Le blog des éditions Libertalia

Le Militantisme, stade suprême de l’aliénation

mercredi 12 janvier 2011 :: Permalien

Les éditions du Sandre – que je ne connaissais pas – viennent de rééditer deux brochures datées respectivement de 1972 et de 1974. La première, Le Militantisme, stade suprême de l’aliénation est un pastiche du texte de Lénine, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. La seconde a pour finalité d’expliquer la précédente.

Rédigées par des militants (sic !) de l’Organisation des jeunes travailleurs révolutionnaires (OJTR, proche du PSU), elles dénoncent le « masochisme », le « désir de promotion », la « réunionite » et la « bureaucratie » dont pouvaient faire preuve bien des militants gauchistes dans le contexte post-1968, le courant maoïste en particulier.

Dans un esprit assez situationniste, citation de Vaneigem à l’appui, les rédacteurs rappellent que « ceux qui parlent de révolution sans se référer explicitement à la vie quotidienne, sans comprendre ce qu’il y a de subversif dans l’amour et de positif dans le refus des contraintes, ceux-là ont dans la bouche un cadavre ».

Si l’on peut comprendre ces critiques féroces en les recontextualisant, s’il nous semble évident que changer la vie commence par se changer soi-même, il n’existe pas à notre connaissance d’instance plus souveraine qu’une assemblée générale où la parole serait la plus libre possible.

Pour finir, laissons la parole à Claude Guillon, qui a présenté et annoté ces brochures : « Celles et ceux qui refusent d’accepter comme une fatalité l’exploitation capitaliste pourront, en se servant de leurs propres expériences, alimenter un travail d’élaboration critique […]. À défaut, ce texte pourrait aussi servir […] à justifier un immobilisme aigri et méprisant. Lequel est le stade suprême de la soumission. »

N.N.

Voyage en idéologie sécuritaire

samedi 8 janvier 2011 :: Permalien

Certains se demandent peut-être ce que nous faisons en ce moment. Eh bien, c’est simple, nous sommes plongés dans les livres ! Original, non ?

Travailleurs, vos papiers ! est presque fini, il a fallu entrer les dernières corrections des auteurs. Clio et les Grands-Blancs est disponible, mais il faut désormais le défendre : on contacte les libraires, on écrit aux journalistes, on essaie d’en parler avec passion. Ce texte exigeant sur l’anticolonialisme est en effet un de nos grands coups de cœur.

Enfin, on travaille sur le livre à paraître de notre compagnon Mathieu Rigouste, l’auteur de L’Ennemi intérieur (La Découverte, 2008).
Comme je vous vois curieux, je me dis qu’il faut vous en livrer un extrait en guise d’étrennes. Bonne année à tous ! Paix, justice et dignité !

* * *

« En quarante ans, la coalition des “bénéficiaires secondaires du crime” s’est organisée en véritable groupe d’intérêt, d’influence et de pression à l’intérieur des classes dominantes. Il existe désormais une strate des contrôleurs et les marchands de peur en constituent l’avant-garde idéologique. Conscients d’avoir des intérêts et des pouvoirs particuliers, ils agissent en fonction de ces intérêts et dominent désormais le centre nerveux des sociétés de contrôle, la production de la peur, qu’ils ont participé à édifier comme superstructure. Le réseau des idéologues sécuritaires s’organise lui-même autour de contradictions internes. Présentées comme des oppositions théoriques, tactiques ou stratégiques, elles révèlent en fait l’alignement des bandes d’idéologues sur certains secteurs industriels particuliers et qui parfois s’opposent.

Xavier Raufer résume les nouveaux pouvoirs des idéologues du contrôle :

“Aujourd’hui, ces criminologues parcourent le monde, participent aux rencontres internationales de niveau stratégique. Au cœur de la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, ils forgent des concepts nouveaux et globaux ; leurs analyses et études irriguent les centres de décision. Ils forment les analystes de ministères régaliens : Défense, Justice, Intérieur ; des cadres d’entreprises mondialisées ou d’organisations non-gouvernementales humanitaires, sachant ensuite élaborer des diagnostics sûrs.”

