ont participé au rassemblement à l’appel du collectif #MeTooThéâtre, scandant notamment «  pas d’honneur pour les violeurs ».

Juliette Geay

Ma guerre d’Espagne à moi sur Ballast

vendredi 3 juin 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur Ballast, juin 2022.

Au début du XXe siècle, Mika Etchebéhère et son compagnon Hippolyte auraient pu choisir les vastes terres de la Patagonie. Mais ils sont partis. Ils auraient pu aussi rester en France, où la propagande anarchiste des années 1930 appelle leur énergie. Mais des grèves allemandes les conduisent ailleurs. La déception devant l’échec de ces dernières aurait pu les faire tout abandonner. Mais c’est à la révolution que les deux amis ont dévoué leur vie et c’est en Espagne que celle-ci se déroule. Entre 1936 et 1939, Mika Etchebéhère participe à la guerre civile au sein d’une colonne du POUM antistalinien dont elle finira par prendre la tête. Durant les premiers jours de combat contre les régiments fascistes, Hippolyte est tué. Si Mika Etchebéhère perd alors un compagnon de vie, un camarade de lutte, en toutes choses un ami, son désir de continuer la révolution n’est pas atteint. Cette guerre, la militante s’est décidée à l’écrire des années après. Mika Etchebéhère raconte, témoigne, commente les événements auxquels elle a pris part. Elle dit les premiers jours où « tout Madrid se précipite dans la rue à la recherche d’un fusil », où le bleu de travail fait office d’uniforme et où, aux points de passage, « la carte du syndicat ou d’un parti de gauche tient lieu de carte d’identité. » Elle décrit « ce métier de femme au milieu des combattants, cette corvée de mère de famille veillant sur la propreté des dortoirs et la santé des miliciens » et cet état de « ménagère-soldat » qu’elle refuse. Elle relate la défense de Sigüenza, sur le front nord, une défense qui deviendra « légende » dans de nombreux bataillons : pendant quelques semaines, alors, « le monde est devenu bois, pierres, arbres, pieds lourds enfoncés dans trois paires de chaussettes trempées, dos fléchi sous le gros paquet de la cape et du fusil, main gauche traversée de mille poignards glacés ». En somme, voici le compte-rendu intime de « cet enfer qu’aucune littérature n’a su encore inventer ».

[R.B.]

Rino Della Negra dans Le Monde diplomatique

mercredi 1er juin 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde diplomatique, juin 2022.

