Le blog des éditions Libertalia

Michèle Audin sur la réédition de La Semaine de Mai dans Faisons vivre la commune

mercredi 1er juin 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur le site Faisons vivre la commune !, le 27 mai 2022.

Entretien
avec Michèle Audin
sur la réédition
de La Semaine de Mai
de Camille Pelletan

FVLC : Peux-tu nous expliquer les raisons pour lesquelles le livre de Camille Pelletan – La semaine de Mai – que tu viens de rééditer aux éditions Libertalia avec une préface et un appareil critique, a connu, durant plus de 130 ans, une très longue éclipse éditoriale ?

Michèle Audin : C’est quelque chose que je ne parviens pas à comprendre.
La Semaine de Mai est un livre de combat qui a été écrit pour une raison politique claire. Il s’agissait en 1880 d’accélérer le vote de la loi d’amnistie que les communards attendaient depuis neuf ans, les nombreux déportés en Nouvelle-Calédonie, les exilés… qui attendaient de pouvoir enfin revenir en France.
Camille Pelletan était un journaliste radical, un jeune homme – il avait 34 ans – et un journaliste expérimenté, républicain (et absolument pas communard).
Il décide de se lancer dans cette bataille avec un feuilleton qui paraît tous les jours dans le nouveau quotidien La Justice, créé par Georges Clemenceau, et dont Pelletan est le rédacteur en chef. De ce feuilleton, il fait un livre qui paraît au printemps 1880, juste avant le vote de la loi d’amnistie des communards, auquel il contribue. Il s’agit d’une enquête très précise, une enquête journalistique, mais c’est aussi un livre d’histoire. Cette enquête a été réalisée auprès de gens qui, à Paris et en 1880 ou avant, avaient des souvenirs de 1871. Il raconte, jour après jour et quartier de Paris après quartier de Paris, les massacres qui ont eu lieu durant la « Semaine sanglante » que Pelletan appelle La Semaine de Mai, entre le 21 mai et le 28 mai 1871.
Ce livre est réédité en 1889 (on y reviendra) et puis plus. Mais il est lu. On en parle encore dans les journaux dans les années 1930 et même encore dans les années d’après-guerre lors des commémorations de la Semaine sanglante. Certains journaux mentionnent l’existence de ce livre en regrettant qu’il soit devenu introuvable.
Et puis ça s’arrête. Non seulement il n’a plus été réédité, mais on ne le cite pratiquement plus. Comme s’il y avait eu un moment où on a décidé de ne plus parler des morts de la Commune. Il y a eu peu (ou pas ?) de recherches sur la guerre menée par Versailles contre Paris depuis le 2 avril 1871. La Semaine sanglante, c’est seulement le moment où cette guerre entre dans Paris. Mais la guerre a commencé dès le 2 avril et elle a été très meurtrière depuis le début. Et cela s’est conclu par le carnage de la Semaine sanglante, qui est le propos de Camille Pelletan dans son livre.
Depuis que j’apprends l’histoire de la Commune, je m’interroge sur les raisons qui font que l’on se soit si peu intéressé à l’histoire de la répression. Je ne cherche pas à utiliser de grands mots, mais je n’ai pas de doute que la Semaine sanglante est de ce qu’on qualifierait aujourd’hui de crime contre l’Humanité.

FVLC : Quand as-tu pris connaissance de ce texte et de son importance ?

