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Charles Martel et la bataille de Poitiers, sur Histoire pour tous

mercredi 20 mai 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension de Charles Martel et la bataille de Poitiers, de l’histoire au mythe identitaire sur le site Histoire pour tous (21 avril 2015).

Depuis les années 2000, la figure de Charles Martel et la bataille de Poitiers où en 732, il repousse avec son armée franque les troupes arabo-berbères d’Abd al-Rahmân, sont devenues un enjeu de mémoire et d’instrumentalisation du passé, notamment de la part de l’extrême droite française voire européenne. Souvenons du « Je suis Charlie Martel » prononcé par Jean-Marie Le Pen au lendemain du massacre de Charlie Hebdo. Deux historiens, William Blanc et Christophe Naudin, reviennent sur l’histoire de cette bataille et analysent son utilisation politique des origines à aujourd’hui. Ils livrent un essai historique complet et nécessaire montrant comment un événement a priori modeste, si ce n’est mineur, de l’histoire de France est devenu un mythe historiographique et identitaire.

De Médine à Poitiers

Le présent ouvrage se découpe en deux grandes parties. Si la seconde s’intéresse à la mémoire et au mythe de la bataille de Poitiers, la première partie aborde son histoire et son déroulement. À ce titre, les deux auteurs nous offrent un rigoureux exercice de synthèse sur cet événement. Car cette bataille demeure aujourd’hui fort mal connue jusqu’à sa date et son emplacement. En effet, si la date communément retenue est celle de 732, le doute subsiste entre 731 et 734. Quant à sa localisation, n’oublions jamais que les historiens anglais parlent traditionnellement de « The Battle of Tours ». Que dire alors des connaissances actuelles sur son exact déroulement ?
Pour autant, Blanc et Naudin n’ont pas cherché à fournir une nouvelle approche historique de la bataille mais à nous faire comprendre sa nature à la lueur des dernières recherches et à nous permettre d’appréhender sa véritable importance. Ce qui ne pouvait se faire qu’en la replaçant dans un contexte élargi, celui des relations entre l’Islam et les mondes chrétien, byzantin, franc ou encore perse. Leur essai débute ainsi plus d’un siècle avant la bataille de Poitiers, quand le prophète de l’Islam, Muhammad, décède à Médine en 632 et que débutent les conquêtes « islamiques ». Et il ne s’arrête pas non plus à la fin de ladite bataille. Car loin d’avoir arrêté une invasion, Charles Martel n’aurait fait que repousser une simple armée venue piller la Gaule. Le maire du palais ne stoppe d’ailleurs pas non plus ces pillages alors dirigés vers la Provence. Enfin, la démonstration des deux auteurs montrent qu’au delà de cet affrontement à l’impact aujourd’hui incontestablement fantasmé, les relations entre Islam, Francs et populations locales au VIIIe siècle ne sont pas celles d’un conflit permanent. Des alliances, qu’elles soient politiques, diplomatiques ou commerciales sont nouées et perdurent sans que le fait religieux – et donc une soi-disant islamisation forcée – n’intervienne rendant le célèbre Choc des civilisations de Samuel Huntington publié en 1996 hors propos.

