Le blog des éditions Libertalia

Michèle Audin (1954-2025)

samedi 15 novembre 2025 :: Permalien

Photo Francesca Mantovani, 2017 © Gallimard.

J’ai rencontré Michèle Audin au printemps 2017, au moment de la réédition des Souvenirs d’une morte vivante, de Victorine Brocher. Elle avait identifié un souci dans le livre : dès l’édition de 1909, il manquait une page et, génération après génération, on avait tous reproduit le même texte fautif. Elle était comme cela, Michèle, précise et minutieuse.
Elle avait alors 64 ans. Jeune et fringante retraitée de l’enseignement supérieur, après une brillante carrière de mathématicienne, elle se consacrait pleinement à un roman à paraître sur la Commune de Paris, Comme une rivière bleue (Gallimard, automne 2017). Elle avait acquis une documentation colossale sur les communard·es, son érudition était stupéfiante.
Ensemble, nous avons publié cinq livres. Le premier, elle l’a consacré à Eugène Varlin. Elle avait une tendresse particulière pour le jeune relieur internationaliste fauché par les versaillais à l’âge de 33 ans. Elle le trouvait beau, christique, épatant d’abnégation et de courage militant.
Elle a ensuite rédigé une monographie d’Alix Payen, une ambulancière de la Commune oubliée. Elle décidait tout le temps des titres de nos livres et avait choisi celui-ci, superbe : C’est la nuit surtout que le combat devient furieux.
En 2021, pour le 150e anniversaire de la Commune, Michèle a publié La Semaine sanglante. Légendes et comptes. Peut-être son livre le plus important depuis Une vie brève (Gallimard, 2013), petit roman dédié à son père, le mathématicien Maurice Audin, assassiné en 1957 en Algérie par l’armée française. Pour La Semaine sanglante, elle a consulté les registres des cimetières, croisé toutes les archives, analysé tous les écrits afin de dénombrer les victimes de la répression versaillaise. Son combat, c’était de rendre hommage aux humbles, au petit peuple de Paris, aux morts sans sépulture, à celles et à ceux qui ne figurent pas dans les manuels. Un an plus tard, en 2022, pour parfaire ce travail, nous avons réédité La Semaine de Mai (1880), de Camille Pelletan, dans une version largement augmentée.
C’est vers ce moment-là que je lui ai demandé de s’intéresser à Flora Tristan (1803-1844). Elle la connaissait peu. Comme à son habitude, elle s’est plongée pleinement dans le sujet, et ensemble nous avons réédité Autour de la France, un manuscrit d’un million de signes dans lequel tout est sourcé et recoupé.
Le 28 mai dernier, dans la perspective de l’ouverture de notre deuxième librairie, je lui ai fait une ultime proposition : je souhaitais qu’elle écrive une histoire de la Maison des Métallos et de la rue d’Angoulême, devenue rue Jean-Pierre Timbaud ; qu’elle nous raconte l’histoire de celles et ceux qui avaient vibré en ces lieux. Las, déjà malade, ne pouvant plus se déplacer (elle qui aimait tant crapahuter), elle a décliné.
Michèle mon amie, tu vas me manquer. J’aimais ta rectitude, ton petit côté autoritaire dans le boulot, ta franchise sans détour, ta joie également car tu riais tout le temps. Tu meurs trop tôt et c’est une mauvaise nouvelle pour notre camp. Nous tâcherons de poursuivre tes combats pour la vérité, la justice et l’émancipation.

Nicolas Norrito