Par hasard. Quand j’ai découvert l’histoire la Commune, c’était pour écrire quelque chose sur les rapports de l’Académie des sciences et la Commune. J’ai utilisé le Journal officiel (de la Commune), qui envoyait toutes les semaines un rédacteur à l’Académie des sciences. Ce gars signait des initiales C.P. et j’ai essayé de savoir de qui il s’agissait. Camille Pelletan est le premier journaliste qu’on m’a nommé – je n’en avais jamais entendu parler – et il avait ces mêmes initiales. Je me suis dit que c’était peut-être lui et j’ai commencé à lire ce qu’il avait écrit… Bien sûr, ce n’est pas lui, mais en tout cas La Semaine de Mai est un des premiers livres que j’ai lu sur la Commune de Paris (bon, après Lissagaray quand même !). C’est un livre que je trouve extraordinaire. Il est extrêmement bien écrit, dans un style journalistique très vivant, mais il est aussi très précis.
Camille Pelletan a parlé avec beaucoup de gens, au cours des années 1870. Pas des communards. Les communards eux-mêmes savent mal ce qui s’est passé, car c’était un vrai massacre et si vous y aviez échappé, c’est que vous étiez caché quelque part et donc vous n’avez rien vu. Il a donc interrogé surtout des bourgeois de Paris, des gens « normaux » qui n’avaient pas pris part à la Commune et qui avaient vu ce qui s’était passé autour d’eux, dans leur quartier. Il n’y a pas tellement de sources, au sens où il ne dit pas exactement le nom des gens qu’il a interrogés. Il y en a qu’il est possible de reconnaître, parce qu’ils ont écrit des choses après, mais pas beaucoup. Et puis, il a réalisé un décompte des morts, c’est pour cela que ce livre a eu une certaine célébrité. Il a passé en revue tous les cimetières. Il est allé les voir les uns après les autres, il n’a pas vu les registres d’inhumation, mais il a parlé avec des témoins qui lui ont rapporté les faits. Il y a donc un certain nombre de choses qui sont difficiles à vérifier si on ne fait pas de recherches précises sur la question.
Pour rééditer ce livre de façon sérieuse, il fallait faire une étude extrêmement précise de ce qui s’était passé à ce moment-là. Depuis que je travaille là-dessus, je n’avais qu’une crainte c’est que quelqu’un décide de ressortir le livre sans avertissement et surtout sans appareil critique, avec le risque que cette réédition ne soit pas du tout sourcée.
J’ai écrit un livre sur La Semaine sanglante, qui est paru l’année dernière. J’y ai confronté ce que raconte Pelletan, en utilisant nombre de ses récits, mais j’ai eu aussi accès à de véritables sources, ce qui m’a permis de vérifier que son livre est extrêmement crédible. Tout ce qu’il dit est vrai.

FVLC : Peux-tu revenir sur la personnalité de Camille Pelletan ?

Il appartenait à la mouvance de Victor Hugo. Il était journaliste au Rappel, je journal de Victor Hugo qui paraît depuis 1869. Il est très jeune journaliste quand il arrive dans cette rédaction. Il s’agit d’un journal républicain, anti-Empire, classé à gauche comme on pourrait le dire aujourd’hui, mais qui, pendant la Commune, a pris ses distances. À l’image de Victor Hugo qui affirmait que ce n’était pas cela qu’il fallait faire, que ce n’était pas les bonnes personnes… Mais qui s’est aussi battu contre la répression. Il a ouvert les portes de sa maison de Bruxelles aux proscrits, ce qui lui a valu d’être expulsé de Belgique.
Camille Pelletan était à Paris pendant la Commune et il était exactement dans cette mouvance. C’est ce qu’on appelle un radical et il a mené ensuite une vie politique de parlementaire dans les années 1880. Il est même devenu ministre de la Marine au début du XXe siècle, mais ça ne remet pas en cause ce qu’il a fait en 1880. La Semaine de Mai est un livre vraiment militant au point que la seconde édition paraît en 1889 au moment où se développe le « boulangisme » et qu’un certain nombre de communards se rangent derrière le général Boulanger, populiste d’extrême droite avant l’heure. Colonel durant la Commune, il avait directement participé au massacre des communards dans Paris. La seconde édition de ce livre en 1889 est encore un acte militant contre le général Boulanger.

FVLC : Dans sa préface de 1889, il a d’ailleurs quelques phrases assassines à l’encontre de ces fils de communards, tués sur les barricades, qui viennent acclamer le fusilleur de 1871…

En effet. C’est pourquoi j’ai reproduit la préface de l’édition de 1889 (pour l’anecdote : je suis allée la chercher le 18 mars 2021 à la Bibliothèque… Thiers). Cette préface situe assez bien politiquement Camille Pelletan.

FVLC : Dans sa préface de 1880, Camille Pelletan insiste sur ses sources et en particulier celles provenant de la presse versaillaise, comme de la presse anglo-saxonne.

