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mardi 9 mai 2017 :: Permalien
À propos du livre de Nedjib Sidi Moussa, La Fabrique du Musulman.
Recension publiée dans le bulletin Négatif, avril 2017, numéro 2.
« Un religieux dit un jour à une fille perdue : Folle, qui te prends toujours aux rets du premier venu ! Elle répondit : c’est vrai, je suis bien ce que tu dis, Mais toi, révérend ami, es-tu tel que tu parais ? » Omar Khayyâm, Cent-un quatrains de libre pensée, Paris, Gallimard, « Connaissance de l’Orient », 2002, p. 65.
Il y a des imbéciles heureux qui sont fiers d’être nés quelque part ou fiers de rendre visible leur choix pour en faire une identité. Ce n’est pas le cas de ce jeune trentenaire qui explique bien qu’il n’a pas choisi son nom et sa famille. Ses parents d’origine algérienne ont quitté leur pays après la révolution quand le FLN prenait le pouvoir d’État, sabrant les tentatives d’autogestion à peine naissantes. Il faut dire qu’ils restaient fidèles à Messali Hadj, cette autre voix (voie ?) muselée de la libération nationale.
L’auteur prend aussi soin d’expliciter la perspective selon laquelle il mène sa démonstration. Il se réfère au mouvement ouvrier qu’il considère comme un passé encore vivant. Il mentionne aussi à l’adresse du lecteur que, bien que docteur en « science politique », il est actuellement un précaire de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette manière classique de se positionner dans les rapports sociaux est le minimum à faire lorsqu’on prétend dépasser une société fondée sur le mode de production capitaliste et la violence de son État. Les intérêts en jeu dans cette société sont contradictoires et chaque groupe social est pris dans ces rapports sociaux. De ce fait, celui qui prétend parler de cette situation et la révéler doit les clarifier afin d’amener l’adversaire à se situer à son tour. Et c’est tout autre chose que cette manière post-moderne de dire par exemple : « Je suis un jeune mâle hétérosexuel racisé vivant dans une mégalopole occidentale en butte aux contrôles policiers au faciès. »
La thèse développée dans cet opuscule est la suivante : dans le contexte actuel où les religieux ont le vent en poupe, où l’extrême droite tient trop souvent le haut du pavé en diffusant ses thèmes favoris dans l’appareil médiatique dominant, la pente naturelle du débat public est aux fausses polémiques mettant en valeur des identités culturelles et leurs affrontements. Dans ce cadre, la figure du Musulman a une fonction politique qui consiste à évacuer toute analyse de classe. C’est pourquoi notre jeune analyste procède à un démontage en règle de cette figure. Le nom est écrit avec une majuscule pour signifier qu’il ne s’agit pas seulement de foi religieuse : dans ce cas, l’auteur préfère parler des « musulmans » sans la majuscule. Voilà une première confusion déjouée. Et en effet cette représentation sociale du Musulman donne lieu à une confusion pour le plus grand bénéfice de différentes chapelles politiques qui visent à constituer une offre pour leurs futurs militants, adhérents ou électeurs.
Mais l’énoncé de cette thèse serait incomplet sans l’analyse du rôle que tient dans ce jeu malsain une partie de « la gauche de la gauche » – « gauche radicale » ou « gauche critique » (souvent altermondialiste) – mais il faudrait même dire : une partie de l’extrême gauche et du milieu libertaire. Cette situation politique française voit « l’activité propagandiste des diverses chapelles d’extrême droite combinée à la reconquête de l’espace public par les religieux de toutes obédiences. Face à cette offensive nationaliste et cléricale, certains segments de la “gauche de la gauche” ont contribué, à leur échelle, à mettre l’accent sur les préoccupations identitaires au détriment de la question sociale » (p. 8). Pour toute cette frange (fange ?) politique il s’agit de promouvoir « la race » en concurrence avec « la classe » comme s’il était possible de mettre en équivalence une notion aussi fumeuse avec un concept qui serait plutôt celui de « lutte des classes », « la classe » sentant trop son stalinien mal dégrossi. Cette tendance politique alimente la fabrique du Musulman. Peut-on, à juste titre, s’opposer à l’extrême droite tout en acceptant de côtoyer un certain antisionisme qui fleurte avec l’antisémitisme ou encore avec cet ethno-différentialisme des « entrepreneurs communautaires » (p. 106) et conservateurs ? « En quête d’un prolétariat de substitution ou d’une nouvelle cause étrangère de proximité, ces activistes ont ainsi trouvé les “Musulmans” quand ils ne les ont pas inventés à leur image. Qu’elle récuse ou non le label “islamo-gauchiste”, cette gauche cléricale à tendance racialiste a substitué la lutte des races à la lutte des classes, en vouant aux gémonies le vieux combat contre l’oppression religieuse, sans oublier celui de la séparation des Églises et de l’État » (pp. 20-21).