Étoile rouge,
Red Star

Une rue d’Argenteuil (Val-d’Oise), où il a grandi, porte son nom. Une plaque commémorative l’honore dans la ville minière de Vimy (Pas-de-Calais), où il est né, une autre au stade Bauer, écrin du Red Star Football Club de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), dont la tribune est, rebaptisée de son patronyme, perpétue la mémoire de celui qui fut à la fois un prodige en crampons et un résistant. Il figure sur le monument érigé pour les 1 008 fusillés du Mont-Valérien. Il fut l’un des membres les plus actifs des Francs-tireurs et partisans - Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) de la région parisienne, qui seront décimés en 1943 par l’occupant nazi… Et pourtant, Rino Della Negra, fils d’immigrés italiens naturalisé français à l’âge de 15 ans, exécuté à 20 ans le 21 février 1944 aux côtés de ses camarades de lutte, puis déclaré « mort pour la France » en 1950, demeure largement méconnu. Aucun ouvrage ne lui avait été jusqu’ici entièrement consacré. Le livre de Dimitri Manessis et Jean Vigreux vient combler ce vide. Richement documenté, il retrace la courte vie de « Rino ».
Né de parents originaires du Frioul ayant fui l’Italie mussolinienne, il entre à 14 ans comme ajusteur à l’usine Chausson d’Asnières. Sportif d’exception, il pratique l’athlétisme et surtout le football avec l’équipe d’Argenteuil, où il excelle comme ailier droit. À l’été 1943, Rino est recruté par le Red Star, qui domine alors le ballon rond dans l’Hexagone. Mais, entre-temps, il a pris le maquis. Réfractaire au Service du travail obligatoire (STO), il a rejoint la Résistance communiste en février 1943. Jusqu’à l’automne, il prend part à une quinzaine d’actions armées contre la Wehrmacht — tout en continuant à jouer avec le Red Star ! Blessé lors d’une attaque antiallemande, le 12 novembre 1943, il est arrêté, torturé, incarcéré à Fresnes, avant d’être passé par les armes au Mont-Valérien. Dans ses dernières lettres, il explique que « dans la vie, il n’y a pas de spectateurs », demande à sa famille de faire « un banquet » après sa mort et ne manque pas d’envoyer « le bonjour et l’adieu à tout le Red Star »
Le club au blason flanqué d’une étoile rouge est également au centre de l’ouvrage de Basile de Bure Deux Pieds sur terre (Flammarion). Pendant une saison, le journaliste a suivi des apprentis footballeurs du Red Star issus de milieux défavorisés et aspirant à devenir professionnels. L’auteur, qui bat en brèche les idées reçues sur les jeunes des quartiers populaires, rappelle l’ancrage ouvrier du club, sa tradition antifasciste « héritée des racines communistes de la ville », et revient notamment sur la figure tutélaire que représente Della Negra, « devenu une icône dans les rangs des supporters ». Emmenés par les « ultras » de la « tribune Rino », ceux-ci se sont opposés à la direction du Red Star, qui vient de le revendre à un fonds d’investissement américain, au risque de voir ce club mythique perdre son âme. « Une étoile rouge ne meurt jamais », peut-on lire sur la bâche déployée par les supporters, lors des matchs des Audoniens, en hommage à Rino Della Negra.

Olivier Pironet

La Révolution palestinienne et les Juifs dans Le Monde diplomatique

mercredi 1er juin 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde diplomatique, juin 2022.

À l’heure où le projet de deux États, l’un israélien et l’autre palestinien, est dans l’impasse, où la bande de Gaza vit sous blocus, où la colonisation ne cesse de rogner la Cisjordanie, tandis que la plus grande organisation israélienne des droits humains B’Tselem reconnaît l’existence d’un apartheid dans « tout le territoire sous l’autorité de l’État d’Israël », relire ce texte publié au printemps 1970 par le Fatah, dirigé alors par Yasser Arafat, ici présenté et contextualisé par Alain Gresh, permet d’élargir le champ des possibles. La proposition est simple : pour en finir avec un état de guerre permanent et l’immense injustice infligée aux Palestiniens, pourquoi ne pas créer un État unique accueillant indifféremment musulmans, juifs et chrétiens ? Cet appel constitue une vraie rupture dans la pensée politique de la résistance palestinienne. Il réaffirme qu’il ne s’agit pas d’un conflit religieux, mais bien d’une lutte anticoloniale, et tranche avec la dualité conflictuelle consistant pour les uns à « renvoyer les Arabes dans le désert » et pour les autres à « rejeter les Juifs à la mer ».

Nazim Kurundeyr

Michèle Audin sur la réédition de La Semaine de Mai dans Faisons vivre la commune

mercredi 1er juin 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur le site Faisons vivre la commune !, le 27 mai 2022.

Entretien
avec Michèle Audin
sur la réédition
de La Semaine de Mai
de Camille Pelletan

FVLC : Peux-tu nous expliquer les raisons pour lesquelles le livre de Camille Pelletan – La semaine de Mai – que tu viens de rééditer aux éditions Libertalia avec une préface et un appareil critique, a connu, durant plus de 130 ans, une très longue éclipse éditoriale ?

