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Le jeu Antifa de retour à la Fnac dans Télérama

mercredi 30 novembre 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Télérama, le 30 novembre 2022.

Le jeu « Antifa » de retour à la Fnac : l’éditeur du jeu raconte un « terrifiant bad buzz »

Quarante-huit heures après l’avoir retiré de la vente à la suite de tweets d’un député RN et d’un syndicat policier qui pointaient sa prétendue violence, la Fnac a fait volte-face. L’éditeur du jeu, Nicolas Norrito, s’en félicite… mais surtout s’inquiète de ce dont cette lamentable histoire est le signe.

Le revirement est spectaculaire : alors que, dimanche, la Fnac avait précipitamment retiré de la vente Antifa, le jeu militant antifasciste, elle continuera finalement de le commercialiser. Pendant le week-end, des tweets du député du Rassemblement national Grégoire de Fournas (récemment sanctionné pour des propos racistes à l’Assemblée nationale), puis du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), l’avaient interpellée sur le caractère prétendument « haineux » d’Antifa.

Mais mardi 29 novembre, en fin de journée, l’enseigne de biens culturels (qui n’a pas répondu favorablement à nos demandes d’interview) a expliqué dans un communiqué qu’après « avoir pris le temps d’analyser en profondeur le contenu du jeu », elle avait constaté qu’il ne « comportait rien de nature à justifier un refus de le commercialiser »… Rappelant au passage « l’esprit de liberté et de diversité » qui, selon elle, la caractérise. « N’aurait-elle pu commencer par procéder à ces vérifications avant de faire allégeance à l’extrême droite la plus crasse ? » demande Nicolas Norrito, fondateur de la librairie Libertalia, à Montreuil (93) et éditeur d’Antifa. De fait, le descriptif des règles du jeu qu’avait tweeté Grégoire de Fournas, sur lequel s’était basé le SCPN pour monter au créneau, puis la Fnac elle-même pour prendre sa décision, était, ni plus ni moins, faux… Une « fake news » caractérisée, estime Nicolas Norrito.

La Fnac vous a appelé mardi soir pour vous annoncer que deux jours après avoir décidé le retrait d’Antifa, elle revenait sur sa décision. Quelle a été votre réaction ?

C’est pour nous une victoire. Sans triomphalisme, mais tout de même : Grégoire de Fournas et le RN n’auront pas eu le dernier mot dans cette histoire hallucinante. Pour la Fnac, qui ne s’était jusque-là jamais donné la peine de nous contacter, ni même de répondre à Harmonia Mundi (le distributeur d’Antifa) malgré ses appels répétés, c’est au contraire un sacré fiasco, un terrifiant « bad buzz », à quelques semaines de Noël. J’aurais apprécié qu’elle nous présente des excuses, des regrets, ou ne serait-ce que des explications… Mais elle ne s’est en rien justifiée, hormis dans un communiqué laconique. Alors qu’il y a quelques jours encore elle recommandait Antifa sur son site Internet, le présentant comme un vrai jeu politique, elle a soudain perdu la boussole, voulant nous faire disparaître, nous, les pas « politiquement corrects », en portant allégeance à la droite la plus réactionnaire. Elle a perdu sur toute la ligne tandis que, de notre côté, nous sommes maintenant assaillis de demandes : une troisième édition d’Antifa doit être diffusée en janvier. La première, tirée à 4 000 exemplaires en octobre 2021, s’était déjà vendue en un mois, et la seconde est elle aussi désormais épuisée.

En quoi ce jeu a-t-il pu prêter le flanc aux attaques de ces députés RN et du SCPN ?

Il s’agit d’un jeu somme toute ordinaire, même s’il est idéologique, et forcément militant puisqu’il est le fruit d’années de militantisme bien réelles. Antifa est né d’une expérience de plus de vingt ans de luttes antifascistes, avec toutes les situations qui peuvent s’y présenter, déclinées en autant de situations de jeu : « Des ultraréacs organisent une manif homophobe « Un jeune du quartier des Mimosas tué par la police »« Une conférence négationniste est annoncée sur les réseaux »« Une salle de prière musulmane a été dégradée »« Des cathos tradis mobilisés contre l’IVG », etc. À ces situations, le joueur est invité à réagir, mais avec des moyens légaux à sa disposition : fabriquer une banderole pour une manif ou un rassemblement, utiliser les réseaux sociaux, organiser une réunion unitaire, prendre la parole dans une radio associative… En aucun cas il ne s’agit de « tabasser un militant de droite » ou de « lancer un cocktail Molotov sur les CRS », comme l’a écrit Grégoire de Fournas dans son tweet : une fake news caractérisée. Qu’il a d’ailleurs admise, reconnaissant qu’il n’avait jamais ouvert le jeu et prétendant que les gens n’avaient pas compris qu’il n’en faisait qu’une caricature, que son tweet se voulait « ironique » !
Le problème est que ni le SCPN, monté ensuite au créneau, ni la Fnac elle-même, qui leur a emboîté le pas en prenant finalement une décision aussi arbitraire, n’ont eux non plus pris la peine de vérifier si ces accusations correspondaient à la réalité. Tout comme Cyril Hanouna, lundi soir, dans TPMP, qui a fait voter son public, lui demandant s’il fallait ou non censurer Antifa : 77 % des gens se sont prononcés pour son interdiction, alors qu’ils ne l’avaient jamais ouvert, pas plus que lui ! Ignoble. Mais surtout, hallucinant. Ces assertions, à la fois définitives et fondées sur un vide sidéral, c’est cela qui est le plus terrifiant.

Qu’y voyez-vous au fond ?
Un signal alarmant. À la fois de la vacuité de notre société, agitée par des pitres répugnants, et de sa violence latente… qui peut très vite se débrider et l’emporter aveuglément, comme la décision de la Fnac l’a montré avant de rétropédaler aussi piteusement. Entendons-nous bien. Je ne suis pas moi-même un pacifiste. À la tête de ma librairie et de ma maison d’édition libertaires, je suis un activiste, dont les valeurs cardinales sont la liberté et l’émancipation. Mon panthéon intellectuel et militant, c’est l’Espagne antifasciste de 1936. Mais je ne fais pas n’importe quoi. Mon arme, ce ne sont pas les fake news, c’est le livre. Dont le jeu est une extension. J’ai beaucoup milité, manifesté, et aujourd’hui je veux armer les esprits, échanger, produire du débat. Dans cette histoire, on a finalement gagné, la situation s’est rétablie in extremis et on a sauvé l’essentiel. Mais jusqu’à quand ? Le vieux modèle social-démocrate ne cesse de se déliter, les idées nauséabondes continuent partout de progresser. Le danger fasciste, cette fois esquivé, n’a été, on peut le craindre, que différé.