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La Révolution russe dans Zones subversives

jeudi 16 novembre 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

À propos de Voline et de La Révolution russe, Zones subversives, 22 juillet 2017.

Une histoire de la révolution russe

La révolution russe reste un des moments majeurs de l’histoire. Mais cette révolte sociale spontanée sombre rapidement dans l’autoritarisme bureaucratique.
 
La Révolution russe reste un mouvement historique d’émancipation. Mais cette révolte spontanée est associée au régime totalitaire de l’URSS. Ce sont pourtant les classes populaires qui participent à la révolte. Le courant libertaire semble influent pendant la révolution russe. Des figures comme Voline, anarchiste russe, ont été oubliées et restent méconnues du grand public. Son parcours incarne les idées libertaires et l’histoire des révoltes en Russie. Voline retrace son témoignage subjectif dans le livre La Révolution russe. Histoire critique et vécue.
L’historien Charles Jacquier présente le parcours de l’anarchiste. Voline est membre du Parti socialiste-révolutionnaire. Il participe à la révolte de 1905-1906. Il est emprisonné et déporté en Sibérie. Mais il s’évade pour rejoindre la France. Il fréquente alors les milieux libertaires et devient anarchiste. Il retourne en Russie en 1917. Le pays est encore en ébullition. Il s’occupe d’un journal de propagande anarcho-syndicaliste. En 1919, il rejoint les partisans de Nestor Makhno en Ukraine. Il est arrêté en 1920 et banni d’URSS.
En 1925, Voline rejoint la France. Il participe aux débats qui agitent l’anarchisme et écrit dans différents journaux. Il ne cesse de critiquer le bolchevisme et le régime de l’URSS. Il valorise au contraire l’écrivain Panaït Istrati et sa critique implacable. Selon Voline, la révolution passe par la destruction de l’État, du gouvernement et toute forme d’autorité. Les écrits posthumes de Voline sont publiés dans un livre volumineux : La Révolution inconnue.

Révoltes contre la monarchie

La révolution russe s’inscrit dans une histoire longue de révoltes populaires. Au XIXe siècle, la Russie devient un régime de monarchie absolue et absurde. Le tsar autocrate s’appuie sur une aristocratie militaire et foncière, sur un clergé nombreux et sur une masse paysanne soumise. La société reste inégalitaire voire féodale. L’aristocratie et la bureaucratie dominent. Les nombreux paysans subissent l’esclavage. Les marchands, les commerçants et les fonctionnaires composent les couches moyennes.
Des révoltes paysannes spontanées éclatent. Elles ébranlent sérieusement le régime tsariste, mais elles ne visent pas en renverser le système social. Ensuite, le tsar n’est pas perçu comme un ennemi par les paysans. Une véritable « légende du tsar » s’impose pour permettre la soumission de la population.
En 1860, les paysans deviennent libres. Mais ils disposent de peu de terres et sont condamnés à vivre dans la misère. Dans les années 1870, une jeunesse intellectuelle tente de porter la lumière aux masses travailleuses et appelle à la révolte. Mais ces propagandistes subissent une forte répression. L’assassinat du tsar en 1881 ne permet pas de réveiller les masses populaires et provoque au contraire un renforcement de l’État policier.
Les idées marxistes se diffusent en Russie. L’industrialisation du pays permet l’émergence d’une classe ouvrière. Dans les années 1900-1905, les étudiants et les ouvriers multiplient les manifestations sur les places publiques. Mais la majorité de la population reste encore indifférente à cette agitation.
Pour canaliser la colère ouvrière, le régime fait confiance à Gapone. Il crée des sections ouvrières. Seuls les intérêts économiques peuvent y être défendus. En revanche, les revendications politiques sont absentes. Mais Gapone, en bon démagogue, soutient tous les désirs des ouvriers. Il doit même accompagner leur mécontentement et leur décision de faire grève. En 1904, il est même obligé de soutenir une grève générale dans tout Saint-Pétersbourg.
En 1905, les ouvriers veulent organiser une marche et porter leurs revendications auprès du tsar. Sous l’influence des révolutionnaires, les ouvriers demandent l’ouverture de libertés publiques et même la suppression du régime. « On s’y adressait très loyalement au tsar, et on lui demandait ni plus ni moins que d’autoriser – même d’accomplir – une révolution fondamentale qui, en fin de compte, supprimerait son pouvoir », décrit Voline.
Mais le tsar refuse que la manifestation s’approche du Palais d’Hiver. La police ouvre le feu sur la foule. La protestation est écrasée dans le sang. Cette répression révèle la véritable nature du régime. La légende du tsar disparaît. Surtout, une vague de grève spontanée éclate à Saint-Pétersbourg. « Elle ne fut déclenchée par aucun parti, voire par aucun comité de grève », précise Voline.
Dans ce mouvement spontané surgissent les soviets. Un Conseil des délégués ouvriers est créé pour prendre en main la direction de la grève et de la suite du mouvement. En octobre 1905, les nombreux comités de grève déclenchent un grand mouvement. Mais le tsar emprunte l’argent nécessaire pour réprimer cette révolte. Toutefois, l’influence des idées révolutionnaires ne cesse de se répandre.