La bande à Bauer domine aussi parce qu’elle a su associer des réseaux de la gauche libérale (Rocard), de la droite atlantiste (Sarkozy) et de divers courants de l’extrême droite. Cet éventail de coopérations lui permet d’être écoutée dans les gouvernements quel que soit le résultat des élections et des remaniements. C’est un critère déterminant pour être au service des industries et de leurs systèmes financiers.
Mais ce qui assure in fine la domination de la bande à Bauer dans le champ de l’idéologie sécuritaire, c’est ce qu’elle vend et en particulier sa notion-marchandise principale, le décèlement précoce. Cette idée est l’exacte traduction des intérêts de marchés de la sécurité cherchant à se développer quand la demande reste faible ou inexistante. Il faut faire un long détour sur une affaire particulière – l’affaire Tarnac – pour bien comprendre son fonctionnement et ce qui se joue et se rejoue dans l’expérience sécuritaire. »

Météo

jeudi 9 décembre 2010 :: Permalien

Dessin de Gil

« Bienvenue dans le monde des vivants »

mardi 7 décembre 2010 :: Permalien

Inflammable, le nouveau spectacle de Jolie Môme

La première fois que j’ai vu Jolie Môme sur scène, c’était en 1998 au théâtre de l’Épée de bois. La troupe jouait La Mère de Brecht. Je les ai revus quelques semaines plus tard en plein cœur du Paris touristique : ils chantaient à place des Vosges, grands drapeaux rouges au vent, ça ne laisse pas indifférent… On croise les comédiens de Jolie Môme dans presque toutes les manifestations et fêtes politiques ou syndicales. En 2003, durant le mouvement des intermittents, ils étaient incontournables. Comédiens et militants, ils pratiquent un théâtre d’intervention accessible à tous. Le spectacle proposé en cette fin 2010 est un bon cru. La troupe adapte le texte de Thierry Gatinet, un auteur dionysien d’expression prolétarienne. Si vous avez aimé Les Vivants et les Morts de Mordillat, cette pièce vous plaira puisqu’elle raconte la longue occupation d’une usine qui fait moult profits mais décide de délocaliser pour accroître encore la rentabilité. Les ouvriers s’organisent, découvrent les solidarités et l’intensité des périodes de lutte, font sauter une citerne de solvants et arrachent finalement un protocole de fin de grève assez favorable. Une pièce qui apporte une pierre supplémentaire à la reconstitution d’une culture de classe.
Du jeudi au dimanche, jusqu’au 19 décembre, à la Belle-Étoile, Saint-Denis, 01 49 98 39 20.

Les Conti gonflés à bloc

Depuis peu, Xavier Mathieu s’essaye avec succès au théâtre puisqu’il joue – dans la pièce recensée plus haut – le rôle d’Hubert, l’ouvrier le plus déterminé de l’usine occupée. Il incarne en quelque sorte son propre rôle. On s’en convaincra en visionnant Les Conti gonflés à bloc, un long reportage de Philippe Clatot qui revient sur les quatorze mois de lutte acharnée des emblématiques « Conti » de Clairoix. Le film –autoproduit et autodiffusé – restitue l’atmosphère houleuse des AGS, la mise en place progressive d’un comité de lutte qui dépasse rapidement les clivages syndicaux, les espoirs et les nombreux doutes de la grosse poignée de militants qui ne se découragèrent jamais et arrachèrent – pour l’ensemble des 1 120 employés – un accord largement supérieur à celui promis initialement par le patron voyou. La lutte des Conti n’est pas achevée puisque peu nombreux sont ceux qui ont retrouvé du boulot ou même obtenu une formation qualifiante.
Pour se procurer ce film : http://lesfilmeursproduction.com

L’Action directe d’Émile Pouget (Agone)