Il explique cela très bien. Presque tout ce qu’il cite provient de la presse. Il faut savoir que la répression de la Commune, c’était dans le même temps l’arrêt de toute presse démocratique. Il n’y a plus que de la presse réactionnaire et cela a duré longtemps. Ce qu’on lit dans cette presse est assez terrifiant. Ce sont les éléments qui ont été les plus faciles à vérifier avec les outils de recherche dont nous disposons maintenant. Il a aussi beaucoup lu la presse anglaise et il a exploité toute la presse française de l’époque dont il tire de nombreuses citations. D’autant qu’en 1880, il y a très peu de textes publiés par des communards, à l’exception de Lissagaray que Pelletan cite et qui a même été cité par Maxime Ducamp, dans lequel il n’y a pas de témoignages.
Il rencontre des témoins et des élus de Paris, comme le docteur Robinet, qui avait pris des notes de ce qui se passait dans le 6e arrondissement durant la Semaine sanglante. Malheureusement, je n’ai pas pu consulter les archives de Camille Pelletan.

FVLC : Revenons à Maxime Ducamp.

Maxime Ducamp était un historien réactionnaire. Il est inévitable d’en parler : quand Camille Pelletan écrit son livre, c’est aussi un livre de combat contre Maxime Ducamp. L’objectif de celui-ci est d’entrer à l’Académie française. Il écrit un livre épouvantable en quatre tomes, intitulé Les Convulsions de Paris, dans lequel il dit qu’il y a eu, durant la Semaine sanglante, exactement 6.667 morts (pas un plus, pas un de moins), ce que Camille Pelletan qualifie de « mauvaise plaisanterie  ». On ne peut pas dire mieux. La Semaine de Mai est une réponse à Ducamp et d’une réfutation de ses affirmations. Pour ce dernier, l’objectif est atteint : il est élu à l’Académie française. Mais l’amnistie est votée. Ils ont finalement obtenu tous les deux ce qu’ils voulaient !
Pour les historiens actuels les enjeux ne sont pas les mêmes. Les discussions pour savoir s’il y a eu 30 000 morts ou 6 667 restent complètement abstraites si on ne va pas chercher les sources.

FVLC : Dans La Semaine sanglante, paru en 2021, tu t’es appliquée à compter les morts. Quelles différences entre l’approche de Pelletan et la tienne ?

Oui, je suis allée les chercher, ces sources ! Pour moi, c’était plus facile que pour Pelletan, car j’ai eu accès aux registres d’inhumation des cimetières, ce que lui n’a pas pu voir. La source de Ducamp, c’était la direction des cimetières, avec quelqu’un qui lui a donné les informations. Mais il faut savoir ce que l’on compte à ce moment-là. Il y a des tas de morts, des morts dans toutes les rues, on les ramasse comme on peut et on les amène au cimetière, ou pas. Mais quand les morts arrivent aux cimetières, les employés ne savent pas ce qu’il faut faire. Les enterrer, bien sûr, c’est une urgence. Mais dans les registres ? Un employé de cimetière doit écrire dans le registre le nom de la personne et le numéro de son acte de décès. La personne est censée arriver avec son acte de décès. Là, on ne sait pas de qui il s’agit, il n’y a pas de nom, pas d’acte de décès, mais il faut tout de même les enterrer, c’est même une urgence. Il y a des cimetières où on écrit dans les registres 35 inconnus, venus de tel endroit ; 250 inconnus, venus de tel endroit. Il y a des cimetières où rien n’est inscrit. Ils ne savent pas comment faire. Il y a aussi des cimetières où on truande, comme au Père Lachaise, mais Camille Pelletan n’a vu aucun de ces registres.
En voyant ces registres on comprend comment Ducamp a pris ses informations. C’est très simple : on arrête de compter le 30 mai. La Semaine sanglante, ça dure du 21 au 28 mai, on arrête le 30 mai. Par exemple, le 31 mai le cimetière Montmartre voit arriver 492 inconnus, qui ne sont donc pas comptés par Ducamp.
Pour moi, c’était plus facile parce que j’ai eu accès aux registres. Mais Camille Pelletan a eu accès aussi à des informations sur des cimetières où les morts inconnus n’ont pas été portés dans les registres. En mettant les deux ensemble, on arrive à voir premièrement que ce qu’il dit est complètement crédible. Quand il dit « On m’a dit qu’il y a avait eu tant d’inhumations », c’est souvent le chiffre indiqué dans le registre, qu’il n’a pas vu, et puis ça rend le reste assez crédible.