L’instrumentalisation du passé : une pratique ancienne

Si la bataille de Poitiers n’a très certainement pas eu l’aura et l’importance que nous lui accordons aujourd’hui ; si Charles Martel n’a pas, comme nous l’entendons souvent, « arrêté les arabes à Poitiers », il n’en demeure pas moins que sa récente instrumentalisation par l’extrême droite est tout sauf un fait récent. Bien au contraire, l’utilisation du passé à des fins politiques (entre autre) est une pratique ancienne à laquelle la bataille de Poitiers et Charles Martel ne font pas exceptions. Reste néanmoins à savoir de quelle façon et dans quelle proportion. C’est à ces questions que se sont attachés les deux auteurs afin de livrer une étude approfondie en ne négligeant aucune source et en les analysant objectivement. De ce fait, Charles Martel a toujours été l’objet depuis le Moyen Âge d’une instrumentalisation politique. Néanmoins, cette instrumentalisation s’avère discrète, fluctuante, oubliant souvent la bataille de Poitiers. Enfin, loin d’être l’apanage de l’extrême droite, la figure du maire du palais n’a pas cessé de valser selon les intérêts politiques et religieux du temps.
C’est ainsi avec une grande minutie que Blanc et Naudin exposent et commentent la mémoire de Charles Martel et de la bataille de Poitiers à travers les âges. Il est dès lors extrêmement intéressant et passionnant d’observer que pendant la période médiévale, la bataille de Poitiers, bien loin d’être un événement majeur, fondateur ou décisif de notre histoire, est tout simplement quasi-oubliée ou confondue avec d’autres batailles qui parfois ne concernent nullement les Sarrasins – et donc un affrontement entre Islam et chrétiens – mais des peuplades venues de l’Est, de l’actuelle Allemagne. Et que pendant de longs siècles, Charles Martel est persona non grata dans notre histoire auprès des rois de France. Pire ! Chez certains clercs, le maire du palais est voué aux enfers pour avoir spolier les biens de l’Église. Il peut dès lors apparaître comme un sauveur de la chrétienté et de l’Occident ou bien au contraire comme un tyran et un usurpateur. Il peut devenir tour à tour pendant la période moderne un défenseur de la monarchie absolue ou un protecteur de la noblesse luttant contre cette monarchie absolue. Il peut devenir sous la plume de Chateaubriand un des chantres du christianisme, rempart à l’esclavage tout comme un païen chez Michelet, ayant empêché la civilisation de se développer chez Voltaire. Et ce ne sont là que quelques petits exemples des différentes fluctuations de Charles Martel dans l’histoire et avec lui de la bataille de Poitiers qu’évoquent Blanc et Naudin, ne passant outre aucune des représentations possibles : la littérature, la sculpture, la peinture, le cinéma et même les timbres sans naturellement oublier les manuels scolaires où la bataille de Poitiers brille par sa quasi-absence depuis toujours.

Le mythe identitaire

Quelque soit l’instrumentalisation de Charles Martel à travers l’histoire, celle-ci demeure modeste jusqu’à la fin du XIXe siècle où s’opère un tournant avec sa récupération et son utilisation par l’extrême droite. Pour autant, le maire du palais et la bataille de Poitiers sont encore loin d’être des symboles remparts contre le « Grand Remplacement » comme nous pouvons le voir aujourd’hui. Ils sont avant tout des symboles pour lutter tantôt contre le judaïsme, tantôt contre le communisme, enfin contre l’américanisme lorsque les États Unis prennent fait et cause pour les populations albanophones et musulmanes lors de la guerre du Kosovo en 1999. Et à Charles Martel de pénétrer plus fortement le roman national comme étant le sauveur de l’Europe face à l’Islam comme nous pouvons le voir apparaître dans les écrits ou discours de politiques comme Jean-Marie Le Pen, Bruno Mégret ou de personnalités comme Lorànt Deutsch et Éric Zemmour. Ces personnalités dénoncent à ce propos un certain ostracisme du vainqueur de la bataille de Poitiers de la part de l’actuel gouvernement de gauche et de la dite pensée unique allant de pair. Et c’est à ce moment que le livre de Blanc et Naudin prend tout son sens en expliquant que justement, la bataille de Poitiers n’a rien d’un événement fondateur de l’histoire de France et elle n’a quasiment jamais été regardée comme tel.

Notre avis pour conclure

Parfois touffu, parfois trop pointilleux, le livre de William Blanc et Christophe Naudin n’en est pas moins parfaitement mené et complété par de riches annexes (iconographies, cartes, etc.). Utile et nécessaire, cet ouvrage tord le coup aux idées reçues faisant de la bataille de Poitiers un véritable « choc » des civilisations et de Charles Martel un héros national ayant repoussé l’envahisseur musulman. Mais mieux encore, les deux historiens démontrent que cet événement n’a jamais été considéré comme important dans notre histoire à quelques exceptions, des exceptions fortement politiques comme celle qu’utilisa le groupe Génération identitaire avec son slogan « Je suis Charlie Martel » à la suite du massacre de Charlie Hebdo. Et si le précédent ouvrage des deux auteurs – Les Historiens de garde, coécrit avec Aurore Chéry, Éditions Inculte, 2013 – pouvait laisser parfois place à la polémique et aux orientations politiques, ce n’est ici jamais le cas. Cet essai historique reste neutre et objectif. Et c’est-ce pas là, la meilleure des façons de combattre les manipulations politiques dont l’histoire fait inlassablement l’objet ?

J. Perrin