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L’École des réac-publicains, dans Le Monde

mardi 30 août 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Chronique parue dans Le Monde du dimanche 28/lundi 29 août 2016.

À l’école du conservatisme

Enseignant en collège à Mantes-la-Ville (Yvelines), Grégory Chambat est l’auteur d’un livre de combat qui restera un point de repère dans le débat politique français sur l’éducation. Son mérite est d’éclairer des tendances de fond souvent négligées dans la relation de l’actualité éducative.
Sous le titre polémique de L’École des réac-publicains, il donne la mesure de l’hégémonie intellectuelle acquise ces dernières dizaines d’années, selon un processus de conquête des esprits tel que l’avait théorisé en son temps Antonio Gramsci, par les courants conservateurs dans l’éducation. Leurs représentants, pour la plupart, récusent cette appellation tout comme celle de réactionnaires, mais pratiquent avec brio la guerre du vocabulaire en fustigeant le « pédagogisme », terme désormais banalisé sans avoir jamais été précisément défini.
S’agit-il de contrer les erreurs commises au nom de la pédagogie  ? Ou de condamner globalement les démarches professionnelles et les modes d’organisation susceptibles d’aider à démocratiser la réussite scolaire  ? Derrière le flou, la balance penche vers la deuxième option qui – les choix éducatifs étant indissolublement liés aux choix politiques – inscrit sous la bannière «  républicaine   » une bataille sans merci contre l’égalité, rebaptisée «  égalitarisme  ».
En inscrivant la détestation – et parfois la haine sans limite – de la pédagogie dans la durée historique, l’auteur confronte cruellement ses tenants – quelles que soient leurs étiquettes politiques revendiquées – à la réalité de leurs accointances idéologiques sur l’école.

Déploration et exaltation
Mélange de catastrophisme, de déploration du bas niveau des publics scolaires, d’exaltation de la discipline, de l’autorité, de la « haute culture », de la sélection des « meilleurs » et de moquerie envers la bienveillance éducative, le corpus argumentatif du conservatisme scolaire est ancien, terriblement répétitif et solidement ancré à droite, avec une attache particulière à l’extrême droite.
Grégory Chambat en parcourt exhaustivement les occurrences, sans cacher leur diversité mais avec une tendance, qui peut lui être reprochée, à juxtaposer les époques et les noms, et à placer ainsi tout le monde sur un même banc d’infamie. S’il était appliqué à l’extrême gauche, courant dont il intègre la grille de lecture, ce mode de traitement risquerait de ne pas marquer la différence entre Lutte ouvrière et Action directe.
Une autre réserve tient à sa façon d’opposer radicalement, sans faire de place aux paradoxes éducatifs, ce qu’il appelle la « pédagogie noire », traditionnelle et censée n’inculquer que la soumission, et la pédagogie « émancipatrice » ou « sociale », issue des pédagogues révolutionnaires liés au mouvement ouvrier, qui seule trouve grâce à ses yeux. Des nuances seraient là nécessaires, mais ce livre vigoureux n’en reste pas moins scrupuleux dans sa dimension informative, et inspiré par un réel souci de justice sociale.

Luc Cédelle