Michèle Audin : C’est quelque chose que je ne parviens pas à comprendre.
La Semaine de Mai est un livre de combat qui a été écrit pour une raison politique claire. Il s’agissait en 1880 d’accélérer le vote de la loi d’amnistie que les communards attendaient depuis neuf ans, les nombreux déportés en Nouvelle-Calédonie, les exilés… qui attendaient de pouvoir enfin revenir en France.
Camille Pelletan était un journaliste radical, un jeune homme – il avait 34 ans – et un journaliste expérimenté, républicain (et absolument pas communard).
Il décide de se lancer dans cette bataille avec un feuilleton qui paraît tous les jours dans le nouveau quotidien La Justice, créé par Georges Clemenceau, et dont Pelletan est le rédacteur en chef. De ce feuilleton, il fait un livre qui paraît au printemps 1880, juste avant le vote de la loi d’amnistie des communards, auquel il contribue. Il s’agit d’une enquête très précise, une enquête journalistique, mais c’est aussi un livre d’histoire. Cette enquête a été réalisée auprès de gens qui, à Paris et en 1880 ou avant, avaient des souvenirs de 1871. Il raconte, jour après jour et quartier de Paris après quartier de Paris, les massacres qui ont eu lieu durant la « Semaine sanglante » que Pelletan appelle La Semaine de Mai, entre le 21 mai et le 28 mai 1871.
Ce livre est réédité en 1889 (on y reviendra) et puis plus. Mais il est lu. On en parle encore dans les journaux dans les années 1930 et même encore dans les années d’après-guerre lors des commémorations de la Semaine sanglante. Certains journaux mentionnent l’existence de ce livre en regrettant qu’il soit devenu introuvable.
Et puis ça s’arrête. Non seulement il n’a plus été réédité, mais on ne le cite pratiquement plus. Comme s’il y avait eu un moment où on a décidé de ne plus parler des morts de la Commune. Il y a eu peu (ou pas ?) de recherches sur la guerre menée par Versailles contre Paris depuis le 2 avril 1871. La Semaine sanglante, c’est seulement le moment où cette guerre entre dans Paris. Mais la guerre a commencé dès le 2 avril et elle a été très meurtrière depuis le début. Et cela s’est conclu par le carnage de la Semaine sanglante, qui est le propos de Camille Pelletan dans son livre.
Depuis que j’apprends l’histoire de la Commune, je m’interroge sur les raisons qui font que l’on se soit si peu intéressé à l’histoire de la répression. Je ne cherche pas à utiliser de grands mots, mais je n’ai pas de doute que la Semaine sanglante est de ce qu’on qualifierait aujourd’hui de crime contre l’Humanité.

FVLC : Quand as-tu pris connaissance de ce texte et de son importance ?

Par hasard. Quand j’ai découvert l’histoire la Commune, c’était pour écrire quelque chose sur les rapports de l’Académie des sciences et la Commune. J’ai utilisé le Journal officiel (de la Commune), qui envoyait toutes les semaines un rédacteur à l’Académie des sciences. Ce gars signait des initiales C.P. et j’ai essayé de savoir de qui il s’agissait. Camille Pelletan est le premier journaliste qu’on m’a nommé – je n’en avais jamais entendu parler – et il avait ces mêmes initiales. Je me suis dit que c’était peut-être lui et j’ai commencé à lire ce qu’il avait écrit… Bien sûr, ce n’est pas lui, mais en tout cas La Semaine de Mai est un des premiers livres que j’ai lu sur la Commune de Paris (bon, après Lissagaray quand même !). C’est un livre que je trouve extraordinaire. Il est extrêmement bien écrit, dans un style journalistique très vivant, mais il est aussi très précis.
Camille Pelletan a parlé avec beaucoup de gens, au cours des années 1870. Pas des communards. Les communards eux-mêmes savent mal ce qui s’est passé, car c’était un vrai massacre et si vous y aviez échappé, c’est que vous étiez caché quelque part et donc vous n’avez rien vu. Il a donc interrogé surtout des bourgeois de Paris, des gens « normaux » qui n’avaient pas pris part à la Commune et qui avaient vu ce qui s’était passé autour d’eux, dans leur quartier. Il n’y a pas tellement de sources, au sens où il ne dit pas exactement le nom des gens qu’il a interrogés. Il y en a qu’il est possible de reconnaître, parce qu’ils ont écrit des choses après, mais pas beaucoup. Et puis, il a réalisé un décompte des morts, c’est pour cela que ce livre a eu une certaine célébrité. Il a passé en revue tous les cimetières. Il est allé les voir les uns après les autres, il n’a pas vu les registres d’inhumation, mais il a parlé avec des témoins qui lui ont rapporté les faits. Il y a donc un certain nombre de choses qui sont difficiles à vérifier si on ne fait pas de recherches précises sur la question.
Pour rééditer ce livre de façon sérieuse, il fallait faire une étude extrêmement précise de ce qui s’était passé à ce moment-là. Depuis que je travaille là-dessus, je n’avais qu’une crainte c’est que quelqu’un décide de ressortir le livre sans avertissement et surtout sans appareil critique, avec le risque que cette réédition ne soit pas du tout sourcée.
J’ai écrit un livre sur La Semaine sanglante, qui est paru l’année dernière. J’y ai confronté ce que raconte Pelletan, en utilisant nombre de ses récits, mais j’ai eu aussi accès à de véritables sources, ce qui m’a permis de vérifier que son livre est extrêmement crédible. Tout ce qu’il dit est vrai.

