Le blog des éditions Libertalia

Paris, bivouac des révolutions dans la revue des Amis de la Commune de Paris

lundi 8 février 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

À l’heure où nous venons de recevoir la nouvelle édition de Paris, bivouac des révolutions, nous en découvrons une recension parue dans le n° 60 (4e trimestre 2014) du trimestriel La Commune et signée par Paul Lidsky, auteur d’un livre qui fit date et que n’avons jamais cessé de recommander : Les Écrivains contre la Commune (Maspero puis La Découverte).

Ce livre est écrit par Robert Tombs, professeur au Saint John’s Collège de Cambridge, un des grands spécialistes en Grande-Bretagne de la Commune. Cette version française d’un livre publié à Londres en 1999 a été mise à jour et tient compte de tous les ouvrages historiographiques écrits depuis dans une synthèse très éclairante.
Dans le droit fil des travaux de Jacques Rougerie, auquel le livre est dédié, l’auteur s’efforce d’étudier la Commune à hauteur d’hommes, dans une recherche apaisée ne s’embarrassant pas des mythes et des idéologies. Tombs montre d’abord comment l’événement du 18 mars a été spontané et inattendu. Quelques mois plus tôt, en août 1870, les blanquistes, croyant à une situation révolutionnaire, tentèrent de déclencher une insurrection : ils mobilisèrent soixante militants et ce fut un échec complet. De même en octobre, mais les circonstances vont modifier le contexte.
Rien n’aurait été possible sans la guerre franco-prussienne et les conditions épouvantables du siège qui ne cessèrent de se détériorer : le taux de mortalité fut multiplié par quatre (42 000 morts durant le siège) ; il y eut une paupérisation massive des couches populaires et moyennes, ce qui accentua l’inégalité sociale dans Paris. Deux autres éléments furent déterminants pour expliquer ce qui allait suivre : un patriotisme d’autant plus exacerbé que les Parisiens prenaient conscience que leurs dirigeants étaient capitulards et un républicanisme d’autant plus ardent qu’ils voyaient que la république démocratique et sociale dont ils rêvaient était gravement menacée par l’Assemblée nationale qui venait d’être élue (plus de 400 royalistes).
Les provocations de Thiers et sa désertion de Paris allaient faire le reste.
Pour l’auteur, la Garde nationale de Paris a eu aussi un rôle essentiel : 340 000 hommes avec 280 000 fusils, c’était le peuple en armes. En effet, à l’occasion du siège de Paris, pour combattre les Prussiens, tous les hommes valides furent mobilisés par quartiers et apprirent au fil des mois à se connaître et les solidarités de voisinage furent décisives dans leur engagement dans la Commune : cela permet de comprendre pourquoi certains insurgés, sans expérience militante, ont cependant combattu jusqu’à la mort.
Tombs, au plus près des communards, redonne ainsi à l’événement sa complexité, ses contradictions, sa richesse et sa fraîcheur. Il montre aussi que certains visages de la Commune (libertaire ou autoritaire) ne furent pas contradictoires, mais successifs au fil des événements.
Dans le même état d’esprit, dialoguant avec les diverses thèses développées dans des ouvrages récents, il aborde de nombreux sujets : la place et le rôle des femmes, prolétariat ou peuple, aurore ou crépuscule, le chiffrage des victimes de la Semaine sanglante, l’éducation et la culture, etc.
Documenté, d’une lecture didactique, mais aisée et claire (le livre a été écrit au départ pour des étudiants), posant des questions nouvelles et apportant parfois aussi des réponses nouvelles, ce livre est une synthèse ouverte et stimulante qui montre que la Commune continue à passionner les historiens de tous les pays et à nous poser beaucoup de questions.

Paul Lidsky

Pédagogie et Révolution, dans Le Monde diplomatique

jeudi 28 janvier 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension de Pédagogie et révolution (Grégory Chambat) dans Le Monde diplomatique, février 2016.

Dans l’esprit de Montaigne – « éduquer, c’est allumer un feu » – et de Fernand Pelloutier – « Instruire pour révolter » –, cet ouvrage s’attaque au mythe de l’école de Jules Ferry et revient sur l’apport du syndicalisme révolutionnaire aux pratiques éducatives. Il souligne le divorce entre le monde ouvrier et l’État sur l’éducation, avant de proposer une relecture des auteurs de la pédagogie libératrice : Francisco Ferrer, Paulo Freire, Ivan Illich, Célestin Freinet… et Simone Weil, pour qui la « prise de possession » de « l’héritage de la culture humaine », c’était « la révolution elle-même ». Grégory Chambat – lui-même enseignant – aborde aussi de grandes expériences éducatives, comme celle des Bourses du travail d’avant 1914 ou celle des révolutionnaires espagnols de 1936. Il reprend enfin les analyses d’auteurs contemporains comme Pierre Bourdieu ou Jacques Rancière. Cette approche sociale de la pédagogie permet de sortir de l’actuelle (fausse) querelle entre « réac-publicains » et pédagogistes.

