Le blog des éditions Libertalia

L’Homme sans horizon dans Alternative libertaire

lundi 13 janvier 2020 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Alternative libertaire (janvier 2020).

« Pourquoi ne pas rendre la vie habitable ? »

Cette citation, placée en exergue du livre de Joël Gayraud résume parfaitement ses réflexions. Un curieux ouvrage qui sitôt ouvert, semble se refermer sur nous et nous plonger dans un monde clos, sans horizon : notre monde.
Ouvrage pessimiste, loin s’en faut. Invitation, à imaginer, à rêver la société du bonheur, non une société parfaite, mais l’inachevée, l’imparfaite en continuelle mutation.
Ce livre se fonde sur ce constat : désormais, nous vivons dans un monde de clôtures : géographique (absence de terres inconnues), écologique (du fait de la déraison économique et du pillage des richesses naturelles), historique (du fait de la dominance mondiale d’un système : le capitalisme qui dicte ses lois à travers la planète. L’humain est enfermé dans un perpétuel présent où le passé n’est qu’une forme préorientée du présent et le futur ne fait sens que comme reproduction et amplification du présent.
Cette triple clôture interdit tout horizon d’évasion à l’humain qui évolue dans une « prison sans barreaux » qui incise nos vies.
Cette perte d’horizon est lourde de conséquences sociales. Elle signifie « l’oblitération de toute visée collective aspirant à un au-delà de la société actuelle ».

Parmi ces clôtures, l’auteur va opérer un distinguo entre d’un côté celles qui sont objectives et indépassables : la géographique et l’écologique et celle qui est subjective : l’historique. Les limites terrestres s’imposent objectivement à l’humain, tout comme les effets nocifs de l’économie capitaliste sur l’environnement, imposant des dégradations de plus en plus rapides et une altération irrémédiable de la nature. Il en va autrement de la clôture historique, purement subjective, expression « du désir et du postulat des maîtres de la société qui l’imposent, tel un dogme au reste de l’humanité… »

Tout le propos du livre est une invitation à faire bouger les lignes d’horizons et pour ce faire, l’auteur va s’ingénier à dessiner les lignes de fuites possibles. Invitant les mémoires sociales de la Révolution française, de la Commune, des Soviets libres, de Cronstadt, de la Makhnovchtchina ou de l’Espagne libertaire, Mai 1968 ou encore, les mouvements féministes et anticolonialistes ; autant de fenêtres ouvertes temporairement sur l’horizon d’une société émancipée…

Les fenêtres ouvrent l’horizon, elles le créent. Ce sont des brèches dans le temps, des ouvertures sur l’imaginaire et le rêve.
L’auteur mêle adroitement philosophies et poésies. Il invite des théoriciens critiques mais également des poètes pour composer un tableau cosmopolite et dévoiler l’horizon.

À l’heure où l’horizon semble bouché, la survie de l’espèce étant posé, cette rêverie, non solitaire mais collective est plus que salutaire. L’imaginaire subversif se doit d’être au rendez-vous, sous peine de voir, de nouveau se dessiner à l’horizon, de funestes perspectives de barbaries.

Dominique Sureau (UCL Angers)