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Une belle grève de femmes sur Bibliothèque Fahrenheit 451

jeudi 1er juin 2023 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur Fahrenheit 451, le 30 mai 2023.

Hiver 1924. Pendant plus de six semaines, deux mille ouvrières des conserveries de sardines de Douarnenez vont battre le pavé en sabot, réclamant une augmentation de salaire. Anne Crignon raconte « cette épopée sociale et victorieuse ».
Elle décrit leurs conditions de travail : loi de 1919 qui fixe à huit heures la journée d’usine non respectée, pas plus que la limite à soixante-douze heures par semaines, les heures d’attentes non payées et les heures de nuit au même tarif que le jour, soit quatre-vingt centimes de l’heure, les enfants qui travaillent dès huit ans pour « gagner les sous qui manquent », alors que légalement elles devraient attendre douze. Les différents postes sont présentés, dans toute leur dureté. Les chants, entonnés parfois par cent femmes, constituent « un exutoire à la rancune », jusqu’à ce que surgisse l’idée de « tout arrêter. Tout arrêter, oui, tant qu’on n’a pas vingt sous de plus. Faire passer l’heure à un franc. Un franc ! Voilà l’horizon ! Entre sardinières, on ne parle plus que de ça ». Puis la grève éclate le 21 novembre et se propage, comme en 1905, quand leurs mère et leurs grands-mères ont réclamé (et obtenu) de n’être plus payées au mille mais à l’heure. Elles vont être soutenus par le maire, Daniel Le Flanchec, tout premier maire communiste de France, accueillant dans la salle du conseil les réunions quotidiennes du comité de grève. Le jeune Charles Tillon, futur cofondateur des FTP, responsable de la CGTU en Bretagne, et Lucie Coillard, responsable du travail des femmes au syndicat, vont séjourner tout le temps du conflit à Douarnenez. Pendant des semaines, les patrons vont s’obstiner à refuser toutes négociations, toutes tentatives de conciliation et finir par consentir à ce que le ministre du Travail, Justin Godart, entende les deux partis, séparément. Face à leur « exaspérante impassibilité », celui-ci finira tout de même par lâcher : « Vos patrons sont des brutes et des sauvages. » Cependant, avant de rentrer, les trois patrons de la délégation se rendent au siège d’un syndicat affilié au Comité des forges et qui propose la location de briseurs de grèves.
La médiatisation du conflit permet de collecter des soutiens financiers dans tout le pays. Une dizaine d’hommes vont finir par débarquer, distribuant L’Aurore syndicale, la feuille de propagande patronale, dans les boîtes aux lettres, tentant de soudoyer quelques-uns pour qu’elles reprennent le travail. Le 31 décembre, au cours d’une altercation, ils font feu et blessent à la gorge Le Flanchec et son neveu à la tête. Après des semaines de manifestations dans le calme, la colère éclate. La responsabilité des commanditaires est flagrante ; ils acceptent dès lors l’ouverture de négociations pour enterrer l’affaire, puis, tout aussi rapidement, toutes les revendications, qui ne sont avant tout que le respect des lois sociales existantes. Malgré les preuves accablantes, un non-lieu sera prononcé dans l’enquête contre leurs mercenaires.


Pour nourrir son récit, Anne Crignon a puisé dans tous les ouvrages évoquant ce mouvement. Elle rapporte nombre d’anecdotes, comme la venue de Zola dans le Finistère qui cherchait un décor pour un tome des Rougon-Macquart, avant de se décider pour les terrils du Nord et d’écrire Germinal. Beaucoup de paroles d’ouvrières sont reprises. Autant que possible, elle donne des noms et des visages à ces femmes anonymes, épluchant également la presse de l’époque.

Anne Crignon montre comment les expériences sociales sont le terreau de toute culture politique. En relatant cet épisode oublié de l’histoire sociale, elle souligne son caractère profondément féministe et nourrit les luttes d’aujourd’hui, mission essentielle. Sans l’attendre, la chanson Penn Sardin, écrite par Claude Michel, fut d’ailleurs reprise et actualisée pendant le mouvement des Gilets jaunes.

Ernest London