FVLC : Peux-tu revenir sur la personnalité de Camille Pelletan ?

Il appartenait à la mouvance de Victor Hugo. Il était journaliste au Rappel, je journal de Victor Hugo qui paraît depuis 1869. Il est très jeune journaliste quand il arrive dans cette rédaction. Il s’agit d’un journal républicain, anti-Empire, classé à gauche comme on pourrait le dire aujourd’hui, mais qui, pendant la Commune, a pris ses distances. À l’image de Victor Hugo qui affirmait que ce n’était pas cela qu’il fallait faire, que ce n’était pas les bonnes personnes… Mais qui s’est aussi battu contre la répression. Il a ouvert les portes de sa maison de Bruxelles aux proscrits, ce qui lui a valu d’être expulsé de Belgique.
Camille Pelletan était à Paris pendant la Commune et il était exactement dans cette mouvance. C’est ce qu’on appelle un radical et il a mené ensuite une vie politique de parlementaire dans les années 1880. Il est même devenu ministre de la Marine au début du XXe siècle, mais ça ne remet pas en cause ce qu’il a fait en 1880. La Semaine de Mai est un livre vraiment militant au point que la seconde édition paraît en 1889 au moment où se développe le « boulangisme » et qu’un certain nombre de communards se rangent derrière le général Boulanger, populiste d’extrême droite avant l’heure. Colonel durant la Commune, il avait directement participé au massacre des communards dans Paris. La seconde édition de ce livre en 1889 est encore un acte militant contre le général Boulanger.

FVLC : Dans sa préface de 1889, il a d’ailleurs quelques phrases assassines à l’encontre de ces fils de communards, tués sur les barricades, qui viennent acclamer le fusilleur de 1871…

En effet. C’est pourquoi j’ai reproduit la préface de l’édition de 1889 (pour l’anecdote : je suis allée la chercher le 18 mars 2021 à la Bibliothèque… Thiers). Cette préface situe assez bien politiquement Camille Pelletan.

FVLC : Dans sa préface de 1880, Camille Pelletan insiste sur ses sources et en particulier celles provenant de la presse versaillaise, comme de la presse anglo-saxonne.

Il explique cela très bien. Presque tout ce qu’il cite provient de la presse. Il faut savoir que la répression de la Commune, c’était dans le même temps l’arrêt de toute presse démocratique. Il n’y a plus que de la presse réactionnaire et cela a duré longtemps. Ce qu’on lit dans cette presse est assez terrifiant. Ce sont les éléments qui ont été les plus faciles à vérifier avec les outils de recherche dont nous disposons maintenant. Il a aussi beaucoup lu la presse anglaise et il a exploité toute la presse française de l’époque dont il tire de nombreuses citations. D’autant qu’en 1880, il y a très peu de textes publiés par des communards, à l’exception de Lissagaray que Pelletan cite et qui a même été cité par Maxime Ducamp, dans lequel il n’y a pas de témoignages.
Il rencontre des témoins et des élus de Paris, comme le docteur Robinet, qui avait pris des notes de ce qui se passait dans le 6e arrondissement durant la Semaine sanglante. Malheureusement, je n’ai pas pu consulter les archives de Camille Pelletan.