C.J.

Benjamin Péret : « Je ne mange pas de ce pain-là. »

jeudi 21 janvier 2016 :: Permalien

Je ne mange pas de ce pain-là.
Benjamin Péret, poète c’est-à-dire révolutionnaire.

Un film de Rémy Ricordeau, Sevendoc Production.
Recension parue dans CQFD (novembre 2015).

« Je ne mange pas de ce pain-là. »

« Mon avion en flammes mon château inondé de vin du Rhin
Mon ghetto d’iris noirs mon oreille de cristal […]
Ma cascade bleue comme une lame de fond qui fait le printemps
Mon revolver de corail dont la bouche m’attire comme l’œil d’un puits scintillant […]
Je t’aime. »

Ainsi s’exprimait Benjamin Péret dans Je Sublime, peu avant de gagner Barcelone et les rangs du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) en cet été 1936 où tout semblait possible. Il combattra par la suite au sein de la colonne Durruti. Tel était Péret. Homme de plume, de cœur et d’action, figure surréaliste majeure et oubliée, poète radical, écorché né à Rezé en 1899, décédé prématurément en 1959.
Anticlérical viscéral, rétif à toute capitulation patriotarde, il doit une certaine postérité au pamphlet Le Déshonneur des poètes (1945), dans lequel il éreinte ses anciens compères Aragon et Éluard.
Au cours des années 1950, l’ancien dadaïste et éternel compagnon d’André Breton faisait figure de dinosaure auprès des jeunes gens qui embrassaient la cause surréaliste. Et c’est tout l’art du réalisateur Rémy Ricordeau que de donner la parole sobrement à ces anciens témoins dans un stimulant documentaire intitulé, à l’instar d’un recueil de Péret, Je ne mange pas de ce pain-là. Les images d’archives alternent avec de passionnants entretiens, de Maurice Nadeau notamment, filmé en 2012, mais également de Guy Prévan (auteur de Péret Benjamin, révolutionnaire permanent, Syllepse, 1999) et d’Alain Joubert. Une voix off restitue la chronologie d’une vie dédiée à l’art, pourvu qu’il fût révolutionnaire et indépendant.
Et parce que l’image ne suffit décidément pas à résumer le poète, le DVD est vendu dans un coffret incluant un livret de 88 pages comprenant textes et photos.
Ami-e-s, si m’en croyez, ne ratez point ce bel objet !

N.N.

Des hommes et des bagnes, dans la Revue française de science politique

jeudi 21 janvier 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Un article sur Des hommes et des bagnes paru dans la Revue française de science politique (RFSP) — numéro 65, décembre 2015.

L’histoire du bagne continue de s’écrire avec la publication de témoignages inédits – par exemple Alexis Trinquet, Dans l’enfer du bagne (Les Arènes, 2013) – ou devenus introuvables, comme celui de Jacob Law, Dix-huit ans de bagne (éditions de la Pigne, 2013). Les éditions Libertalia contribuent activement à ce mouvement. Elles ont réédité, en 2007 et 2014, le témoignage de l’anarchiste Eugène Dieudonné (La Vie des forçats, 1930), puis en 2009 celui de « L’incorrigible » Paul Roussenq (L’enfer du bagne, 1957). Elles participent, plus généralement, d’un intérêt renouvelé pour le bagne en ayant réédité en 2009 une œuvre de fiction, parue initialement en 1913, Chéri-Bibi. Les cages flottantes, qui se déroule en grande partie sur le navire qui transporte le héros-éponyme du roman-feuilleton de Gaston Leroux au bagne de Cayenne.

Avec Des hommes et des bagnes, les éditions Libertalia livrent cette fois un document inédit : le témoignage du Docteur Léon Collin. Retrouvé dans le grenier de la maison familiale par Philippe Collin, son petit-fils (qui signe un avant-propos), ce document est constitué de deux tapuscrits, de quelque 210 pages (Quatre ans chez les forçats et Fin de bagne en Nouvelle-Calédonie) dans lesquels le lieutenant-colonel en retraite a raconté, dans les années 1950, ce dont il a été témoin, entre 1906 et 1913, auprès des forçats de Guyane, puis de Nouvelle-Calédonie.

