Le blog des éditions Libertalia

La Capitana

vendredi 14 décembre 2012 :: Permalien

La Capitana.
Elsa Osorio,
traduit par François Gaudry,
éditions Métailié, 2012, 20 €.

Sur la première de couverture, une photo en noir et blanc de Gerda Taro et ce titre énigmatique en espagnol : La Capitana. Pas facile de comprendre qu’il s’agit là du livre attendu de l’auteure argentine Elsa Osorio (née en 1953), adaptation romancée de la vie de la militante communiste oppositionnelle Mika Etchebéhère (1902-1992), seule femme à avoir commandé une colonne – du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) – durant la Révolution espagnole.

Elsa Osorio explique sa démarche en postface : c’est en 1986 qu’elle entend parler pour la toute première fois de sa compatriote Micaela Feldman, dite Mika. Celle-ci est encore en vie et réside à Paris. Mais hasard du destin, la romancière ne la rencontrera jamais. Elle lit néanmoins le récit autobiographique Ma Guerre d’Espagne à moi (édité en 1975 par Denoël, réédité en 1998 dans la collection « Babel Révolution » d’Actes Sud). Puis, pendant vingt ans, Elsa Osorio accumule la documentation (témoignages, correspondance) et marche sur les traces de son héroïne. Elle passe enfin à la rédaction en 2007.

Le résultat est entre nos mains, probant, passionnant, précis, émouvant sans sombrer dans le pathos. Dans le genre, une réussite. Elsa Osorio répond aux exigences de la narration et rend justice à Mika Etchébèhere. Qui était-elle, d’ailleurs, cette combattante trop souvent occultée par son mari ?

Elle est née en 1902 à Moisés Ville (province de Santa Fe, Argentine), une communauté fondée par des Juifs de l’Est rescapés des pogroms. Très jeune, elle rencontre Hyppolyte Etchebéhère, compagnon d’amour et de luttes. Ensemble, ils fondent une revue, s’enthousiasment pour la Révolution russe avant d’en percevoir les limites et d’embrasser la dissidence trotskiste. Ils vivent à Berlin quand les nazis prennent le pouvoir (lire 1933. La Tragédie du prolétariat allemand, par Juan Rustico, pseudonyme d’H. Etchebéhère, Spartacus, dernière édition, 1993). Dès l’annonce du pronunciamento franquiste, le couple de militants internationalistes se rend en Espagne. Hyppolyte prend la tête d’une colonne du POUM, est abattu sur le front de Sigüenza en août 1936. Sa compagne reprend le commandement, s’impose en tant que femme et officier à la tête d’une colonne d’hommes non exempts de comportements machistes. Arrêtée par les tchékistes au printemps 1937, elle échappe à l’exécution sommaire grâce à l’intervention de son ami Cipriano Mera, le général de la CNT (lire Cipriano Mera Sanz, 1897-1975 : de la guerre à l’exil, Clément Magnier ; éditions CNT-RP, 2011). Le reste de son existence est décrit de façon elliptique : la joie que ressent la vieille dame lors du mouvement de Mai 68 ; son amitié avec le surréaliste Guy Prévan ; les dernières années en région parisienne. Il y a de fortes pages et du souffle dans ce récit où l’on croise René Lefeuvre, Kurt Landau, Alfred et Marguerite Rosmer, André Breton et qui rappelle invariablement le récit Nous cheminons ensemble entourés de fantômes aux fronts troués de Jean-François Vilar (Le Seuil, 1993).

Nicolas Norrito