FVLC : Revenons à Maxime Ducamp.

Maxime Ducamp était un historien réactionnaire. Il est inévitable d’en parler : quand Camille Pelletan écrit son livre, c’est aussi un livre de combat contre Maxime Ducamp. L’objectif de celui-ci est d’entrer à l’Académie française. Il écrit un livre épouvantable en quatre tomes, intitulé Les Convulsions de Paris, dans lequel il dit qu’il y a eu, durant la Semaine sanglante, exactement 6.667 morts (pas un plus, pas un de moins), ce que Camille Pelletan qualifie de « mauvaise plaisanterie  ». On ne peut pas dire mieux. La Semaine de Mai est une réponse à Ducamp et d’une réfutation de ses affirmations. Pour ce dernier, l’objectif est atteint : il est élu à l’Académie française. Mais l’amnistie est votée. Ils ont finalement obtenu tous les deux ce qu’ils voulaient !
Pour les historiens actuels les enjeux ne sont pas les mêmes. Les discussions pour savoir s’il y a eu 30 000 morts ou 6 667 restent complètement abstraites si on ne va pas chercher les sources.

FVLC : Dans La Semaine sanglante, paru en 2021, tu t’es appliquée à compter les morts. Quelles différences entre l’approche de Pelletan et la tienne ?

Oui, je suis allée les chercher, ces sources ! Pour moi, c’était plus facile que pour Pelletan, car j’ai eu accès aux registres d’inhumation des cimetières, ce que lui n’a pas pu voir. La source de Ducamp, c’était la direction des cimetières, avec quelqu’un qui lui a donné les informations. Mais il faut savoir ce que l’on compte à ce moment-là. Il y a des tas de morts, des morts dans toutes les rues, on les ramasse comme on peut et on les amène au cimetière, ou pas. Mais quand les morts arrivent aux cimetières, les employés ne savent pas ce qu’il faut faire. Les enterrer, bien sûr, c’est une urgence. Mais dans les registres ? Un employé de cimetière doit écrire dans le registre le nom de la personne et le numéro de son acte de décès. La personne est censée arriver avec son acte de décès. Là, on ne sait pas de qui il s’agit, il n’y a pas de nom, pas d’acte de décès, mais il faut tout de même les enterrer, c’est même une urgence. Il y a des cimetières où on écrit dans les registres 35 inconnus, venus de tel endroit ; 250 inconnus, venus de tel endroit. Il y a des cimetières où rien n’est inscrit. Ils ne savent pas comment faire. Il y a aussi des cimetières où on truande, comme au Père Lachaise, mais Camille Pelletan n’a vu aucun de ces registres.
En voyant ces registres on comprend comment Ducamp a pris ses informations. C’est très simple : on arrête de compter le 30 mai. La Semaine sanglante, ça dure du 21 au 28 mai, on arrête le 30 mai. Par exemple, le 31 mai le cimetière Montmartre voit arriver 492 inconnus, qui ne sont donc pas comptés par Ducamp.
Pour moi, c’était plus facile parce que j’ai eu accès aux registres. Mais Camille Pelletan a eu accès aussi à des informations sur des cimetières où les morts inconnus n’ont pas été portés dans les registres. En mettant les deux ensemble, on arrive à voir premièrement que ce qu’il dit est complètement crédible. Quand il dit « On m’a dit qu’il y a avait eu tant d’inhumations », c’est souvent le chiffre indiqué dans le registre, qu’il n’a pas vu, et puis ça rend le reste assez crédible.

FVLC : Qu’en est-il de toutes les victimes de la répression versaillaise qui n’ont pas été inhumées dans les cimetières ?