Elle veut promouvoir « la race » en tant que « politisation de l’antiracisme » alors qu’il s’agirait plutôt de lutter contre la dépolitisation du racisme tellement il est réduit à une affaire psychologique (la phobie) ou culturalisé par des analyses sociologiques à l’emporte-pièce. Et cette tendance ne permet pas cette lutte. Il y a ainsi beaucoup d’idées reçues, de raccourcis et de dogmes qui sont remis en cause dans ce petit missile théorico-politique. Que veut dire, par exemple, « issu de la colonisation » ? En quoi consiste l’usage d’un terme aussi ambigu qu’« islamophobie », que d’aucuns disent scientifique ? Et celui de « race », fût-elle sociale ? N’est-il pas aberrant de dire que pour lutter contre le racisme, il faut considérer avant tout « les races » et bien sûr en promouvoir certaines contre d’autres. Comme il est difficile de ne pas « essentialiser » ! D’où le sous-titre de l’ouvrage : « Essai sur la confessionnalisation et la racialisation de la question sociale ».
Là est le cœur de la démonstration. Face à ceux qui prétendent que le mouvement ouvrier n’est plus que du passé, que le prolétariat n’est qu’un mythe, l’auteur développe son argumentation avec brio pour établir que sans une analyse de classe circonstanciée et l’appui d’organisations qui s’y réfèrent, l’on ne peut que se focaliser superficiellement sur des identités culturelles et des particularismes radicaux en concurrence. La figure du Musulman sert justement à évacuer la pleine conscience que nous vivons avant tout dans des rapports sociaux capitalistes et que c’est là la détermination principale qu’il nous faut surmonter ensemble. « Cet essai vise à appuyer l’émancipation de tous les exploités. Il fait écho aux discussions en cours dans le milieu libertaire, notamment au sujet de l’intersectionnalité, tout en demeurant réservé quant aux déclinaisons féministes des projets islamique ou “décolonial” » (pp. 11-12). On remarquera au passage que la fabrique en question n’a rien à voir avec les éditions du même nom qui sont au cœur du camp « déconno-lial ».
Il faut d’ailleurs croire que les éditions Libertalia ont fait du chemin depuis qu’elles publiaient des auteurs indigénistes. Tous les ingrédients nécessaires à une réelle critique font ici leur retour : une argumentation logique, une ironie grinçante et un humour chaleureux. Posture que plus d’un « activiste postmoderne » (p. 18) voudrait nous faire oublier. « Laïcité apaisée », « privilèges blancs », « racisé.e.s » (« en non mixité »), « cis-genre », « identités multiples » et « fiertés », « universel mâle blanc hétéronormé », « racisme structurel », « féminisme postcolonial » et « rapports de force décoloniaux », « premie.è.r.e.s zintéressé.e.s ». Voici une série de termes – si présents dans l’hégémonie intersectionnelle à coloration racialiste – qu’il ne sera plus possible d’utiliser aussi spontanément après avoir lu ce livre.
Sans doute ce dernier ne pouvait-il pas traiter des limites de l’approche en termes de classe pour l’émancipation actuelle. Pourtant c’est un débat qui pourrait prolonger le propos de Nedjib Sidi Moussa. En effet, en quoi la dialectique des classes sociales à notre époque peut-elle encore constituer un possible dépassement du capital ? L’antienne sur la répartition des richesses ou le changement de mode de production introduit-elle une rupture en ce sens ? Il aurait pu y avoir à ce titre un chapitre intitulé « l’Universel » pour parler de ce que devient le communisme dans ce monde. Autant dire : une horreur pour l’intersectionnalisme frelaté importé des États-Unis.
jeudi 4 mai 2017 :: Permalien
L’émission La Fabrique de l’Histoire du 16 janvier 2017, sur France Culture, recevait William Blanc pour Le Roi Arthur. Un mythe contemporain :
www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/le-moyen-age-en-mouvement-14-retrouver-les-barbares
jeudi 4 mai 2017 :: Permalien
Le Roi Arthur de William Blanc, dans le numéro spécial 34 de la revue Historia, mars-avril 2017.
La légende arthurienne ne s’est jamais aussi bien portée. Elle réapparaît régulièrement depuis une quarantaine d’années à travers la fantasy, la musique, le ciné, les séries TV, les jeux vidéo, la BD... L’exploitation de ce corpus et ses avatars sont analysés par le médiéviste William Blanc dans ce volume illustré. De Mark Twain à Steven Spielberg, du rappeur Jay Z à Alexandre Astier (dont la série Kaamelott sera adaptée au grand écran en 2017), accrochez-vous pour une surprenante traversée spatio-temporelle dans ce méga-univers arthurien, qui nous renseigne sur les peurs et les espoirs fous de nos sociétés.