FVLC : Qu’en est-il de toutes les victimes de la répression versaillaise qui n’ont pas été inhumées dans les cimetières ?

Ce sont des éléments que j’ai pu appréhender en examinant les archives des cimetières et des pompes funèbres. Il y a ceux qu’on amène dans les cimetières et il y a ceux qu’on enterre à la va vite, parce qu’il faut le faire. Presque tous les squares de Paris sont concernés, dont celui de la Tour Saint-Jacques qui est le plus connu, il y a les chantiers. Intervient ensuite une campagne d’exhumations pour récupérer les corps et les amener dans les cimetières. Suivant les cas, cette opération a lieu ou n’a pas lieu. Beaucoup n’ont pas été signalées à Camille Pelletan, parce qu’autrement il en aurait parlé. Par exemple, ce monsieur qui informe Ducamp sur les cimetières, il écrit une lettre à son administration pour expliquer que l’exhumation des cadavres ou de morceaux de cadavres en juillet, quand les gens ont été tués en mai, et qu’il fait chaud, c’est un peu difficile pour les ouvriers. Ce sont des choses que je rapporte dans mon livre sur La Semaine sanglante et qui sont absentes de La Semaine de Mai et qui confirment le nombre important de corps qui ont été enterrés un peu n’importe où. Et surtout le fait qu’ils n’ont pas tous été exhumés. Comme d’ailleurs le fait qu’on en a trouvé tant – ce que Camille Pelletan a commencé à voir, mais pas tellement, puisqu’il écrit en 1880 – à chaque fois qu’on a creusé pour des chantiers, puis percé plus tard pour le métro, on a exhumé des restes de Fédérés, dont j’ai dressé une liste dans La Semaine sanglante. Résultat de ces recherches, celles de La Semaine sanglante, confirmées par ce livre, un archéologue a déposé une liste – près de 60 pages, tout de même – d’endroits dans Paris où maintenant avant de creuser, il faut vérifier qu’il n’y a rien. Comme il me l’a dit, il reste toujours des choses : un corps humain, c’est plus de 200 os. Par exemple, dans le square de la Tour Saint-Jacques, on a encore retrouvé des restes de Fédérés au début du XXe siècle. Et puis, il y a tous ceux qui ont été brûlés dans les casemates des fortifications, ou près du lac des Buttes-Chaumont. De toute façon, il y en a beaucoup qui ne sont pas décomptés dans les cimetières. Il est sûr et certain (et officiel…) qu’il y en a plus de 10 000 qui ont été enterrés dans les cimetières, et il y en a des tas d’autres qui n’ont jamais été enterrés nulle part.

FVLC : À ton avis, existe-t-il encore des possibilités de trouver des archives, des traces, dont nous n’aurions pas encore connaissance ?

Déjà, dans le livre de Camille Pelletan, il y a des pistes. Je le dis dans l’introduction, Camille Pelletan évoque les cours martiales qui ont lieu durant la Semaine sanglante – les cours « prévôtales » – où n’importe quel militaire se définit comme juge et envoie les gens à droite ou à gauche (fusillade immédiate ou prison).
Camille Pelletan dit qu’il y a eu des listes. Il a dû y avoir des archives. Elles ont peut-être été détruites depuis, il ne savait pas où elles pouvaient se trouver. Je ne serais pas étonnée qu’on retrouve quelque chose. Peut-être aux Archives de l’armée (à Vincennes) ou aux Archives de Paris.
Je n’ai pas une formation d’historienne. Il y a pourtant beaucoup de papiers auxquels j’ai eu accès. Par exemple, il existe un mémoire des Pompes funèbres que j’ai utilisé pour écrire La Semaine sanglante qui confirme certaines estimations de Pelletan et de celles que j’avance. C’était dans un dossier dont je pensais qu’il ne contenait que des factures pour l’eau de vie, puisqu’il fallait donner de l’eau de vie aux ouvriers pour aller creuser. C’est Maxime Jourdan qui est allé voir ce dossier (j’étais à Strasbourg et c’était pendant la pire période Covid). En fait, le contenu était saisissant (voir La Semaine sanglante). Il existe certainement d’autres compte rendus ou témoignages qui restent dissimulés dans d’autres dossiers. Ce serait intéressant de retrouver les listes évoquées par Camille Pelletan. Le chantier reste ouvert.

