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Entrer en pédagogie féministe dans Le Monde

samedi 2 septembre 2023 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde du 2 septembre 2023.

Le foot pour les garçons (et la possession de la cour de récréation avec), la danse et les conciliabules dans un coin pour les filles. Quoi de plus « naturel » ? De même, n’est-ce pas la modestie innée des filles et leur goût du rangement qui les font se précipiter pour ramasser lorsque, dans la classe, un objet tombe ? Quant au jeu innocent consistant à « attraper les filles », n’est-il pas conforme au besoin masculin de s’affirmer ?
Avec leur livre Entrer en pédagogie féministe, c’est contre la force insidieuse de ces comportements stéréotypés et socialement construits que se battent Véronique Decker, ex-directrice d’école à la retraite, et Audrey Chenu, professeure des écoles en exercice. Ces militantes pédagogiques tendance Freinet ont travaillé ensemble durant huit ans à l’école Marie-Curie de Bobigny. À la fois journal de bord de leur combat féministe et exhortation à le rejoindre, leur livre, par son ancrage dans le réel et son ton posé, marque la production éditoriale de cette rentrée scolaire.
Les signes et les gestes de la domination masculine sont précoces, nombreux, imprègnent les mentalités aussi bien dans les familles que dans le cadre scolaire. La norme inégalitaire peut aussi être inconsciemment reproduite par le personnel enseignant, ne serait-ce qu’en laissant faire. C’est pourquoi, affirment-elles, « le premier acte de l’éducation féministe » est l’attention à ne pas agir « naturellement », l’objectif étant d’appréhender pour la modifier « une situation d’aliénation des femmes héritée des générations précédentes ». Cette modification passe au jour le jour par un ensemble de microdécisions et de stratégies subtiles, dans la conduite de la classe, la réception de la parole des élèves, la manière de poser fermement certaines limites…
Ces stratégies, qu’elles décrivent, s’appuient sur les principes officiels de l’égalité entre les hommes et les femmes, et sur les programmes et dispositifs pédagogiques existants. C’est notamment le cas en matière d’éducation à la sexualité, souvent en butte à la méfiance des familles, alors même qu’elle est une protection contre les violences : « Plus c’est tabou, plus les victimes se taisent, plus les coupables paradent », remarquent les autrices, attachées en ce domaine comme en d’autres à l’idée de « convaincre sans vaincre ». Soucieuses de ne pas pratiquer une radicalité de pure posture, elles incluent dans leur panoplie d’action la constitution délibérée de groupes non mixtes dans certaines activités et sur certaines plages horaires, afin de compenser la pression spontanément inégalitaire ou sexiste.

Luc Cédelle