Signe des temps, Pouget est réédité par de nombreux éditeurs. Dans ce nouvel opus de la collection Mémoires sociales (Agone), ce n’est pas du pamphlétaire anarchiste du Père Peinard dont il est question, mais bien du théoricien syndicaliste issu de la fédération du Sud-Est des Employés, secrétaire adjoint de la CGT et directeur de La Voix du peuple. Pouget a été l’un des principaux artisans de la longue campagne victorieuse pour la journée de huit heures. On lui doit l’esprit de la charte d’Amiens (1906), à savoir l’indépendance statutaire à l’égard de toute école politique et la conception de la double « besogne syndicale » (l’œuvre présente et l’élaboration de l’avenir). Les quatre brochures reproduites ici, remarquablement présentées et annotées par Miguel Chueca, ont été rédigées entre 1903 et 1910. Pouget – dont la langue a vieilli – pose les principes doctrinaux du syndicalisme révolutionnaire : division de la société en deux classes antagonistes, nécessité de l’organisation syndicale, action directe comme seul moyen efficace. Il présente les diverses modalités de lutte : sabotage, boycott et label syndical, et surtout grève générale émancipatrice. On ne s’épanchera pas sur le naufrage patriotique de l’ancien gniaff (cordonnier) durant la Première Guerre mondiale. On retiendra que s’il n’est pas nécessaire d’avoir lu Pouget pour animer les luttes d’aujourd’hui, sa pensée – reformulée – peut nous aider à construire le syndicalisme de demain.

N.N.

Les derniers de la classe (ouvrière)

jeudi 18 novembre 2010 :: Permalien

Mathieu Rigouste est un jeune sociologue rattaché à l’université de Paris-VIII, auteur de L’Ennemi intérieur (La Découverte). Pour Libertalia, il prépare actuellement un ouvrage sur le thème des « marchands de peur ». Cet article a été initialement rédigé pour Le Chat du 9.3, le bulletin du syndicat CNT-éducation 93.

Les derniers de la classe (ouvrière).

Depuis le mouvement contre le CPE, les mobilisations des lycées des quartiers populaires font face à une répression féroce et bien supérieure à celle que subissent les lycées des quartiers privilégiés. Au cours du mouvement contre la réforme des retraites, des déploiements policiers massifs y ont provoqué des affrontements prévisibles. Des jeunes ont été insultés, chargés, parfois frappés, par dizaines gardés à vue et pour certains inculpés. Aux abords du lycée Jean-Jaurès de Montreuil, la police a tiré dans la foule, un lycéen a perdu l’usage d’un œil.

Les « polices de maintien de l’ordre » savent ajuster leur violence et leur présence au statut social de leurs « publics » selon ce qu’elles recherchent. Elles n’agissent pas de la sorte devant le lycée Henri IV, au cœur de Paris. La violence policière s’est manifestée à la manière dont elle se manifeste en général dans les quartiers populaires, en provoquant des désordres gérables, c’est-à-dire susceptibles d’alimenter les marchés politiques et économiques de la répression mais sans non plus dégénérer. La police a employé une technique qu’on retrouve d’ailleurs dans d’autres institutions : sanctionner et bannir les derniers de la classe et les indisciplinés, faire le tri entre les bons et les mauvais élèves.

Une grande partie des lycéens des quartiers populaires navigue au bord de la relégation totale. À Nanterre, Montreuil, comme à Lyon ou à Toulouse, les franges les plus dominées de la jeunesse – les derniers de la classe ouvrière – se sont mêlées à des formes conventionnelles de manifestation et de revendication et à des formes d’action directe, de blocage et de sabotage. Ils y ont reconnu un lieu pour exprimer leur colère. Ce cocktail de rage et d’organisation menaçait de devenir ingouvernable. Voilà en partie ce qui explique la férocité de la répression à l’encontre des lycées de quartiers populaires. Une société inégalitaire a besoin d’écoles de sélection et de soumission, tandis que la grève et la lutte sont des écoles de libération.

Mathieu Rigouste