La révolution de 1917 

En 1917, la guerre favorise la misère. Des manifestations défilent dans les rue pour réclamer du pain. Les militaires restent neutres et n’attaquent pas les manifestations qui se sentent encouragées. « Vive la révolution ! À bas le tsarisme », devient un cri qui se répand. Les drapeaux rouges flottent sur les manifestations. Le tsar ne tient plus ses troupes et ne peut plus réprimer la révolte. L’armée empêche même la police d’écraser les manifestations. Un gouvernement provisoire est nommé. Tous les militants révolutionnaires sont alors à l’étranger. C’est uniquement après la révolution de février 1917 qu’ils reviennent en Russie.
Le gouvernement provisoire comprend surtout des bourgeois modérés. Ils veulent une monarchie constitutionnelle. Mais ils ne prennent pas en compte le problème agraire et la question ouvrière. Les soviets se recréent. Un nouveau gouvernement, dirigé par Kerenski, est censé prendre en compte les revendications sociales. Mais il échoue. En revanche, le parti bolchevique de Lénine développe une propagande qui promet la fin de la guerre et de la misère. Ce parti devient influent dans les soviets.
Le bolchevisme reste beaucoup plus influent que les idées libertaires. Surtout, ce parti n’hésite pas à jouer sur la manipulation et l’ambiguïté de ses mots d’ordre. Il valorise la révolution sociale, avec l’appropriation des terres et des usines. Les classes populaires comprennent ces mots d’ordre dans un sens libertaire de réappropriation par elles-mêmes de la production et de la vie. Mais les bolcheviques ne mettent pas encore en avant l’État comme propriétaire des collectivisations.
L’insurrection d’octobre 1917 n’est qu’une farce. Les bolcheviques entrent dans un palais d’Hiver déjà vide. Kerenski et son gouvernement ont quitté les lieux. Mais Lénine valorise son action comme héroïque. En revanche, la révolution russe doit faire face à de véritables forces contre-révolutionnaires financées par les pays étrangers qui craignent une propagation de l’insurrection.
Lénine et les bolcheviques imposent un État centralisé et autoritaire. Le gouvernement s’approprie les usines, les moyens de production, de consommation, de communication. La spontanéité auto-organisée des soviets est écrasée au profit d’un État autoritaire. Le pouvoir étatise les organisations ouvrières, renforce la police et diminue la liberté d’expression. « Ce fut le gouvernement qui usurpa le droit d’initiative, d’organisation technique, d’administration, de direction, dans tous les domaines de l’activité humaine », décrit Voline. La tentative de révolution sociale qui s’appuie sur un État et un gouvernement ne peut déboucher que vers un capitalisme d’État.
Mais le prolétariat se révolte contre le pouvoir des bolcheviks. La révolte des marins de Cronstadt dénonce un État qui ne parvient pas à endiguer la misère. Leur soulèvement est brutalement écrasé par l’Armée rouge. Un autre grand mouvement révolutionnaire anti-bolchevik éclate en Ukraine. Mais Voline n’évoque pas les autres soviets, qui ne sont pas dirigés par des anarchistes. La spontanéité et la liberté doivent guider la révolution sociale, contre toutes les avant-gardes. « Faisant leur vraie révolution, les masses n’ont aucun besoin d’un parti politique, d’élites gouvernantes ou dirigeantes, etc. », souligne Voline.