Réflexions sur les causes de la liberté dans Le Monde libertaire

mardi 24 mai 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde libertaire du 23 mai 2022.

Simone Weil,
avec un « W »

Loin du roman mal rapiécé sur Simone Weil d’Adrien Bosc, la nouvelle édition des Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale édités à l’origine par Albert Camus dans sa collection « Espoir » chez Gallimard, et republiées aujourd’hui par les éditions Libertalia se caractérise par son sérieux et sa qualité.

Pour mémoire, la philosophe née en 1909, entrée à l’École normale supérieure en 1928. Proche des milieux révolutionnaires antistaliniens, elle écrit alors dans La Révolution prolétarienne, militant dans la Fédération unitaire de l’Enseignement. En 1934, elle quitte temporairement ses fonctions pour aller travailler en usine avant de reprendre pour des raisons de santé son métier d’enseignante.
Lors des grèves de mai-juin 1936, elle publie plusieurs articles dans Le Libertaire puis rejoint ses compagnons pour se battre en Espagne dans le groupe internationale de la colonne Durruti. Myope, elle ne voit pas une bassine d’huile bouillante, se brûle grièvement au pied et rentre en France.
Choquée par ce qu’elle a vu et entendu sur les violences, touchée par le mysticisme, elle s’éloigne des milieux libertaires.
En 1934, elle avait rédigé une première version qu’elle espérait faire paraître dans la revue de Boris Souvarine La Critique sociale. La revue ayant cessé sa parution, elle ne l’a pas publiée, la retravaillant à plusieurs reprises. C’est seulement après sa mort qu’une première version a paru. L’édition actuelle a comparé les différents manuscrits du texte.
Le texte qu’elle considérait comme sa grande œuvre est suivi d’un texte de mise en perspective rédigé par Robert Chenavier, le meilleur spécialiste de l’approche philosophique de la pensée de Simone Weil. Il met en perspective dans une postface les aspects centraux de cette œuvre majeure.
Simone Weil écrit ce texte alors que la catastrophe est en cours et ne va pas avoir lieu dans un avenir plus ou moins lointain. Pour tenter de la contrecarrer, elle propose de réfléchir sur des aspects de la critique sociale.
La philosophe se livre à une analyse critique de la pensée marxiste qui ne distingue pas l’exploitation – le système économique capitaliste – de l’oppression – les formes de domination – tout en conservant chez Marx des éléments de réflexions critiques comme l’analyse des rapports de forces. Il serait, néanmoins, possible de constater qu’elle ne propose pas à proprement parler de réflexion comme l’aliénation individuelle et la servitude volontaire.
Mais Simone Weil ne se limite pas à cette critique de la critique. Elle propose également une réflexion sur la liberté entre existante et celle à conquérir. Liberté qui, selon elle, ne peut s’accomplir que dans et par le travail. Il faut y voir la dimension syndicaliste révolutionnaire qui finalement a imprégné l’œuvre de Simone Weil et plus tard de son premier éditeur Albert Camus.

Sylvain Boulouque

Correcteurs et correctrices sur le blog communisteslibertairescgt.org

mardi 17 mai 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur le blog Communistes libertaires de la CGT, lundi 15 novembre 2021.

