Le blog des éditions Libertalia

Rengainez, on arrive ! dans Presse & Cité

lundi 16 septembre 2013 :: Permalien

Article paru dans Presse & Cité, septembre 2013.

Rengainez, on arrive !
un livre sur trente ans de crimes sécuritaires dans les quartiers

Mogniss Abdallah est un journaliste engagé. Appartenant à une génération, celle des années 1970, où l’extrême gauche tendance Mao/Libération dominait l’activisme, il brosse dans un livre récent, Rengainez, on arrive !, trente ans de crimes policiers et sécuritaires. Un portrait, jamais vu d’un pays qui n’en finit pas de maltraiter ses jeunes des nouvelles classes populaires.

« Rengainez, on arrive ! » : c’est le slogan d’une génération d’enfants d’immigrés. Mais c’est aussi dorénavant un livre glaçant qui, avec un mélange de colère froide, sans doute assagie par les ans, et de précision chirurgicale, nous plonge dans les soubresauts d’une histoire meurtrie. Mogniss Abdallah l’affirme d’entrée : il est « du côté des acteurs ». Pourtant, il réussit parfaitement à trouver le ton juste, la bonne distance, loin des polémiques qu’auraient pu porter bien des « rageux » de l’époque. Il parvient à rester factuel, même s’il est néanmoins mu par une saine indignation. Une distanciation que permet la saisie de la plume, quand on décide de poser un instant les armes après une longue, parfois trop longue, lutte.

Trente ans de combats antiracistes

Trente ans de combats contre les crimes racistes, sécuritaires ou policiers sont ici autopsiés, soit une avalanche de faits rarement (jamais ?) jusqu’alors mis en cohérence pour brosser un portrait en lettres de sang d’une époque sur laquelle peu de médias ont osé porter le regard avec autant de persévérance. Taoufik Ouanès, Lahouari Ben Mohamed, Thomas Claudio, Abdennbi Guemiah, Ahmed Boutelja, Malik Oussekine, Youssef Khaïf… des dizaines de noms de jeunes assassinés, essentiellement d’origine maghrébine, toujours « des cités ». Une litanie de forfaits qui donne la nausée parfois, commis contre une génération qui aspire seulement à vivre sur le sol où elle est née, et finit par crier : « On peut s’adapter à tout, mais pas aux coups de flingue. » Cela, c’est au début des années 1980. Elle finira par scander, dans les années 1990 : « Pas de justice, pas de paix », une décennie après une « Marche pour l’égalité et contre le racisme » finalement restée orpheline de sa victoire. Cela, dix ans avant les émeutes de 2005, émeutes portées par une nouvelle génération à l’esprit imbu d’un « pragmatisme éclectique aux repères brouillés », à en croire l’auteur.

Porter la plume dans la plaie

Assurément, pour un enfant de la période post-68, le fond de l’air n’est plus rouge… Pourtant, ce livre pour mémoire est loin de constituer la sèche nécrologie d’une génération victime du racisme. Il s’agit plutôt de l’infatigable chronique d’une lutte contre des individus qui confondent maintien de l’ordre et répression, et contre un système qui les protège. Chronique qui rend ses lettres de noblesse à l’objectif premier que se donne ce militant de toujours qu’est Mogniss Abdallah : celui du journalisme, lui qui a fondé « Im’média », première agence de presse de l’immigration, née dans la queue de comète de l’agence de presse Libération dans les années 1970. Avec, de toute évidence, la fameuse tâche que s’assignait Albert Londres : « Porter la plume dans la plaie ». Reste que ce Rengainez, on arrive ! est écrit comme un polar, et se lit comme tel : alerte, incisif, chaotique et haletant. Et pourtant, on est bien dans la réalité. On peine à croire que ses héros sans repos parviendront finalement à triompher de leurs obstacles incessants et de leurs ennemis, pour imposer à une société qui les brime ou, au mieux, les ignore, un récit où se mêlent besoin de reconnaissance, de mémoire et de justice.

 Aussi à lire : l’entretien avec Mogniss H. Abdallah

Wendy Delorme, par Yann Levy

jeudi 20 juin 2013 :: Permalien

Wendy Delorme — par Yann Levy.

Une photo que l’on retrouvera dans le magazine gratuit Gueule d’ange n°30, à paraître en juillet, et consacré à l’auteur de Marge(s).

La Commune n’est pas morte dans Libé

vendredi 14 juin 2013 :: Permalien

Chronique de La Commune n’est pas morte d’Éric Fournier, parue dans le cahier Livres de Libération du jeudi 6 juin 2013.