Ce sont des éléments que j’ai pu appréhender en examinant les archives des cimetières et des pompes funèbres. Il y a ceux qu’on amène dans les cimetières et il y a ceux qu’on enterre à la va vite, parce qu’il faut le faire. Presque tous les squares de Paris sont concernés, dont celui de la Tour Saint-Jacques qui est le plus connu, il y a les chantiers. Intervient ensuite une campagne d’exhumations pour récupérer les corps et les amener dans les cimetières. Suivant les cas, cette opération a lieu ou n’a pas lieu. Beaucoup n’ont pas été signalées à Camille Pelletan, parce qu’autrement il en aurait parlé. Par exemple, ce monsieur qui informe Ducamp sur les cimetières, il écrit une lettre à son administration pour expliquer que l’exhumation des cadavres ou de morceaux de cadavres en juillet, quand les gens ont été tués en mai, et qu’il fait chaud, c’est un peu difficile pour les ouvriers. Ce sont des choses que je rapporte dans mon livre sur La Semaine sanglante et qui sont absentes de La Semaine de Mai et qui confirment le nombre important de corps qui ont été enterrés un peu n’importe où. Et surtout le fait qu’ils n’ont pas tous été exhumés. Comme d’ailleurs le fait qu’on en a trouvé tant – ce que Camille Pelletan a commencé à voir, mais pas tellement, puisqu’il écrit en 1880 – à chaque fois qu’on a creusé pour des chantiers, puis percé plus tard pour le métro, on a exhumé des restes de Fédérés, dont j’ai dressé une liste dans La Semaine sanglante. Résultat de ces recherches, celles de La Semaine sanglante, confirmées par ce livre, un archéologue a déposé une liste – près de 60 pages, tout de même – d’endroits dans Paris où maintenant avant de creuser, il faut vérifier qu’il n’y a rien. Comme il me l’a dit, il reste toujours des choses : un corps humain, c’est plus de 200 os. Par exemple, dans le square de la Tour Saint-Jacques, on a encore retrouvé des restes de Fédérés au début du XXe siècle. Et puis, il y a tous ceux qui ont été brûlés dans les casemates des fortifications, ou près du lac des Buttes-Chaumont. De toute façon, il y en a beaucoup qui ne sont pas décomptés dans les cimetières. Il est sûr et certain (et officiel…) qu’il y en a plus de 10 000 qui ont été enterrés dans les cimetières, et il y en a des tas d’autres qui n’ont jamais été enterrés nulle part.

FVLC : À ton avis, existe-t-il encore des possibilités de trouver des archives, des traces, dont nous n’aurions pas encore connaissance ?

Déjà, dans le livre de Camille Pelletan, il y a des pistes. Je le dis dans l’introduction, Camille Pelletan évoque les cours martiales qui ont lieu durant la Semaine sanglante – les cours « prévôtales » – où n’importe quel militaire se définit comme juge et envoie les gens à droite ou à gauche (fusillade immédiate ou prison).
Camille Pelletan dit qu’il y a eu des listes. Il a dû y avoir des archives. Elles ont peut-être été détruites depuis, il ne savait pas où elles pouvaient se trouver. Je ne serais pas étonnée qu’on retrouve quelque chose. Peut-être aux Archives de l’armée (à Vincennes) ou aux Archives de Paris.
Je n’ai pas une formation d’historienne. Il y a pourtant beaucoup de papiers auxquels j’ai eu accès. Par exemple, il existe un mémoire des Pompes funèbres que j’ai utilisé pour écrire La Semaine sanglante qui confirme certaines estimations de Pelletan et de celles que j’avance. C’était dans un dossier dont je pensais qu’il ne contenait que des factures pour l’eau de vie, puisqu’il fallait donner de l’eau de vie aux ouvriers pour aller creuser. C’est Maxime Jourdan qui est allé voir ce dossier (j’étais à Strasbourg et c’était pendant la pire période Covid). En fait, le contenu était saisissant (voir La Semaine sanglante). Il existe certainement d’autres compte rendus ou témoignages qui restent dissimulés dans d’autres dossiers. Ce serait intéressant de retrouver les listes évoquées par Camille Pelletan. Le chantier reste ouvert.