Plusieurs décennies et des événements dramatiques (les tranchées de la Première Guerre mondiale, la défaite de 1940 et l’occupation) se sont écoulés entre le débarquement en Guyane du jeune médecin de l’armée coloniale et l’écriture de son témoignage. Mais le texte laisse entendre un auteur conscient de son devoir de témoigner (parce que « les condamnés […] ne sauraient être crus », p. 249) et qui demeure bouleversé, évoquant son « impression de terreur, inoubliable » (p. 175). Le document est remarquable par la manière dont il réussit à donner de la chair au bagne. Le texte du Docteur Collin peut en effet se lire comme une formidable galerie de portraits, de bagnards anonymes et de quelques célébrités (Manda, Ullmo, Soleilland, etc.), que complète admirablement le travail prosopographique réalisé par les éditions Libertalia.

Le Docteur Collin décrit minutieusement les corps et leurs souffrances. Les descriptions qu’il dresse des malades – des paralytiques, des aveugles, des lépreux ou d’« un petit vieux, au visage cyanosé » (p. 234) – sont souvent terrifiantes. À ce regard du médecin, s’ajoute celui de l’esprit scientifique, qui calcule la moyenne d’âge des bagnards, leur espérance de vie ou le nombre de décès par semaine et qui relève, au passage, qu’il n’y a pas plus de 40 chemises pour les 110 hommes en traitement à l’infirmerie du camp Est (p. 240).

Si le témoignage du Docteur Collin ne prend pas la forme d’une dénonciation en règle du bagne comme on en lira plus tard (notamment avec les reportages d’Albert Londres réunis sous le titre Au bagne en 1923), il contient déjà tous les arguments contre la « guillotine sèche ». Certes, le Docteur Collin est un homme de son temps pour qui un type criminel se reconnaît dans des traits physiques. Mais, parce qu’il observe que ceux « dont on a rempli les bagnes » sont « des brutes, des anormaux, des atrophiés, mais aussi des malchanceux, sur la tête desquels pèse toute la faute de leurs ancêtres ou de leur milieu », il doute de leur utilité et en vient à conclure que « la peine de mort est encore préférable à la peine d’internement perpétuel » (p. 101).

Les éditions Libertalia, dont les ouvrages sont toujours illustrés avec soin, ont accompagné le texte du Docteur Collin de reproductions des carnets originaux et de nombreux clichés pris par l’auteur. La lecture de ce document historique unique, enrichie par la préface et l’appareil de notes réalisés par Jean-Marc Delpech, sera appréciée par celles et ceux qui, au-delà des chercheurs et des spécialistes, s’intéressent au bagne et à l’histoire des institutions punitives – et qui ne manqueront pas de guetter la publication annoncée par les mêmes éditeurs d’un récit depuis longtemps introuvable : celui du Docteur Rousseau, Un médecin au bagne, datant de 1930.

Gwenola Ricordeau Clersé, Université Lille 1

Charles Martel et labataille de Poitiers, dans Panorama des idées

mardi 8 décembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension publiée dans Panorama des idées, n°6, décembre-février 2016.

« J’essuie Charles Martel. »

La bataille de Poitiers qui opposa en 732 les Francs de Charles Martel et les troupes du gouverneur d’al-Andalus Abd al-Rahmân est devenue l’objet d’un enjeu mémoriel pour l’extrême droite, que deux historiens démontent avec bonheur.