La Commune n’est pas morte, Éric Fournier

Si son histoire fut brève (mars à mai 1871), la Commune de Paris a fait l’objet d’intenses investissements politiques, qui traduisent une mémoire complexe, souvent conflictuelle, dont ce livre très informé retrace les différentes étapes. Jusqu’à la Première Guerre mondiale dominent surtout les « mémoires vives » : celles des Versaillais qui condamnent l’événement à l’oubli ou à la rédemption , celle des « revenants » qui inventent après l’amnistie la «  montée au mur », celle des républicains qui jouent la carte de l’apaisement conciliateur. De 1917 au centenaire de 1971, le Parti communiste, qui voit dans la Commune « l’aurore » d’une ère nouvelle, vampirise littéralement l’événement. Le drapeau fédéré trône dans le mausolée de Lénine, et c’est un de ses fragments que Gagarine emporte dans l’espace en avril 1961. L’aspect le plus neuf de l’ouvrage concerne les 40 dernières années : renouveau historiographique qui s’emploie, contre les approches téléologiques, à rendre la Commune à ses acteurs, souci d’intégration au « roman national », cannibalisme d’une extrême droite identitaire qui célèbre les « patriotes » de 1871, mais aussi permanence d’un discours versaillais, qui n’a jamais vraiment désarmé, et d’une lecture libertaire dont témoigne la belle couverture du livre, signée Jacques Tardi.

D.K.

Clément

jeudi 6 juin 2013 :: Permalien

Le mercredi 5 juin 2013, en sortant d’un magasin de vêtements, près de la gare Saint-Lazare, Clément Méric, jeune syndicaliste âgé de 18 ans et militant antifasciste a été battu à mort par des membres de l’extrême droite radicale.

Venu de Brest pour ses études à Sciences Po, il a été victime du contexte de violences d’extrême droite qui s’est développé ces derniers mois. Il est décédé des suites de ses blessures, dans la nuit, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

Toutes nos pensées vont à sa famille et à ses proches auxquels nous exprimons toute notre solidarité.

Ses ami-e-s et camarades

Que fait la police ?

vendredi 31 mai 2013 :: Permalien

Il y a quelques mois, lors de la publication de Je n’aime pas la police de mon pays, nous craignions que Maurice Rajsfus ne cesse d’animer le bulletin Que fait la police ?
Que nenni ! Le vieux combattant n’a rien perdu de son mordant.

Aussi disponible sur http://quefaitlapolice.samizdat.net

QUE FAIT LA POLICE ?
Chronique anti-autoritaire de Maurice Rajsfus – 1er juin 2013

Gaz lacrymogènes, la moutarde leur monte au nez…

Depuis les premières grandes manifestations contre le « mariage pour tous », les plus énervés des supporters de Frigide Barjot, excités par les grands esprits de l’UMP, n’ont cessé de se heurter à la police. Tous se plaignant ensuite d’avoir été arrosés de ces gaz lacrymogènes qu’il leur paraissait naturel de faire utiliser par la police contre les manifestations ouvrières.
 Aussi bien le 18 avril que dans les démonstrations suivantes, jusqu’au 26 mai 2013, les nervis de l’extrême droite sont réapparus au grand jour, multipliant les provocations, cherchant l’affrontement avec les forces de l’ordre qui, de leur côté, limitaient leurs ripostes brutales au strict minimum. Dans les premiers jours de mai 2013, étonnés d’avoir été un peu chahutés par les gendarmes mobiles et les CRS, ces nostalgiques de Vichy et de l’Ordre nouveau publiaient un étonnant courriel anonyme, reproduit dans Le Monde du 6 mai 2013 : « Flicaille gauchiste, bien dans ses rangers, bonne conscience comme les boches des années 1940, gavés de Juifs. Nous n’aurons pas la mémoire courte lorsque nous reprendrons le pouvoir ! » 
Nous retrouvons dans ce propos, curieusement anti-flic, la haine exprimée d’une extrême droite retrouvée contre la démocratie, mêlée au ressentiment de ceux qui, hier encore, commandaient aux matraqueurs, mais se retrouvent aujourd’hui dans la triste situation de l’arroseur arrosé – d’où leur ressentiment. Curieusement, aux côtés des petits salauds, héritiers du GUD, et peut-être zélateurs du Bloc identitaire, une voix de connaisseur se faisait entendre, celle de Claude Guéant, ancien ministre de l’Intérieur, critiquant vivement l’intervention policière contre les nouveaux croisés de l’ordre social : « J’ai personnellement vu des gestes de violence de la part des forces de l’ordre qui étaient inacceptables… La situation ne justifiait en rien l’utilisation des gaz ! » Propos exprimé par un expert…

À pas de Guéant vers la paille humide des cachots ?