Véronique Dumas
jeudi 4 mai 2017 :: Permalien
William Blanc était l’invité de Culture Prohibée en décembre 2016 pour une émission spéciale sur Le Roi Arthur, un mythe contemporain.
mercredi 3 mai 2017 :: Permalien
Texte écrit par Louis Janover à la mémoire de Miguel Abensour, mort le samedi 22 avril. Publié conjointement sur les sites de Smolny et de Libertalia. Photo : Yann Levy
Pour Miguel,
Je voudrais seulement dire quelques mots sur ce qui a été tellement important dans l’amitié qui me liait à Miguel et qui je crois a la même importance dans son œuvre. C’est sur cette part que je veux mettre l’accent parce qu’elle n’apparaît pas toujours dans ce qu’on sait de lui. On a tendance, quand on parle de sa place comme penseur, à insister sur ce qu’il a apporté dans le domaine de l’utopie à une époque où elle avait été plutôt reléguée dans ce qu’on appelait le pré-marxisme. On peut dire à juste titre que c’est en grande partie grâce à Miguel que cette pensée est redevenue présente parmi nous, et c’est une part de notre rapport amical qui se retrouve là parce que cela rejoignait la pensée du surréalisme, qui était loin de lui être étrangère.
Tout était alors à redécouvrir et c’est à ce moment que j’ai connu Miguel. Mais surtout on mesure mal ce qu’a représenté sa collection pour sa pensée et pour un certain milieu intellectuel qui pouvait enfin discuter de l’importance de l’école de Francfort et de bien d’autres auteurs. Cela s’est fait dans un ensemble d’idées très cohérent que Miguel a condensé dans ce qu’il appelle une reconstitution des critiques pratiques de la politique.
Pour le comprendre, on doit se rappeler que le livre de Maximilien Rubel, Marx critique du marxisme, est le troisième livre de sa collection Critique de la politique. Cette publication marque une date dans l’histoire, car toute la pensée critique et révolutionnaire était alors dominée par le marxisme, et personne ne le dissociait de Marx. Faire ce pas, c’était se mettre d’une certaine façon en dehors du camp de la servitude volontaire, et c’est à travers ce retrait que Miguel Abensour a inscrit sa critique. Il faut imaginer ce que cela signifiait à l’époque pour se faire une idée de la responsabilité qu’il prenait. Cela continuait la critique de Socialisme ou Barbarie et lui donnait un nouveau sens.
Le mouvement auquel se rattachait alors la pensée de Miguel, c’était celui innervé par le socialisme des conseils. La collection, comme sa pensée, s’en est trouvée fortement marquée et c’est dans cette direction qu’il n’a cessé de s’orienter. En dépit de multiples sollicitations politiques, il a su garder intacte cette pensée critique qui était pour lui ce que Marx appelait la « démocratie vraie ». Il n’a jamais varié sur ce point, comme en témoignent ses livres et ses articles. C’est le sens notamment de sa contribution à la revue les Études de marxologie, qui unissait Marx et l’utopie. Il a également écrit un texte en faveur de la Pléiade de Rubel, « Pour lire Marx », qui est paru dans la Revue française de science politique, en 1970. Il a été repris chez Sens et Tonka en 2008. Miguel m’a souvent raconté que des collègues bien intentionnés ne se sont pas fait faute de lui faire savoir clairement à quoi et à qui il s’exposait.
Le troisième titre publié par Miguel, en 1974, dans Critique de la politique est de Rubel. La reprise de la collection chez Klincksieck, en 2016, quarante ans plus tard, commence par la réédition de l’ouvrage clef de celui-ci, Karl Marx. Essai de biographie intellectuelle. C’est la fidélité à une même pensée de l’émancipation qui sert à Miguel de fil conducteur, au point qu’il préparait la publication de la correspondance de Pannekoek avec Rubel. De la même manière, il a tenu à rééditer sans attendre un ouvrage capital, Le Mythe bolchevik, le témoignage d’Alexandre Berkman, un anarchiste qui remet dans une perspective nouvelle cette histoire.
On voit ce qu’il en est de la persistante présence de cette interrogation chez Miguel et dans quel sens elle oriente sa recherche. Cette pensée m’a très tôt liée à lui, et s’il est parmi nous et avec nous, c’est à travers cette œuvre. Miguel a condensé sa réflexion à travers l’évocation de sa vie dans un Entretien qui date de 2014 et qu’il a mené avec Michel Enaudeau. Il a pour titre laboétien La communauté politique des « tous uns ». Le sous-titre se lit Désir de liberté Désir d’utopie sans ponctuation, ce qui résume en quelque sorte son point de vue. L’un est inclus dans l’autre, comme changer la vie et transformer le monde.
L’utopie, c’était aussi pour Miguel l’idée que Breton exprime dans le Second Manifeste du surréalisme qui assigne à l’homme « de ne pouvoir faire moins que de tendre désespérément à cette limite ».
La dédicace qu’il me fit à cet Entretien définit le sens de notre amitié. « Pour Louis, mon ami et mon premier lecteur qui ainsi me donne la force et le courage de continuer. » Je peux dire que cette lecture me donne aussi la force et le courage de continuer.
Louis Janover, 25 avril 2017.