« Je suis Charlie Martel ! » Le 8 janvier dernier, au lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo, ce slogan étrange résonnait à contretemps de l’ambiance d’unité au sein d’un peuple qui clamait l’unisson « Je suis Charlie ». Ce détournement vicieux venait du compte Facebook du mouvement d’extrême droite Génération identitaire. Jean-Marie Le Pen lui-même avait malicieusement adopté le slogan, rajoutant « si vous voyez ce que je veux dire ». Mais que venait faire Charles Martel dans cette galère ? Simplement conforter dans le discours frontiste l’idée selon laquelle les musulmans vivant en France n’étaient que les lointains héritiers des troupes d’Abd al-Rahmân, battues à Poitiers en 732 par Charles Martel !
Dans un essai éclairant, Charles Martel et la bataille de Poitiers. De l’histoire au mythe identitaire, deux historiens William Blanc, Christophe Naudin se sont intéressés au destin de Charles Martel dans notre roman national. Pourquoi la bataille de Poitiers, opposant les Francs et les troupes du gouverneur d’al-Andalus Abd al-Rahmân, est-elle soudainement devenue un « enjeu de mémoire », sinon un mythe identitaire ? Déjà auteurs d’un livre remarqué sur les instrumentalisations politiques de notre histoire par des historiens tendancieux, Les Historiens de garde (Inculte, 2013), les auteurs expliquent clairement que la bataille de Poitiers reste un événement mineur de notre histoire, tout en notant qu’il « ne doit sa survie mémorielle qu’à l’utilisation qui en a été faite, depuis les années 1880, par l’extrême droite et le courant nationaliste ». Charles Martel, symbole de l’histoire massacrée, symbole de la Chrétienté résistant aux assauts de l’Islam : la couverture de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, le 5 décembre 2013, en fut un indice saisissant.
Le souvenir de Charles Martel s’est en réalité politiquement construit depuis une quinzaine d’années seulement, même si dès le milieu des années 1970, une partie de l’extrême droite utilisa déjà la figure de Charles Martel comme symbole de la lutte contre la population immigrée, sous l’impulsion des thèses d’idéologues comme François Duprat ou Guillaume Faye. Le début des années 2000 fut le moment de basculement du discours d’extrême droite sur la question de l’Islam. Outre l’impact de l’essai de Samuel Huntington, Le Choc des civilisations (1996), tout change avec la guerre du Kosovo en 1999, qui voit les États-Unis prendre fait et cause pour les populations albanophones et musulmanes de l’ex-Yougoslavie. « Pour beaucoup de néodroitiers, c’est un signe que l’Amérique s’allie avec l’Islam pour déstabiliser l’Europe. » Le 11 septembre 2001 et la parution du livre d’Oriana Fallaci en 2004, La Force et la Raison, nourrissent parmi d’autres événements un discours islamophobe de plus en plus décomplexé. C’est dans ce contexte nouveau que le souvenir de Charles Martel est alors réactivé. Pour l’historien de garde Dimitri Casali, déjà dégommé dans leur précédent livre, Charles Martel aurait même été « gommé des programmes et des manuels pour complaire aux élèves musulmans » ! Dans le même esprit délirant, Lorànt Deutsch assimile, dans son best-seller Hexagone, la bataille de Poitiers à une invasion qu’il compare à un choc des civilisations, tout en accusant certains historiens de nier cette réalité pour complaire à l’opinion. Quant au groupe Génération identitaire, il affirme clairement son objectif : « Remémorer à nos compatriotes la bataille de 732 et la figure de Charles Martel alors que l’on voudrait de plus en plus en effacer le souvenir pour mieux falsifier nos mémoires et faciliter ainsi le remplacement en cours. » Le fameux « grand remplacement » théorisé par l’écrivain Renaud Camus en 2010 s’impose donc comme le cadre idéologique au sein duquel la figure de Charles Martel peut à nouveau être instrumentalisée. La France devrait ainsi, selon ces histrions islamophobes, saluer la mémoire de notre Charles Martel et faire de Poitiers le lieu symbolique d’une résistance culturelle.
Ce que rappellent pourtant Blanc et Naudin, c’est que la bataille de Poitiers n’est pas, historiquement, le choc que nombre d’auteurs ont imaginé. Les grandes figures de l’enseignement de l’histoire sous la IIIe République – Jules Michelet et Ernest Lavisse – ne consacrèrent que peu d’attention à l’événement. Dans son Histoire de France, Michelet minimise la bataille et remarque que la grande affaire militaire du règne de Charlemagne ne concerne pas les Sarrasins mais les peuples germaniques. Le manuel Lavisse ne consacre pas même une ligne à la bataille.
Les seuls moments dans l’histoire de France où Charles Martel se distingue comme figure historique correspondent à des moments de poussée patriotique et religieuse. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la figure de Martel est mobilisée par « les partisans de l’absolutisme qui font de son règne un moment d’affirmation d’un pouvoir central fort ». Et surtout, l’écrivain Chateaubriand, attaché à sa défense acharnée du Moyen Âge occidental et du génie du christianisme, dépeint la bataille de Poitiers comme un affrontement pour empêcher l’esclavage du genre humain !
À part ces poussées mémorielles, le souvenir de la bataille de Poitiers est resté flou, à la mesure de son impact limité sur notre histoire, contrairement à ce que tous les idéologues d’extrême droite voudraient faire croire aux élèves de France en leur martelant l’importance de Martel. De ce point de vue, l’essai de William Blanc et Christophe Naudin apporte une preuve éclatante de la manière dont l’histoire s’écrit et se réécrit sans cesse, de l’écart ténu qui subsiste, et parfois s’efface, entre le récit historique et la propagande politique.

JMD