Un an après avoir quitté le ministère de l’Intérieur, Claude Guéant se retrouve au cœur d’une mauvaise affaire financière. Blanchiment d’argent ? Peut-être. Transaction pour le compte du candidat Sarkozy aux élections présidentielles, qui manquait sans doute de menue monnaie au printemps 2007 ? Son patron a été battu le 6 mai 2012, lui-même étant balayé aux élections législatives du mois de juin suivant. Faute de mieux, l’ancien premier flic de France ouvrait un cabinet d’avocat. Question nécessaire : l’expression « avoir le sens de l’honneur » a-t-elle un sens pour certains hommes de pouvoir ? Peut-on dire que ceux-là se battent pour défendre ce qu’ils n’ont pas, ou ce qu’ils n’ont plus : cet honneur censé leur servir de bouclier.
Au terme d’une carrière bien remplie, l’ancien préfet, issu de l’ENA, allait devenir patron de la police nationale puis directeur du cabinet de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur en 2002. Déjà, il devait avoir le sentiment d’avoir réussi sa carrière et de mériter les honneurs. Il suivra son mentor à l’Élysée, lorsque celui-ci accédera à la présidence de la République, en mai 2007. Viendra le temps où il succédera à Brice Hortefeux au ministère de l’Intérieur. À ce poste, Claude Guéant affichera tranquillement sa xénophobie, puisque c’était dans l’air du temps. Particulièrement haineux envers les Roms et les Comoriens, les Maghrébins et tous ceux qui ont l’audace d’afficher une couleur de peau pas très claire. Durant plus d’une année, il sera l’exécuteur des basses œuvres d’une clique politique qui, pour capter les suffrages de l’électorat du Front national, n’hésitera plus à faire de la surenchère au programme de la famille Le Pen, allant même chasser sur les terres de l’extrême droite radicale. Dans le même temps, peu soucieux de respecter les sources des journalistes, le ministre de l’Intérieur n’hésitera pas à s’intéresser de trop près à ces confrères du Monde, lesquels risquaient de dévoiler au grand jour les abus de faiblesse, peut-être exercés par son mentor sur la patronne du groupe L’Oréal.
Cet homme, dépositaire d’un immense pouvoir, aussi bien à la tête de la police que dans les coulisses de l’Élysée, était également le monsieur Afrique de Sarkozy. Peut-être n’avait-il pas le physique de l’emploi. Le 17 septembre 2011, au-dessous de son portrait, le quotidien Libération publiait une énorme méchanceté sur son compte. Extraits : « Guéant, le Mazarin de la Sarkozie pourrissante, l’araignée politique tissant la toile des réseaux occultes, le calculateur implacable, organisant tous les dérapages, tout en continuant d’indiquer au GPS la voie droite d’une République irréprochable. Dans le genre vie morne, il faudra repasser. C’est plutôt du James Bond immobile avec imbroglio, valises, mensonges, coups tordus et, au milieu, le masque impénétrable du docteur Guéant, l’homme machination. Le feuilleton ne fait que commencer. » En cette fin d’été 2011, l’homme-lige de Sarkozy était habillé pour le dernier hiver qu’il devait passer place Beauvau. La photo surmontant cette algarade peu amène laissait apparaître un renard glacé, derrière ses fines lunettes d’inquisiteur. Un mauvais regard, comme celui que présente l’avocat général d’un procès où l’accusé est condamné d’avance, selon son intime conviction. C’est à cette époque que dans Que fait la police ? nous avions débuté une série d’acrostiches, précédant Libération d’une quinzaine de jours dans la volonté de présenter le vrai visage de Claude Guéant :

Calme en apparence
Libéral forcené
Authentique sarkozyste
Uniforme bleu dans la tête
Déterminé à sévir
En vue de 2012
Gardien

Utile
Et sécuritaire vigilant
Acharné de la traque et de la trique
Nestor Burma de l’Identité nationale
Tyran des sans papiers

Encouragés par la violente philippique de Libération, et inquiets de la possible présence de Claude Guéant de plus en plus stratégique, pour des années encore, nous avions rédigé, à l’avance, une trentaine de ces petites méchancetés. Toutes étaient prémonitoires si l’on en juge par une enquête publiée, toujours dans Libération, daté du 2 mars 2013, avec pour point fort l’argent liquide qui semblait couler à flot entre les mains du ministre de l’Intérieur. De même cette information judiciaire ouverte le 19 avril 2013 pour « corruption active et passive », mais également pour « trafic d’influence », sans oublier des « abus de bien sociaux » et de « blanchiment, complicité et recel de ces délits ». Rien moins que cela. Et puis, ce commentaire tout en férocité : « La politique, le pouvoir et ses griseries dévorent parfois – plus goulûment encore – ceux qui préféreraient rester en lisière. Dix ans passés aux côtés de Nicolas Sarkozy ont métamorphosé Claude Guéant. Que reste-t-il du Cardinal de la place Beauvau, réputé pour sa grande intégrité et son sens de l’État ? Une vulgaire défroque ! » Dans un éditorial du même numéro de Libération, cette conclusion : « Claude Guéant est aujourd’hui rattrapé par la justice avec ces mouvements financiers dont on à peine à croire qu’ils étaient à son seul bénéfice. À travers l’ancien ministre de l’Intérieur, serviteur dévoué à Nicolas Sarkozy et à ses pratiques, c’est le dévoiement de la Sarkozie et de son système politique qui est en train d’être mis à jour. » […].