Correcteur·trice,
un métier entre prestige et précarité

Responsable CGT des correcteurs et correctrices en presse papier, sur le Web et dans l’édition pour le Syndicat général du livre et de la communication écrite, Guillaume Goutte publie un petit document chez Libertalia qui fait le tour de façon précise et claire des enjeux de cette profession mythique.
Le livre ouvre sur l’histoire du Syndicat des Correcteurs, créé en 1881, qui finit par intégrer le SGLCE dans une perspective de syndicalisme d’industrie sans renier les racines d’un syndicat de métier. Il éclaire également l’importance d’un service de correction pour tout média qui se respecte.
Puis il tire un bilan, secteur par secteur, de l’extrême précarisation du métier et des luttes qui se mènent néanmoins y compris chez les travailleurs à domicile.
Extrêmement complet sur l’actualité, le livre nous laisse un peu sur notre faim quant à l’histoire, y compris récente des correcteurs. Car l’embauche bienveillante (et bienvenue) de militants révolutionnaires mis à l’index par les patrons a conduit à des affrontements homériques entre anarchistes, trotskistes et autonomes qui ont fait la richesse du syndicat mais aussi ses errements. Espérons donc une suite qui donnerait mieux à voir les contradictions du passé et les succès du présent !

Ma guerre d’Espagne à moi dans le magazine Axelle

mercredi 11 mai 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans le magazine Axelle n° 246, mai-juin 2022.

Née en 1902 en Argentine de parents juifs ayant fui les pogroms russes, Mika Etchebéhère faisait partie d’une génération de jeunes intellectuel·les marqué·es par le marxisme, la révolution russe, l’internationalisme et les idées anarchistes. Avec son mari Hippolyte, elle se rend en Espagne au moment de la révolution de 1936 et s’engage dans une colonne (formation) du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste) pour combattre le fascisme au front. Après la mort au combat d’Hippolyte, Mika va rapidement gagner le respect des milicien·nes – grâce à son courage, son intelligence pratique, son empathie et son engagement corps et âme dans la lutte – et devient capitana à la tête de la colonne. Mettant ses principes théoriques à l’épreuve du réel, elle fera accepter le partage égalitaire des tâches entre femmes et hommes dans la colonne, développera une bibliothèque et une école d’alphabétisation dans les tranchées, refusera les privilèges hiérarchiques accompagnant la militarisation de la guerre et restera engagée avec les combattant·es sur la ligne de front. Elle sera, selon ses propres dires, à la fois capitaine et mère de la colonne, aiguisant son sens du combat et de la stratégie sans négliger la distribution de sirop pour la toux ou de chaussettes sèches. Ses souvenirs de la guerre d’Espagne témoignent des rêves, de la générosité, de l’audace de celles et ceux qui combattirent il y a presque 100 ans dans l’espoir d’autres lendemains, tout en tentant au quotidien de mettre en pratique l’utopie révolutionnaire. Une histoire à faire vivre, absolument.

Louise Bryone

Feu ! dans le magazine Axelle

mercredi 11 mai 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans le magazine Axelle n° 246, mai-juin 2022.

La prochaine fois, le feu, publiait l’écrivain afro-américain en 1963. Soixante ans plus tard, Feu ! Abécédaire des féminismes présents invoque à nouveau cette image pour tenter une histoire populaire (qui part d’« en bas », du collectif, du communautaire, des affinités et des points de vue situés) des féminismes de ces vingt dernières années. Au fil des pages où des voix s’expriment depuis la marge, c’est un « nous » foisonnant, multiple, hétérogène et vivant qui s’y déploie. Un nous qui colle des affiches contre les féminicides ; qui s’empare des terrains de foot, des micros des soirées hip-hop ou de la scène punk ; qui investit Internet ou les réseaux sociaux à coups de #MeToo ou de podcasts à soi ; qui tient des piquets de grève devant les hôtels jusqu’à la victoire ; qui subvertit la langue et les concepts dans les universités ; qui occupe les ronds-points en gilet jaune ; qui déboulonne les statues coloniales, lutte contre les frontières, la répression d’État et la société carcérale ; qui crée des bibliothèques et des archives féministes pour préserver notre histoire de l’oubli ; qui vit la révolution dans des squats en mixité choisie, sur les ZAD, au Rojava ou dans les territoires insurgés zapatistes… Un nous parfois aussi épuisé, en souffrance, mais qui ne veut plus se cacher ou s’excuser, qui refuse de se laisser dicter ses pensées, ses émotions, son corps, son genre et sa sexualité selon les normes dominantes et les cadres universalistes – qu’ils se prétendent féministes ou pas. Et chacune de ces voix dissidentes provoque en nous une étincelle qui nourrit le brasier de notre rage et de notre joie.

Louise Bryone