L’analyse d’un échec révolutionnaire

Le livre de Voline propose surtout un témoignage indispensable. Il a directement vécu les événements qu’il décrit. Il propose un regard de l’intérieur. L’anarchiste observe bien les forces de la révolution. Ce mouvement populaire s’appuie sur une spontanéité importante. Les soviets et conseils ouvriers surgissent de la révolution elle-même. Les révoltés peuvent alors librement agir et s’organiser sans subir le moindre encadrement. Cette démarche s’oppose d’ailleurs à l’anarcho-syndicalisme, défendu par Voline, qui insiste sur le carcan de l’organisation libertaire pour encadrer la révolte.
Ce témoignage historique permet de briser la mythologie selon laquelle la révolution russe serait l’initiative des bolcheviques. La bande à Lénine n’est qu’un repère de clowns complètement dépassés par les événements. Ils sont même absents de Russie pendant le premier soulèvement de février 1917. Les ouvriers et les paysans s’organisent par eux-mêmes. Ils n’ont pas besoin de suivre les directives de la moindre avant-garde ou secte marxiste pour balayer le régime du tsar.
Voline propose des descriptions éclairantes, mais il ne propose aucune véritable analyse sur l’échec de ces révoltes. Sur le mouvement de 1905, il montre bien la naïveté de la population qui demande au tsar de renverser la monarchie. Les manifestations pacifistes ne sont pas du tout préparées à la brutale répression. En ce qui concerne la révolution de 1917, Voline se contente de dénoncer les manipulations des bolcheviks. Cette critique est importante, mais semble insuffisante pour expliquer l’échec d’un mouvement révolutionnaire.
Voline n’évoque pas l’impuissance des anarchistes. Il considère que ce courant reste beaucoup trop minoritaire pour peser sur les événements. Il existe pourtant un Parti socialiste-révolutionnaire, proche des idées libertaires. Mais ce courant peut également être traversé par des débats et des contradictions. Néanmoins, la révolution montre également la vacuité du courant libertaire. Les pratiques d’auto-organisation et la création des soviets ne proviennent pas d’une influence idéologique mais de la créativité des prolétaires en lutte.
Voline revient longuement sur ce qu’il considère comme l’unique raison de l’échec de la révolution : le bolchevisme. L’anarchiste propose une indispensable critique du marxisme-léninisme. Dans notre époque confusionniste, les trotskistes en perte de vitesse veulent se refaire une virginité libertaire et gomment leur responsabilité dans l’échec des révolutions. Il devient alors important de dénoncer le marxisme autoritaire qui continue d’irriguer les milieux intellectuels et militants de la gauche et du mouvement social.
En revanche, Voline se contente d’une dénonciation morale. Les bolcheviks sont réduits à des manipulateurs autoritaires. Ce qui est parfaitement juste. Il manque en revanche une analyse de classe de la bureaucratie. Il semble important de faire une critique de classe de la posture avant-gardiste. Des groupuscules marxistes et des sectes idéologiques prétendent encadrer voire guider les classes populaires et leurs révoltes. C’est cette démarche qui est à attaquer. Cette prétention provient d’une petite bourgeoisie intellectuelle, également appelée intelligentsia, qui compose l’essentiel du parti bolchevique. La bureaucratie devient ensuite la classe dirigeante du régime de l’URSS. La dénonciation morale doit donc s’accompagner une analyse de classe pour éviter de reproduire les mêmes échecs et attaquer les moindres tentatives bureaucratiques.
Voline n’évoque pas les contradictions qui traversent la population. La Russie de 1917 connaît une importante insurrection. Mais une grande partie de la population subit la misère et les conséquences de la guerre. Le désir de changement s’accompagne d’une volonté de retour à la stabilité. Les bolcheviques peuvent manipuler les soviets car ils savent saisir ces contradictions qui traversent les classes populaires dans un contexte difficile. Les bolcheviques, qui ne sont que des sociaux-démocrates radicalisés, sont particulièrement en phase avec les personnes qui craignent l’aventure révolutionnaire. Entre le désir de destruction de l’ordre existant et la volonté de retour à la normale, la démagogie bolchevique peut bien fonctionner. Les limites de la révolution proviennent donc également des révolutionnaires eux-mêmes.
Ce livre de Voline permet donc de présenter l’histoire longue d’un moment révolutionnaire particulièrement important. Mais le témoignage et la description doivent s’accompagner d’analyses et de réflexions pour éviter de reproduire les échecs des révolutions passées.