Et si l’ancien ministre de l’Intérieur était finalement mis en examen, pour fraude fiscale, avant d’entraîner son maître dans la tourmente ?
Depuis ces dernières semaines, cherchant à défendre son honneur mis à mal, Claude Guéant n’a fait que s’enferrer. Dans son numéro daté du 7 mai 2013, Le Canard Enchaîné révèle que ce grand honnête homme, qui prétendait traquer les réseaux mafieux avait l’argent liquide facile, pour ses frais courants, particulièrement en électroménager. Plus comique, s’il est possible, l’hebdomadaire publie une note du 3 février 1998, lorsque Claude Guéant, alors directeur général de la police nationale (sous la gauche) adressait une note de service au préfet de police de Paris et aux chefs centraux de la police nationale, pour les avertir qu’il n’était pas question d’utiliser les frais d’enquête, circulant en liquide, pour d’autres destinations. Exemple : « Il vous appartient de me rendre compte régulièrement de ces fonds. En aucun cas ces crédits ne doivent être considérés comme permettant d’alimenter un régime indemnitaire ; il s’agit de fonds qui vous sont confiés pour la conduite des enquêtes et des missions de police dont vous avez la charge… » Cette précision devant signifier que ce n’était pas toujours le cas mais il semble que Claude Guéant devait être l’un des bénéficiaires de ces libéralités. Très récemment d’ailleurs, lors de l’une de ses nombreuses apparitions à la télévision, l’habile homme se défendait mollement : « Oui, a posteriori, cela peut paraître choquant… »

La police ne déteste pas l’extrême droite

Le 1er mai 1995, les nervis qui accompagnaient le défilé du Front national avaient assassiné le jeune Marocain Brahim Bouarram, en le jetant à la Seine. Depuis, chaque année, la mémoire de cette victime du racisme était réactivée, près du pont du Carrousel. Ce 1er mai 2013, alors qu’un rassemblement se préparait en ce lieu, les militants d’un collectif antifasciste unitaire étaient attaqués par une trentaine de petits salauds armés de cutters, de matraques et de bombes d’acide. Cela sans que la police, présente non loin, se garde d’intervenir. Arrivés finalement au pont du Carrousel, après que les nervis se soient repliés, les policiers ne trouveront rien de mieux que d’encercler les militants antifascistes, comme pour faciliter la fuite de leurs agresseurs. Ni la grande presse, et pas davantage les chaînes de radio et de télévision n’ont trouvé d’opportunité à relater cet exploit des racistes de l’extrême droite. Seul, semble-t-il, l’hebdomadaire Tout est à nous, daté du 9 mai 2013, devait relater cette agression qui démontre à l’évidence que si les groupuscules proches du Front national sont toujours aussi déterminés, la police, de son côté, est toujours aussi indifférente à leurs dangereuses gesticulations.

Guéant, petit à petit

Décidément, notre ancien ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, grand donneur de leçons de civisme, champion de l’expulsion des sans-papiers, gagne à être connu. Après avoir été dans l’incapacité à justifier un virement de 500 000 euros, en provenance de Malaisie, puis, plus récemment, de 25 000 euros seulement, reçus de Jordanie, voilà notre ancien ministre de la police mis en cause pour « détournement de fonds publics et recel ». Déjà, en 2010, Le Canard enchaîné avait fait quelques révélations sur cette affaire mais sous le règne de Nicolas 1er, cela ne pouvait donner lieu à des poursuites. Dans Le Monde, daté du 17 mai 2013, il était possible d’apprendre que, lorsque Claude Guéant était secrétaire général de l’Élysée, il aurait imposé l’attribution d’un emploi fictif, au ministère du Logement, pour un proche de Nicolas Sarkozy. Cet élu des Hauts-de-Seine, déclaré inéligible par le Conseil constitutionnel, en 2007, le cher Claude Guéant lui avait procuré un job équivalent – en salaire – soit 5 500 euros mensuels. Ce qui n’a pas été apprécié par la Brigade de la répression de la délinquance économique. Décidément, le feuilleton n’est pas terminé, et l’homme d’ordre doit encore avoir du souci à se faire. À suivre donc…

Maurice Rajsfus